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Louis Blin: “Les Français musulmans peuvent être fiers que le plus grand écrivain français respectait le Prophète et s’identifiait même à lui”

Entretien sur Oumma  avec Louis Blin,
auteur du livre “Victor Hugo et l’islam”, Ed Erik Bonnier 

Encore par trop méconnu, le vif intérêt pour l’islam du maître du verbe, l’illustre Victor Hugo, qui n’a cessé de croître sous sa plume inspirée et engagée, jusqu’à ériger le prophète Muhammad en modèle auquel s’identifier, est enfin dévoilé au grand jour par un historien, diplomate arabisant et fin connaisseur du monde arabe : Louis Blin.

Dans son dernier ouvrage « Victor Hugo et l’islam » (aux éditions Erick Bonnier), qui met en lumière l’importance de la place occupée par le Coran et son Messager dans l’œuvre littéraire monumentale du génie français des mots, cet auteur d’une dizaine d’essais – dont Alexandre Dumas Récits d’Arabie, Le monde arabe dans les albums de Tintin, aux éditions L’Harmattan et L’Arabie saoudite de l’or noir à la mer rouge aux éditions Eyrolles – explore avec brio la profondeur de cette passion insoupçonnée, voire savamment ignorée…

A travers l’entretien accordé à Oumma, Louis Blin, actuellement à la tête du programme de recherche Middle East Directions de l’Institut universitaire européen de Florence, lève le voile sur la source d’inspiration intarissable que fut l’islam pour Victor Hugo, au point d’avoir magnifiquement irrigué sa poésie et nourri sa quête éperdue de spiritualité. Une source d’inspiration telle, qu’elle a fait jaillir sous la plume de l’auteur des Misérables et de La Légende des siècles les plus belles pages jamais écrites par un non musulman sur l’islam et le prophète Muhammad. 

Dans l’introduction de votre livre sur Victor Hugo et l’islam, vous affirmez que l’étude de la littérature française a négligé la place qu’y occupe l’islam. Comment expliquez-vous cette négligence ?

La colonisation française de l’Algérie en est la raison principale. Les autorités françaises ont séparé les colons des autochtones sur le plan juridique, en faisant de la religion musulmane une ethnie. Elles institutionnalisaient le racisme religieux hérité du Moyen-Age pour exclure l’islam et ses adeptes de la francité.

Que la littérature française puisse être imprégnée d’islam contredisait l’édifice, donc on a occulté cette réalité de manière inconsciente pour consolider l’emprise coloniale. Il a fallu longtemps pour s’en rendre compte après la décolonisation, et l’islamophobie qui submerge l’Europe à l’heure actuelle exprime encore son refus de se rendre à l’évidence de la part musulmane et arabe de sa culture, bien antérieure aux grandes vagues migratoires du vingtième siècle. L’œuvre de Victor Hugo est victime de cette histoire.

Avant d’évoquer son intérêt pour l’islam, quel était le rapport de Victor Hugo à la religion en général ?

Victor Hugo n’a pas reçu d’éducation religieuse, mais sa quête spirituelle a commencé très tôt. La recherche de Dieu a guidé toute sa vie et son œuvre, car il assimilait les poètes aux prophètes et se croyait possédé par Dieu.

Profondément religieux, mais impossible à enfermer dans une religion donnée, Hugo rêvait d’une religion débarrassée des religions, en particulier d’un christianisme dont la pratique était devenue pour lui une caricature. Il était anticlérical au nom de la religion et non contre elle.

Même s’il reprend certains poncifs européens sur l’islam, l’intérêt de Victor Hugo pour cette religion se lit dans ses poèmes de jeunesse. Quelle connaissance en avait-il à cette époque ?

Il ne s’y intéressait guère, mais une lecture attentive de certains poèmes de son recueil de jeunesse Les Orientales montre qu’il aspirait déjà à comprendre la spiritualité de l’islam. Dans le célèbre poème Les Djinns, c’est la prière musulmane qui chasse ceux-ci et délivre du mal. Le poète promet de la pratiquer à son tour, si Mahomet le sauve des djinns.

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En 1846, à l’âge de 44 ans, Victor Hugo lit le Coran, ainsi que d’autres ouvrages consacrés à la religion musulmane. Vous écrivez que malgré la rareté des traductions françaises d’auteurs musulmans à l’époque, Victor Hugo a réussi à mieux comprendre le message de l’islam que la plupart des Français aujourd’hui. Quels sont ces auteurs qui ont influencé sa vision de l’islam ?

Avant tout, son ami Lamartine, qui avait découvert les musulmans durant son voyage en Orient en 1832, et qui publiera ensuite une biographie du Prophète. Hugo était également lié à un orientaliste de renom à l’époque, Ernest Fouinet. Mais c’est surtout sa propre méditation du Coran qui lui fera découvrir la spiritualité musulmane.

Dans son œuvre poétique majeure, La légende des siècles, vous soulignez que Victor Hugo tend à délaisser l’européocentrisme orientalisant de sa jeunesse. En quoi cela le distingue-t-il des autres auteurs de son époque qui traitent également de l’islam ? Comment cette religion est-elle abordée dans La légende des siècles ?

Hugo a conçu La Légende des siècles comme une épopée de l’humanité, dans laquelle il a réservé un chapitre à l’islam. Cela revenait à prendre le contrepied du courant majoritaire qui excluait cette religion de l’histoire et de la civilisation française, une conception raciste à laquelle Ernest Renan donnait à la même époque une caution scientifique. Pour Hugo, Orient et Occident, Islam et chrétienté, sont les deux faces d’une même pièce.

 Bien que Victor Hugo ait été fasciné par la spiritualité musulmane, il ne s’est pas pour autant converti à l’islam. D’où vient cette rumeur selon laquelle sa conversion à l’islam, 4 ans avant sa mort, aurait été occultée par un complot ?

Hugo est l’écrivain français le plus lu, commenté et célébré. Or, le Coran et son prophète reviennent à une centaine de reprises dans son œuvre. Pourquoi a-t-il fallu attendre 2023 pour qu’on s’en aperçoive, avec la parution de mon livre ? On peut comprendre que certains évoquent un complot, dans le contexte islamophobe de l’heure. La réalité est plus prosaïque. Notre époque peine à admettre le message de Victor Hugo : on n’a pas besoin d’être musulman pour respecter l’islam.

Les Français musulmans peuvent aujourd’hui être fiers que le plus grand écrivain français respectait le Prophète et s’identifiait même à lui, tout comme eux. L’important n’est pas de savoir si Victor Hugo est devenu musulman sur ses vieux jours, mais d’apprécier ce qu’il a apporté à la fraternité entre l’Orient et l’Occident. Ce legs méconnu ou même oublié fait de lui un antidote sans pareil au prétendu choc des civilisations, qui est en fait celui des ignorances.

Propos recueillis par la rédaction Oumma 

Louis Blin,  Victor Hugo et l’islam, Ed. Erik Bonnier 

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