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Gema Martin-Muñoz : « Le laïcisme radical –et on pourrait dire anti-islamique– de quelques secteurs français n’existe pas en Espagne avec la même intensité »

Née en 1955 à Madrid, Gema Martin-Muñoz est professeur de Sociologie du Monde Arabe et Islamique et Directrice de Casa Árabe, un Institut International d’Etudes Arabes et du Monde Musulman. Elle est l’une des grandes analystes d’opinion dans les médias espagnols.

Quelles sont vos activités au sein de Casa Árabe ?

La Casa Árabe est une institution publique créée par le Ministère des Affaires Étrangères espagnol et les administrations régionales et municipales de Madrid et Cordoue.

Son but est de donner à connaître les sociétés et les pays arabes, sans stéréotypes, ni visions orientalistes, d’encourager les relations mutuelles et de mener à bien des études et des travaux de recherche.

Nos activités, qui ont démarré en janvier 2007, cherchent à faire connaître l’avant-garde des jeunes créateurs arabes, à développer des initiatives et des lignes de travail contre l’islamophobie, à organiser des conférences sur la situation sociopolitique du Maghreb et du Moyen Orient avec des chercheurs et des universitaires arabes, à développer des programmes éducatifs et des matériels didactiques dans les écoles, à encourager la traduction des œuvres arabes et à publier des études et recherches réalisées à l’initiative de Casa Árabe.

Quelle est la réalité des musulmans en Espagne ?

Le nombre de musulmans en Espagne oscille autour d’un million de personnes, parmi lesquelles la population marocaine est clairement majoritaire. Cette présence musulmane s’explique avant tout par l’accroissement de l’immigration depuis le milieu des années quatre-vingt.

Bien qu’ils ne représentent que 2% de la population totale, la perception sociale des musulmans est exagérée. Cette situation est due à la surreprésentation médiatique des questions liées à l’Islam et aux conflits qui se déroulent au Moyen-Orient, phénomène perceptible partout en Europe avec les conséquences négatives qui en découlent pour l’acceptation des musulmans au sein de notre société.

En fait, il existe une situation contradictoire entre l’ordre juridique et la réalité sociale. En 1992, le Gouvernement espagnol a signé les accords les plus libéraux de reconnaissance des droits des musulmans de toute l’Europe. Cependant, ces accords étaient pensés pour les musulmans espagnols convertis et pour un groupe minoritaire de naturalisés, et répondait aussi à une volonté historique de réconciliation historique avec l’expérience d’ Al-Andalus.

Mais la nouvelle présence musulmane consécutive à l’immigration n’était pas encore consolidée. Par conséquent, les représentants de la Comisión Islámica (Commission Islamique) élus à cette époque sont assez éloignés de la réalité des musulmans de l’immigration, et ils ne se sont ni identifiés ni sentis représentés par eux.

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Lorsque leur présence s’est pérennisée, un certain imaginaire « arabo-phobique » espagnol s’est développé, et la nécessité de se protéger préventivement des musulmans perçus comme des « armées occultes de Ben Laden » également. La conséquence de tout cela fait qu’il existe une certaine tendance à la discrimination et au refus de la visibilité musulmane, perceptible au moment de la construction des mosquées.

Quelles grandes différences voyez-vous entre l’Espagne et la France ?

Chaque pays est le résultat de sa propre expérience historique, et celles de l’Espagne et de la France ont été très différentes. L’Espagne n’a pas mené une entreprise coloniale, exception faite du protectorat au Nord du Maroc et dans le Sahara, la présence musulmane y est très récente et peu nombreuse par rapport à la France ; le laïcisme radical – et on pourrait dire anti-islamique – revendiqué par certains en France n’existe pas en Espagne avec la même intensité, etc.

Par conséquent, les grands débats ou crises survenus en France, comme celui du voile, n’ont pas lieu aujourd’hui en Espagne. De la même manière, il n’y a pas non plus une conception de l’intégration aussi assimilationniste qu’en France.

Quelles seraient selon vous les actions à mener au niveau européen pour améliorer le vivre ensemble ?

Franchement, je crois que le fameux dialogue entre cultures est un discours inutile tant que l’Europe ne contribuera pas à résoudre d’une manière définitive les conflits politiques du Moyen Orient ; c’est-à-dire, tant qu’on n’en aura pas fini avec l’humiliation, l’occupation, le despotisme, la tragédie humanitaire et le militarisme dans cette région centrale du monde islamique.

Je crois aussi que les controverses sur les « modèles d’intégration » sont un débat creux ; ce qui est vraiment important c’est d’appliquer le principe de l’égalité de la loi pour tous, que l’on s’appelle Mohammed, Pierre ou Antonio, que l’on soit chrétien, juif ou musulman.

Propos recueillis par El Yamine Soum

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