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Irak, incertitude après l’espoir !

Plus de quatre mois après la tenue des élections législatives irakiennes, notre correspondant en Irak fait le point sur la situation politique dans ce pays.

Le 30 janvier 2005 a marqué un tournant historique pour l’Irak. Des millions d’électeurs ont surmonté leur peur pour voter et choisir leurs représentants au sein d’une nouvelle Assemblée législative. Cette participation massive et en bon ordre relatif a constitué un formidable espoir de changement pour cette région du monde. Les irakiens ont montré que s’ils souhaitent unanimement le départ des troupes d’occupation, ils n’envisagent pas pour autant abandonner leur pays aux mains de terroristes semant le chaos et le désordre.

Les représentants occidentaux, Georges Bush, Tony Blair et Silvio Berlusconi en tête se sont empressés de se féliciter de ce succès, le seul après des mois d’échecs en tous genres. Mais la « partie » est encore très loin d’être gagnée !

Gouvernement « d’Union Nationale »

Ibrahim Al Jaafari, le leader du parti chiite Da’awa a été nommé Premier ministre par le Conseil de la Présidence irakienne plus d’un mois après le scrutin du 30 janvier 2005. La loi électorale impose en effet que la nomination du Premier ministre soit approuvée par une majorité des deux tiers des membres de l’Assemblée. Les représentants Chiites pourtant majoritaires ont donc du négocier avec les représentants Kurdes dont la liste d’union arrivait en deuxième position.

La participation des représentants de la communauté Sunnite au sein du gouvernement et surtout de la commission de rédaction de la future constitution irakienne, constitue également un obstacle majeur à cette union nationale tant souhaitée. La plupart des représentants sunnites avaient en effet appelé au boycott des élections générales qu’ils jugeaient illégitimes. La participation des électeurs sunnites a donc été très faible voire nulle dans les provinces de l’Anbar, Salahedin et Ninive. Mais cette faible participation s’explique également par l’insécurité qui règne dans ces provinces et les menaces de mort proférées par les groupes insurgés à l’encontre des futurs électeurs. Le fort taux d’abstention dans les zones majoritairement sunnites a entraîné une sous représentation de cette communauté au sein de l’Assemblée nationale et donc du nouveau gouvernement irakien. De plus, des divisions sont apparues à l’issue du scrutin au sein même des représentants de la communauté sunnite. Certains membres du Comité des Oulémas Musulmans, organisation religieuse sunnite très influente, ont décidé alors de quitter cette structure pour marquer leur désapprobation face au boycott ordonné par les partisans de la ligne dure.

Un calendrier impossible à tenir

Le premier ministre Ibrahim Al Jaafari a été nommé un mois après les élections du 30 janvier 2005. Le gouvernement d’union nationale formé par ce dernier n’a pu être constitué et approuvé par l’Assemblée nationale que 4 mois après le scrutin. Les différentes entités politiques ont perdu beaucoup de temps au cours des tractations préalables à la formation du nouveau cabinet. Cependant, de nombreux points de désaccord restent encore en suspens. La liste unifiée Kurde, forte de ses 70 sièges à l’Assemblée nationale, a essayé en effet d’obtenir satisfaction sur un maximum de revendications. Ces dernières concernent principalement le statut de la ville de Kirkouk et l’adoption d’un système fédéral donnant une plus grande autonomie à la région Kurde d’Irak. La liste d’Alliance Unifiée chiite qui a obtenu plus de 140 sièges sur les 275 a en effet dû négocier le soutien des Kurdes pour obtenir la majorité des deux tiers nécessaires à la formation du futur gouvernement. L’ancien Premier ministre, Iyad Allaoui qui a pourtant été largement désavoué lors des élections générales au cours desquelles sa liste n’a obtenu que 40 sièges, a tenté désespérément de se faire renommer Premier ministre. Son maintien dans la course au poste de Premier ministre n’a fait que retarder la nomination du gouvernement en compliquant les négociations entre les principaux intéressés Chiites et Kurdes.

La principale fonction de la nouvelle Assemblée irakienne reste cependant d’élaborer la future constitution qui va régir les institutions du pays dans les années à venir. Celle-ci devrait normalement être approuvée par référendum au cours de l’automne 2005. Si cette constitution est rejetée par un vote négatif de la majorité des électeurs d’au moins 3 provinces sur les 18 que compte l’Irak, alors le processus électoral devra recommencer depuis le début avec de nouvelles élections générales en janvier 2006.

L’Assemblée nationale constitutive a déjà perdu 4 mois en tractations stériles. Il apparaît donc très difficile aujourd’hui de croire que tous les protagonistes arriveront à s’entendre et à rédiger les articles de la future constitution dans les mois prochains, du fait également des difficultés qui sont apparues simplement pour nommer un gouvernement. D’autant plus que la plupart des principales divergences entre les différentes communautés ne sont pas réglées et ont simplement été rejetées à une date ultérieure.

Intensification de l’insurrection

Depuis l’annonce de la composition du nouveau gouvernement dirigé par Ibrahim Al Jaafari, l’insurrection a intensifié ses attaques dans tout le pays et à Bagdad en particulier. La capitale et ses environs ont subi plus de 126 attaques à la voiture piégée en quelques semaines. Plus de 600 personnes, en grande majorité des civils innocents ont ainsi perdu la vie. Des cadavres ont été découverts en plusieurs endroits de la capitale. Les victimes sont désormais aussi bien Chiites que Sunnites. Ces derniers événements font de plus en plus redouter une aggravation des tensions entre les deux communautés pouvant dégénérer en guerre civile. Selon un observateur averti, le pays connaît à l’heure actuelle une sorte de « guerre civile froide » à l’instar du conflit qui a opposé les deux grandes puissances nucléaires au siècle dernier. La moindre étincelle pourrait provoquer un embrasement général entraînant le pays dans des règlements de compte meurtriers.

Les insurgés et notamment certaines factions religieuses extrémistes jouent allègrement sur cette fracture pour tenter de déstabiliser le nouveau gouvernement Jaafari. Les rebelles profitent également pleinement de la vacance du pouvoir et de l’absence de décision parmi les organismes de sécurités de l’Etat ainsi paralysés pendant plus de 4 mois.

Le gouvernement d’Ibrahim Al Jaafari semble cependant décidé à réagir énergiquement dans les semaines qui viennent. Le ministre de l’Intérieur, Bayan Baqer Soulagh, et le ministre de la Défense Saadoun Al Doulaimi ont annoncé conjointement le déploiement de plus de 40 000 policiers à Bagdad pour contrôler tous les accès de la capitale et tenter ainsi de « nettoyer » la ville des réseaux insurgés qui agissent jusqu’à présent dans l’impunité la plus totale.

Pas d’amélioration dans la vie quotidienne

La situation économique de l’Irak ne montre pas le moindre signe d’amélioration depuis les élections générales du mois de janvier. La vie quotidienne des Irakiens est marquée par les difficultés d’approvisionnement en carburant et en électricité.

La production d’énergie électrique par le réseau national ne s’est pas améliorée et les groupes électrogènes sont plus que jamais indispensables pour pallier cette pénurie. L’usine de Bagdad ne fournit ainsi que 4 heures d’électricité par jour. Ces problèmes pénalisent fortement la reprise de l’activité économique et interdisent tout projet de développement sérieux dans l’immédiat.

Le retard pris dans le redémarrage de l’activité économique ne permet pas une diminution du taux de chômage. Cette inactivité pèse lourdement sur la société irakienne et alimente indirectement l’insurrection, les activités criminelles et les trafics en tous genres.

Les infrastructures urbaines qui sont dans un état catastrophique, nécessiteraient une remise à niveau urgente. Ceci est particulièrement vrai dans certains quartiers longtemps défavorisés de Bagdad comme à Sadr city où les réseaux d’alimentation en eau potable et la voirie sont totalement à reconstruire. Les citoyens irakiens sont désespérés et souhaitent par dessus tout retrouver la paix pour pouvoir commencer à reconstruire leur pays.

La seule industrie fleurissante à Bagdad est celle du béton. Il ne s’agit pas de la reconstruction de bâtiments mais simplement de la multiplication des protections le long de toutes les infrastructures successibles d’être la cible des voitures piégées. Le prix du ciment a ainsi doublé en moins d’un an.

Pas de calendrier de retrait des troupes d’occupation

Les autorités US se refusent obstinément à évoquer le moindre calendrier de retrait des forces d’occupation. Ceci constitue pourtant une des exigences incontournables des représentants du Comité des Oulémas Musulmans pour participer aux débats politiques en vue de l’élaboration et de l’adoption de la future constitution Irakienne. Les partisans du religieux chiite Moqtada Al Sadr souhaitent également fermement le départ des soldats américains. Ils ont organisé d’importantes manifestations hostiles à Washington au mois de mars 2005.

Les forces d’occupation participent actuellement à la formation d’unités irakiennes. Mais ces dernières sont encore très loin d’être opérationnelles. L’armée américaine a lancé deux opérations majeures ces dernières semaines dans la province d’Al Anbar pour tenter de neutraliser certains foyers de l’insurrection. Les unités irakiennes ne sont pas encore en mesure d’effectuer cette mission elles-mêmes.

Les opinions et les déclarations divergent au sein de l’administration américaine quant à la durée du séjour des militaires US sur le sol irakien. Les plus optimistes annoncent un début de retrait fin 2006 mais les plus pessimistes (ou les plus lucides) prédisent un étalement du conflit sur une dizaine d’années. C’est en effet la durée estimée par plusieurs spécialistes militaires pour venir à bout d’une insurrection.

Quoi qu’il en soit, maintenant que les américains ont ouvert la boîte de Pandore, ils ne peuvent désormais plus se retirer d’Irak en laissant le pays dans son état actuel.

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