Sexiste, mégalomane, communautariste, islamophobe, nostalgique du « bon vieux temps des colonies »…, on le savait déjà[1] ! Georges Frêche, ancien maire de Montpellier, imperator socialiste de la région Languedoc-Roussillon, vient de récidiver, en franchissant une nouvelle fois la « ligne brune ». Récemment, il n’a pas hésité à qualifier les enfants de Harkis de « sous-hommes » (cf. déclaration complète ci-dessous), notion inspirée de l‘idéologie national-socialiste. La direction nationale du PS a réagi « très modérément », peu choquée semble-t-il par ce « dérapage verbal » qui puise pourtant directement dans la rhétorique nazie.
Employer la formule haineuse de « sous-hommes » n’a sans doute rien à envier aux calembours antisémites de Jean-Marie Le Pen ou à « l’humour tendancieux » de Dieudonné. Rappelons quand même pour ceux qui l’auraient oublié que « sous-hommes » (en allemand : Untermenschen) est l’un des concepts centraux de l’idéologie raciste des nazis[2]. Elle désignait les représentants des races dites « inférieures », à savoir les Juifs, les Tziganes et les Slaves et a même fait l’objet d’une codification sur le plan juridique par le biais des lois de Nuremberg de 1935. Elle visait à animaliser des êtres vivants pour mieux justifier leur élimination et leur extermination. Georges Frêche, professeur d’histoire du droit à la prestigieuse université de Montpellier 1 pouvait-il ignorer la signification et la connotation précises du terme ? Pour sa défense, certains diront que sa langue a fourché mais ici la « fourche » évoque étrangement la croix gammée.
Ce n’est pas simplement l’élu qui a déshonoré la République. C’est aussi l’enseignant qui a déshonoré l’Université française, parce qu’il est censé connaître et transmettre l’Histoire aux nouvelles générations d’étudiants. On peut d’ailleurs s’étonner qu’aucune autorité académique n’ait à ce jour pris position sur les étranges jeux de langage du « professeur Frêche ». Il est vrai que la tendance actuelle serait plutôt à banaliser les propos xénophobes des élus républicains (« youyous dans les mairies »[3], « polygamie des femmes immigrées »[4], « retrait de la nationalité française » aux mineurs délinquants[5]…) et le contexte préélectoral explique sans doute beaucoup de choses : la fédération PS de l’Hérault est l’une des plus importantes de France (« elle pèse » comme on dirait dans le langage militant) et G. Frêche tend à être considéré par la rue Solferino comme un « capteur de suffrages » irremplaçable. De ce point vue, il est vrai que le dérapage frêchien ne pèse pas grand-chose au regard des enjeux de l’investiture socialiste : pourquoi froisser un « ami » qui vous veut du bien ? Ici, le « Bien » ne se confond pas avec la « morale de l’Histoire » mais avec la « morale électorale », à savoir les réserves des suffrages d’adhérents en vue de la présidentielle de 2007.
Certes, on pourrait y voir simplement une nouvelle « gaffe politique » de la part d’un élu local habitué, il est vrai, aux excès de langage sur les femmes, les étrangers et les minorités culturelles et religieuses. Toutefois, à y regarder de plus près, le « dérapage » de G. Frêche s’inscrit dans une longue chaîne de la haine verbale qui n’est pas sens effets sur sa manière de « faire de la politique ». Force est de constater que le président de la région Languedoc-Roussillon a promu un système de gouvernement local fondé sur le populisme, l’autoritarisme et le clientélisme communautaire, s’érigeant ainsi en despote languedocien et recourant fréquemment à l’intimidation pour faire taire ses détracteurs et ses adversaires politiques.
Une convergence ancienne avec l’extrême droite et les criminels de l’OAS : la chasse aux « suffrages roses bruns »
Si, depuis le milieu des années 1980, la droite méridionale (Languedoc-Roussillon et Provence-Alpes Côte d’Azur) a fait du « dragage des suffrages » de l’extrême droite une de ses spécialités électorales, l’on peut dire que, sur ce plan, le « socialiste » Georges Frêche a été incontestablement un innovateur et un précurseur. En effet, dès 1973, le futur député-maire est allé directement démarcher auprès du Front national qui, à l’époque n’était encore qu’un groupuscule fascisant[6], pour assurer sa victoire au deuxième tour des élections législatives dans la circonscription de Montpellier-Lunel.
Les récits de cet événement sont édifiants et auraient dû faire exclure logiquement et définitivement G. Frêche de la galaxie socialiste et républicaine[7]. Au contraire, les appels frêchiens en direction du parti d’extrême droite constituent pour ainsi dire son baptême électoral. Pour faire battre le candidat gaulliste (UDR, ancêtre du RPR et de l’UMP), Georges Frêche n’a pas hésité, à l’époque, à se rendre en personne au siège local du FN, portant l’accolade au leader fascisant au nom d’une haine commune des gaullistes (ceux qui ont donné l’indépendance à l’Algérie !). Mais faute d’obtenir un accord électoral en bonne et due forme, G. Frêche utilisera dès le milieu des années 1970 les services d’anciens de l’OAS pour attirer à lui les suffrages des nostalgiques et des radicaux de l’Algérie française. En somme, G. Frêche a compris très tôt l’intérêt de capter cet électorat « rose brun », formé, en grande partie, d’anciens électeurs de la gauche coloniale (SFIO et Parti radical), déçus par la gauche et reprochant virulemment aux « gaullistes » de les avoir abandonnés.
Mais l’on commettrait probablement une erreur d’interprétation si l’on y voyait uniquement des manœuvres électorales conjoncturelles. En réalité, celles-ci vont connaître un certain processus de stabilisation et d’institutionnalisation dans le temps : à l’échelon local, notamment municipal, G. Frêche est parvenu avec beaucoup d’habileté à conserver sous les couleurs socialistes (PS) un électorat blessé et radicalisé, en fournissant des signes très clairs de son adhésion à des thèses que l’on pourrait qualifier de « révisionnistes » sur le plan historique et relevant très largement de la légende coloniale. Ainsi, le député-maire usera fréquemment des registres affectif et symbolique, donnant naissance à une nouvelle légende locale : Montpellier promue « petite Algérie française » au cœur du Languedoc-Roussillon !
Encore faut-il préciser que la légende coloniale frêchienne ne puise pas dans celle de ces Pieds noirs pacifistes partisans de la réconciliation et qui trouve aujourd’hui une certaine expression politique au PS (Georges Morin et son association de dialogue « Coup de Soleil » par exemple) mais dans une idéologie revancharde qui joue très largement sur les frustrations, le racisme anti-arabe et l’idée de l’illégitimité de la « présence musulmane » en France. Sur ce plan, il n’y aucune ambiguïté : G. Frêche partage la même haine des « gaullistes » (identifiés à des « traîtres »), des « Maghrébins » (ceux qui nous ont chassé) et des « Musulmans » (les envahisseurs) que les leaders du Front national, ce qui explique, en grande partie, que sa rhétorique reproduit grossièrement les clivages hérités de l’Algérie française, avec d’un côté les Européens (la « race des seigneurs »), de l’autre, les « indigènes musulmans » (la « race inférieure ») et entre les deux, les « juifs sépharades » qui sont de plus en plus assimilés à des « Pieds noirs juifs », alors que, rappelons-le, ce sont des autochtones (originaires de Palestine, Andalous, Livournais, Berbères, etc.) et non des anciens colons.
Il est intéressant de savoir où se situent précisément les Harkis et leurs enfants dans le cadre de cette représentation frêchienne de la « coexistence communautaire ». Là aussi, les différentes déclarations du despote languedocien ne laissent planer aucune zone d’ombre : les Harkis sont identifiés dans le discours frêchien au bloc des « Maghrébins-Musulmans », considérés comme des supplétifs qui ont certes droit à des gratifications matérielles et symboliques pour services rendus à la France (logement, emplois, plaques commémoratives…), mais qui sont soumis à un code du silence. Ils sont traités en quelque sorte comme des « sous-hommes protégés » et, en échange de leur protection, ils doivent allégeance totale au patron politique local, faute de quoi ils sont écrasés et humiliés publiquement, à l’instar de la déclaration virulente de Georges Frêche, le samedi 11 février 2006 : « Vous êtes vraiment d’une incurie incroyable. Vous ne connaissez pas l’histoire. Moi qui vous ai donné votre boulot de pompier, gardez-le et fermez votre gueule ! Je vous ai trouvé un toit et je suis bien remercié. Arrêtez-vous ! Arrêtez-vous ! Allez avec les gaullistes ! Allez avec les gaullistes à Palavas. Vous y serez très bien ! Ils ont massacré les vôtres en Algérie et vous allez leur lécher les bottes ! Mais vous n’avez rien du tout ! Vous êtes des sous-hommes ! Rien du tout ! Il faut que quelqu’un vous le dise ! Vous êtes sans honneur. Vous n’êtes pas capables de défendre les vôtres ! Voilà, voilà…Allez, dégagez ! »[8].
Mais au-delà de ces nombreuses outrances verbales, c’est tout un système politique local à la fois clientéliste et communautariste que Georges Frêche a mis en place dans sa ville de Montpellier et dans la région Languedoc-Roussillon. Ce système basé sur une gestion populiste mériterait à lui seul une analyse approfondie.
(A suivre la semaine prochaine) :
. Georges Frêche, communautariste en chef : « diviser pour mieux régner »
. Les sous-hommes sont-ils aussi des sous-militants et des sous-électeurs ?
[1] CIR, « Le député maire PS Georges Frêche remet ça ! », www.oumma.com, 4 juin 2002.
[2] Thierry FERALl, Le national-socialisme. Vocabulaire et chronologie, Paris, l’Harmattan, 1998. Cf. aussi David SERVENAY, « Abécédaire de la machine à tuer », http://www.rfi.fr/actufr/articles/061/article_33520.asp.
[3] Mustapha MAZARI, « Les youyous et la ‘racaille’ », Le Quotidien d’Oran, 3 décembre 2005.
[4] Falila GBADAMASSI, « Polygamie : mère de toutes les émeutes en France ! », http://www.afrik.com/article9062.html, 21 novembre 2005.
[5] Thomas LEBEGUE, « L’UMP surfe sur la crise des banlieues », Libération, 29 novembre 2005. Lire aussi « Jean-Paul Garraud et l’ombre de Vichy », Chroniques du racisme ordinaire », http://racismeordinaire.over-blog.com/article-1341484.html, 6 décembre 2005.
[6] Jean-Yves CAMUS, Le Front national, histoire et analyses, Paris, Laurens, 1997. Renaud DELY, Histoire secrète du Front National, Grasset, 1999.
[7] LDH de Toulon, « Socialiste ou colonialiste, il faut choisir », http://www.ldh-toulon.net/article.php3 ?id_article=1133, 16 janvier 2006. Lire aussi « Une déviance morale peut en cacher une autre. Quand Frêche démarchait le FN », L’Agglorieuse, http://www.lagglorieuse.com/article.php3 ?id_article=254, 30 juin 2004.
[8] Déclaration de Georges Frêche le samedi 11 février 2006 à Montpellier lors de la cérémonie en l’hommage de Jacques Roseau : enregistrement original sur le site de Libération : http://www.liberation.fr/page.php ?Article=359078
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