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« Femmes, prenons garde… : … quand l’État se mêle de religion »

Il est coutumier de désigner les pays du Sud comme espace où se maintient la plus profonde inégalité des droits entre les hommes et les femmes… et cela est vrai. Cela est vrai pour la Méditerranée, de son est à son sud. Cela est vrai de l’État d’Israël au Royaume du Maroc, du Croissant fertile à l’Atlantique… partout, là où se maintiennent encore des statuts personnels confessionnalisés, des lois consacrant une différence de traitement non seulement entre les femmes et les hommes mais aussi, et il faut le souligner, entre les femmes elles-mêmes, citoyennes d’un État se dotant, lui-même, d’une religion.

Ainsi, s’agissant des droits de sa personne, une musulmane ne se verra pas contrainte ou protégée par le même droit que celui d’une chrétienne ou d’une juive, seraient-elles compatriotes ; ainsi en est-il de tous ces espaces qui se virent gérer par des empires, des Amériques à l’Europe en passant par l’Afrique, l’Océanie et l’Asie.

Qu’en est-il en France de cet État convaincu de son équité et de sa laïcité au point qu’il ne traque que les symboles plutôt que les faits, cherche à protéger la personne du voile plutôt que de la discrimination devant la loi, s’entend avec ses pairs pour privilégier la paix des hommes… sans trop se préoccuper de la sécurité des femmes ?

Je m’explique. Une femme de nationalité étrangère qui réside durablement en France, pays revendiquant l’égalité entre les hommes et les femmes, peut continuer à être totalement soumise au statut personnel de son pays d’origine, échappant même à la protection que pourrait lui apporter la loi interne, du fait d’une convention bilatérale qui consacre la subordination du féminin au masculin.

L’exemple de la Convention franco-marocaine de 1981 le démontre, qui stipule que « la référence à la loi de l’un des deux États s’entend de la loi interne à cet État à l’exclusion du droit international privé » (art. 3). Autrement dit, une femme marocaine en France se verra régie, en cas de conflit familial, de conflit de filiation, par le code de statut personnel marocain, qu’il soit mosaïque ou d’obédience musulmane… et, n’en déplaisent à ses thuriféraires, le nouveau code de la famille marocain (2004) est encore loin de traiter identiquement les hommes et les femmes devant la loi (polygamie, mariage de confession religieuse différente, enfant naturel, etc.).

Il m’est souvent rétorqué : oui mais l’État français ne peut pas s’ingérer dans les affaires d’un pays tiers (sic !). Je pourrais me laisser aller à le croire si les faits ne venaient contredire cette assertion, s’agissant, entre autres, de la réalité juridique à laquelle se confrontent les binationales et les citoyennes des dits « territoires français d’outre-mer ».

D’ailleurs, ce n’est pas simplement du fait d’un statut personnel différent, de la connivence intéressée entre État et patriarcat, qu’une femme étrangère subit une inégalité devant la loi. Certes, il est indubitable que les Codes de l’Algérie au Liban, de la Palestine à Israël, de l’Afrique à l’Asie, consacrent, en recourant à l’alibi « du fait religieux », la subordination des femmes aux hommes, en matière d’exercice de nombreux droits.

Faut-il pour autant ignorer la culpabilité de l’État français lui-même qui organise un statut spécifique pour des femmes devenant captives de normes qu’elles ne partagent pas ? Ainsi quand le travailleur étranger décide de rentrer définitivement dans son pays et restitue son titre de séjour, son épouse étrangère est tenue d’en faire autant malgré sa résidence durable et sa volonté de rester en France et quels que soient les liens familiaux, amicaux, culturels, qu’elle y entretient. Ou bien quand un époux va, lors d’un séjour au pays d’origine, y célébrer un mariage polygame, cela aura pour conséquence de faire perdre à la première son statut légal de résidente en France. Les suites d’un divorce sont analogues. La majorité des femmes étrangères ne doivent souvent leur droit au séjour qu’en qualité de « personne subsidiaire », telle une pièce rapportée au conjoint, quelle que soit son intégration en son nouveau pays.

Elle n’a qu’à se naturaliser française me direz-vous… d’abord, ce n’est pas aussi aisé qu’on l’imagine d’obtenir sa naturalisation quand on provient d’un pays anciennement colonisé. De plus, dorénavant, devenir française risque d’être de moins en moins accessible si la volonté de l’actuel gouvernement de subordonner la demande de francisation à la réussite à des examens préalables, en matière de connaissance des droits des femmes et du « féminisme », se traduisait par une loi comme en est son intention.

Ce ne sont pas que les femmes de nationalité étrangère qui sont exclues de la protection qu’est censée apporter la loi. Les Françaises qui cumulent deux nationalités (soit du fait de leur filiation par un de leurs parents français, soit du fait de leur naissance sur le sol, qui parfois même ignorent posséder une nationalité étrangère à celle française, le fait d’être citoyen aux yeux de la loi ne découlant que du fait qu’un État décide que vous êtes son ressortissant) ne sont pas protégées de la même manière que les « françaises de souche ».

La convention franco-algérienne (1988) traitant de la circulation transfrontière des enfants mixtes entre les deux pays et l’exercice du droit de garde par les mères l’illustre magistralement par son article 4, 2°§ qui ne concerne de fait que les « mère de souche » (dont l’enfant est « le mineur né d’un ressortissant exclusif d’un des États »).

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Ces Françaises, pas tout à fait comme les autres, dans l’indifférence la plus totale (l’urgence est à l’éradication du foulard du paysage français n’est-ce pas et non du traitement différencié des citoyennes, n’est-ce pas ?) voient, comme leurs mères étrangères, dès lors qu’elles séjournent, même pour des vacances, dans le pays d’origine du parent leur transmettant sa nationalité, leur mariage déclaré nul pour cause de disparité confessionnelle, leurs enfants nés de ces mariages devenant illégitimes ou alors empêchés de ressortir pour cause d’autorité paternelle prééminente, quand ce n’est pas elles-mêmes, parce que mineures, ne pouvant plus revenir à leur domicile français.

Les conflits de filiation, comme le refus d’exequatur de nombreux jugements rendus en matière familiale, multiplient les drames humains auxquels de nombreuses sont confrontées. Et pendant ce temps, les pouvoirs publics français se disent impuissants à régler ces conflits de lois. Pendant ce temps, moult « féministes  » autoproclamées s’ingénient à, se contente d’imaginer les moyens d’exclure du paysage français d’autres femmes, leurs compatriotes, au prétexte de leurs pratiques religieuses qui n’ont d’autre tort que de se fonder sur le droit fondamental qu’est la liberté de conscience individuelle.

Or, des solutions pragmatiques existent. Il suffit de le vouloir. D’en manifester la volonté politique. La preuve ? Les conventions bilatérales en matière de service national des hommes binationaux ont bien su s’ adapter, elles, et cela depuis fort longtemps déjà. Sans vouloir citer la trentaine de traités bilatéraux en ce domaine qui, depuis le début du siècle précédent, avec des pays européens, avec les Amériques, ont apporté une solution, on ne peut manquer de se référer

à ceux liant la France à des pays à religion d’État, sans que ces accords aient heurté spécialement les sociétés concernées, tels ceux avec Israël (1962, art 2 : « les double nationaux sont tenus d’accomplir leur service militaire actif où ils ont leur résidence permanente…) » ou, accords plus protecteurs encore, avec la Tunisie (1983, art 2 : « le service national en France, le service militaire en Tunisie s’entendent du service militaire obligatoire ou de tout autre service considéré comme équivalent), l’Algérie (1984,art. 1 : les jeunes gens -double nationaux-ayant satisfait aux obligations duservice national prévues par la législation d’un des deux pays sont considérés comme ayant satisfait aux obligations prévues par la législation de l’autre pays)…

Or, historiquement, le service national est un des critères fondant la nationalité. C’est dire son importance au regard des appareils d’État. Qui peut le plus, peut le moins… ou alors, il nous faudrait croire que la mise en œuvre de moyens visant l’égalité de traitement entre femmes et hommes reste encore bien secondaire. Le statut des binationales en France ne serait en cette circonstance que l’indicateur d’un espace spécifique dans lequel les femmes continuent à être assignées. Il en irait de même du droit appliqué aux femmes autochtones des « territoires français d’outre-mer » qui ne serait plus le simple avatar d’une histoire coloniale qui organisa le Code noir et le Code de l’indigénat.

Proclamées citoyennes françaises, les femmes n’en subissent pas moins les effets de lois d’exception discriminatoires comme à Mayotte où prévaut encore un statut local de droit musulman ou en Nouvelle Calédonie qui voit la mise en œuvre d’un « droit coutumier ».

Un traitement spécifique que la Constitution française légitime. Il suffit d’en analyser l’article 75 : « Les citoyens de la République qui n’ont pas le statut civil de droit commun, seul visé à l’article 34,conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé ». Article 75 qui ne craint pas d’entretenir le paradoxe avec l’article 72-3 qui affirme que « la République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité », ni d’affirmer la responsabilité de l’État en ce domaine, l’article 73 précisant bien que c’est ce dernier qui détermine les règles, dont celles portant sur l’état et la capacité des personnes (statut personnel).

Alors ? Indigène de seconde catégorie un jour, française de seconde catégorie toujours ? Ou bien, patriarcat déguisé, transformant en otages de la raison d ‘État certaines pour mieux diviser l’ensemble ? Puisse la marche mondiale des femmes, lors de son passage en France, être propice à une réinterrogation du féminisme, dont les rapports entre femmes du Nord et femmes du Sud. Puisse-t-elle favoriser l’éclosion d’un regroupement d’action visant à imposer à l’État français la mise en œuvre de tous les moyens dont il dispose, y compris par le biais de traités bilatéraux, pour que disparaissent les discriminations que subissent les femmes de France en matière d’égalité des droits, y compris personnels.

 

Texte publié dans le bulletin numéro 1 (mai 2005) du  Collectif Féministes pour l’Egalité né de la pétition “ Un voile sur les discriminations ” parue dans le Monde du 9 décembre 2004. Un groupe de féministes signataires de cette pétition, en s’enrichissant de leurs diversités culturelles, ont créé un noyau dur autour duquel une dynamique s’est constituée dans la continuité du mouvement des luttes féministes en France et à travers le monde.

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