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Fanon, le foulard, et les démons de l’irrationnel …

Abu Bakr Haroun est un intellectuel de culture anglophone qui réside aux Etats-Unis. Il nous a paru fondamental de publier cet article, dans la mesure où il donne à voir de quelle façon la loi anti-voile en préparation est perçue et analysée dans l’espace non-francophone.

Il est possible qu’un pays, à certains moments de son évolution connaisse des dérives à la fois absurdes et terrifiantes.

Allant à contre-courant de sa trajectoire historique, ce pays peut manifester un ensemble de comportements en contradiction flagrante avec ses principes fondateurs. Tel est le cas de la France d’aujourd’hui agitée par un pseudo débat autour du foulard.

D’un point de vue sociologique, ces dérives occasionnelles ne sont guère surprenantes. Bien au contraire, elles sont l’expression de constantes d’ordre culturel longtemps enracinées dans les esprits. On assiste tout simplement à l’extériorisation de mentalités inscrites déjà dans le passé.

Frantz Fanon, psychiatre martiniquais et théoricien de la révolution, rappelle dans son ouvrage « Sociologie d’une révolution » rédigé à la fin des années 50, certains épisodes de l’occupation de l’Algérie par la France dont la lutte contre le port du voile constituait déjà un enjeu.

Avec sa perspicacité habituelle, il notait qu’ à cette époque (comme dans la France actuelle,) « la société coloniale prise dans son ensemble, avec ses valeurs, ses lignes de force et sa philosophie, réagit de façon assez homogène en face du voile…Avant 1954, plus précisément depuis les années 1930-1935, le combat décisif est engagé. Les responsables de l’administration française en Algérie, préposés à la destruction de l’originalité du peuple, chargés par les pouvoirs de procéder coûte que coûte à la désagrégation des formes d’existence susceptible d’évoquer de près ou de loin une réalité nationale, vont porter le maximum de leurs efforts sur le port du voile… » .

Fanon décrit ici une politique d’assimilation, portée par une idéologie qui se considère comme dépositaire de valeurs prétendues supérieures issues de la civilisation « blanche » et chrétienne de la vieille France.

Mais derrière tout cela, il découvre dans l’âme du colon la complexité de rapports irrationnels avec l’islam, l’ arabe, le musulman, mais aussi avec la femme « exotique ». Il révèle qu’ à travers « l’affaire » du simple foulard, on y décèle un projet de société dont l’objectif est la destruction de la culture islamique et le laminage des institutions familiales et culturelles.

A cette époque, le foulard n’était qu’une unité sémiologique, symbole d’une civilisation qui même sur son propre sol, devaient « abdiquer » devant la France.

Au travers de cette « guerre », comme dans le conflit actuel, la société française est en proie à ses vieux démons, qui la hantent depuis des siècles. Parmi eux, l’intolérance religieuse, le rapport souvent problématique avec les femmes, et la volonté méprisante de voir tous ces sous-hommes, avec lesquels elle entre en contact, s’assimiler. L’intolérance, mais aussi une xénophobie séculaire. Ce racisme larvé toujours répandu, qui se loge dans beaucoup d’esprits, constitue les démons de l’irrationalité .

Toute approche du débat autour du voile ne tenant pas compte de cette irrationalité dans le discours anti-foulard, empêche une véritable compréhension de ce conflit dont la dimension socio-psychologique est incontestable.

Les arguties en faveur de l’interdiction du foulard et contre le port de symboles religieux sont donc ancrées dans ce fond irrationnel, sur lequel viennent se greffer des préjugés.

Le premier de ces préjugés est que le port de signes religieux offense autrui. On se demande pourquoi « autrui » doit- il se sentir offenser ? N’a-t-on pas appris à « autrui » que la laïcité (ici comme partout ailleurs,) se doit d’être tolérante ?

Certains citoyens sont tellement conditionnés, qu’ils se sentent offenser par des comportements et des pratiques « non-autorisés » assimilés à des croyances méprisées.…

Dans un passé récent, l’absence de croyance, ou même la pratique de certaines croyances était plutôt jugé hérétique. Ce qui offensaient les fidèles, occasionnant ainsi des dérives historiques, caractérisées par de sanguinaires persécutions, dont les victimes étaient bien souvent, des minorités, ou des étrangers…

Citons à titre d’exemple : la répression des Huguenots, le massacre des Cathares, le rejet des protestants, la traque des juifs et des franc-maçons, les croisades, la déshumanisation des peuples asservis, la collaboration avec les nazis, ou encore les atrocités commises en Indochine et en Algérie…

Le second préjugé est que « laïcité » qui est née en opposition aux doctrines ecclésio-monarchiques, doit se caractériser par un espace débarrassé de tout signe religieux et même politique. Ces signes doivent disparaître de l’enceinte de l’école en raison de leur « effet » sémiologique.

L’imposture ici est de faire croire que la politique et la religion sont les deux seuls modes d’appartenance au sein d’une société en constante évolution, qui peuvent constituer une offense, donc dangereux à plus d’un titre.

Cependant, un croyant peut aussi se sentir offensé par telle ou telle tenue vestimentaire. Est ce pour autant qu’il faille voter une loi réprimant la cause de cet outrage ?

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Les musulmans sont-ils condamnés à incarner ce rôle d’éternels offenseurs ? Où se situe donc l’égalité ?

Cette casuistique consiste à marteler que la laïcité aura la primauté. Que son règne qui ne doit en aucun cas être contesté, ne s’accommodera pas avec d’autres signes d’appartenance. En dehors de la laïcité, point de salut !

Mais la réalité est toute autre. En France, comme partout ailleurs, l’espace public, comme l’école, le bureau, la rue, ou les lieux de transports sont des espaces de signes, « déclarant » une appartenance aussi bien à une génération, à une classe sociale, à une confrérie, à une communauté ou à un « monde particulier ». Des signes communiqués par des vêtements votifs ou démotiques comme l’ a bien affirmé le philosophe Pascal en évoquant les habillements. La sémiologie interprète ce monde de signes.

Ces signes perceptibles expriment donc des choix flagrants. Du costume « drag queen » , au pantalon taille-basse et string (cause d’offense dans certains lycées américains), du piercing, à l’affichage de grandes marques, d’un type de coiffure particulier signalant que l’on est branché.. jusqu’ au costume-cravate informant aussi bien du caractère sérieux, du statut professionnel ou marquant une identité sociale …

On peut ainsi dire que ces significations vestimentaires et comportementales sont captées et comprises par tout à chacun. Si la France est composée de communautés bien distinctes, pourquoi l’école ne saurait être le reflet de cette diversité. L’école n’est-elle pas le lieu par excellence où chacun apprendrait à vivre ensemble dans un esprit de tolérance ?

A- t-on le droit au nom de la laïcité, de priver des citoyens de porter « leurs » signes sous prétexte qu’ils sont porteurs de significations . Est-ce parce que ces signes qui sont de nature religieuse déclenchent de mauvaises vibrations, rappelant des souvenirs ( conflits schismatiques) déjà bien refoulés dans l ’inconscient collectif ?

Y a-t-il alors une sémiologie du foulard ? Pour certains, le foulard est devenu signe de l’altérité, de l’infériorité, d’un rejet du discours assimilateur. Il est aussi vu comme signe de défiance à l’endroit d’une religion dévalorisée, aux ambitions hégémoniques et dont le projet de soumission de la femme est une caractéristique essentielle.

Cependant pour les musulmanes le port foulard peut signifier non seulement une démarche spirituelle, mais aussi tout simplement la perpétuation de normes vestimentaires prisées dans sa culture d’origine. Il signifie aussi l’expression de sa pudeur, refusant d’ apparaître comme un être uniquement sexué.

Frantz Fanon remarque toujours dans le livre Sociologie d’une révolution :  «  ce qui est (de la part des musulmans, rien que) volonté de singularisation, souci de maintenir intacte quelques morceaux d’existence nationale, est (pour le Français) assimilé à des conduites religieuses, magiques, fanatiques. »

L’espace public est perçu comme une aire d’où le foulard doit être banni ( particulièrement au niveau de l’école). Ces esprits « tolérants » sont disposés à étendre cette interdiction sur le lieu de travail. Ce qui ne manquera pas de priver la femme d’un pouvoir économique, contribuant ainsi à conforter le cliché d’une femme musulmane recluse, dépendante de l’aide des services sociaux. Alors que d’autres « communautés » sont autorisées à occuper l’espace public au nom de cette même laïcité. Ces autres « communautés » sont issues des composantes « de souche » de la société d’accueil, mais aussi de citoyens ayant réussi leur assimilation. Ces anciens autochtones du tiers monde pour la plupart issus des ex-colonies, ces « proto-français » de tous poils qu’on invite à adopter un certain mode de vie, à l’instar de ces petites « beurettes » complexées …

Mais l’argument le plus risible évoqué par certains laïques réside dans ce raisonnement fallacieux qui tente de démontrer que les principes de liberté peuvent cohabiter avec la « répression » dite « laïque . » Ce caquetage laisse entendre qu’ « étant chez nous ils doivent faire comme nous, et tout ce que nous voulons. » Risible, car nul part où les soixante millions d’européens se sont rendus, ils n’ont adopté les coutumes des habitants. Après 150 ans de présence en Afrique du Nord, la plupart des colons n’ont jamais daigné parler les langues locales. Ils avaient, il est vrai « une mission civilisatrice ».

Cette stigmatisation d’une communauté est relayée par certains politiques qui sont opposés à toute forme de « communautarisme ». Il est à noter qu’ils opèrent une distinction tout à fait « communautariste » entre le « nous » et « ces autres, porteurs de valeurs incompatibles avec les nôtres ,etc… »

Des discours hostiles sur lesquels s’appuient certains maires qui n’hésitent pas à refuser au nom de la laïcité des autorisations de construction de mosquées.

L’exploitation politicienne du débat autour du foulard, rencontre un écho auprès de certains français adeptes de l’illogisme du Front National. Un électorat particulièrement convoité. Cette rhétorique politicienne interpelle aussi certaines classes sociales défavorisées pour qui les arabo- musulmans ont « pris » leur place.

Mais soyons sérieux. Faire croire à l’opinion publique qu’enlever le foulard des têtes de quelques lycéennes pourra aider à restaurer la cohésion nationale, et ré-affirmer la laïcité, ou ré-établir la sécurité, relève tout simplement de la démagogie. Une manœuvre politicienne d’un grand cynisme.

La musulmane devenant à son corps défendant porte-drapeau de sa religion, se voit décoiffée et instrumentalisée. Elle doit payer le « prix du goût » pour assouvir les appétits de pouvoir de certains hommes politiques.

La France dérive à contre-courant de sa trajectoire historique. Certes, la législation française est respectueuse de la liberté de chacun, mais le projet de loi anti-foulard constitue une atteinte à la liberté religieuse. Il existe heureusement des citoyens français qui demeurent animés par d’authentiques principes humanistes. Saluons enfin, ces citoyennes françaises de confession musulmane qui restent fidèles à leur valeurs en manifestant sans complexe dans un environnement hostile pour la défense de leurs libertés individuelles.

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