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Décoloniser l’Islam de France

Dans leur ouvrage commun intitulé Marianne et Allah, une étude riche et variée sur l’islam institutionnel de France, le journaliste Aziz Zémouri et le sociologue Vincent Geisser concluaient leurs pages par un constat, formulé en ces termes : décoloniser l’islam de France.

Ce constat, aussi amer que juste, n’a guère changé ces vingt dernières années. Si l’on excepte l’UOIF, qui n’est organiquement lié à aucun Etat, et les quelques mosquées indépendantes, une grande partie des lieux de culte musulmans de l’hexagone sont assujettis à une tutelle étrangère.

Qu’il s’agisse de la Grande Mosquée de Paris, voix officielle d’Alger, du Rassemblement des Musulmans de France, grand vainqueur du scrutin et dont la réunion, en février dernier à Marrakech, a officialisé publiquement son allégeance au Roi Mohammed VI, ou du CCMTF (Comité de coordination des musulmans Turcs de France), affilié à Ankara, l’islam de France est davantage un islam consulaire qu’autochtone.

Une situation voulue, en grande partie, par le gouvernement français. En faisant des états d’origines, des acteurs incontournables de la question musulmane, le gouvernement privilégie la sous-traitance de l’islam hexagonal vers ses partenaires, face à l’émergence, jugée aventureuse, d’un islam autonome, dont il perdrait le contrôle.

La récente double visite du ministre de l’intérieur et des cultes, Michelle Alliot-Marie, à Alger et Rabat, à quelques jours des élections des CRCM (Conseils régionaux du culte musulman), pour « consultation », confirme cette vieille orientation politique de l’Elysée. Sarkozy, on s’en souvient, à l’époque ministre de l’intérieur, l’avait déjà réactivé, en allant chercher en Egypte une fatwa pour appuyer le texte de loi voté en mars 2004, qui visait à interdire le voile dans les établissements scolaire. Une initiative reprise dans la lignée d’un Chevènement.

Hors, il faut bien comprendre que cette tutelle récurrente de l’islam institutionnel, tue dans l’œuf l’intitulé et l’idée même d’un Conseil Français du culte musulman.

Pis, elle apparaît, au-delà de l’attitude méprisante affichée par les autorités françaises pour la communauté musulmane, comme un véritable anachronisme.

En langage diplomatique et politique, l’allégeance à une puissance étrangère est assimilée à de la haute trahison. Il semble que pour la question de l’islam, il n’en soit rien. Peut-être parce que la présence de ce troisième fils du monothéisme historique est encore considérée, dans la patrie de Voltaire, comme une présence étrangère et intrusive.

Ce bilan, une fois dressé, quelques propositions de solutions à l’impasse actuelle, paraissent indispensables.

Au préalable, il est nécessaire de clarifier ce que l’on entend par islam de France. Sur ce point précis, deux conceptions existent.

Une conception étatique et consulaire, visant à promouvoir un islam d’état, un islam dont le modèle historique se retrouve à l’époque coloniale.

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Une autre conception, culturelle et sociale, dont l’objectif est la prise en compte religieuse du contexte dans l’application des principes. Cette seconde conception, réformiste, qui doit être mieux défendue, signifie le refus de toute allégeance politique et de toute instrumentalisation, de l’institution religieuse, quelle qu’elle soit.

Seule cette autonomie pourrait garantir l’indépendance institutionnelle du CFCM et sa crédibilité auprès des musulmans de France.

Pour la rendre possible, il suffirait d’inscrire dans les statuts du CFCM un article mentionnant l’indépendance de l’institution à l’égard de tout état et de toute organisation étatique, ainsi que la fidélité de ses membres à l’égard de la communauté musulmane de France. Un engagement impliquant le triple respect des règles électorales, du résultat des urnes et des orientations du bureau, ainsi élu. Avec, en cas de violation statutaire, une exclusion sans réserve des ses auteurs.

Le retrait effectif de la Grande mosquée de Paris, à ces élections des CRCM, retrait annoncé en grande pompe par Dalil Boubakeur, représente un signe fort en ce sens. Il permettra d’ouvrir et d’inaugurer une nouvelle page de l’histoire institutionnelle musulmane, en France.

Ce qui manque à la GMP, c’est une nouvelle direction, capable de s’impliquer fidèlement dans la gestion du culte, loin de toute considération politicienne. Un penseur et humaniste tel que Mustapha Chérif, pourrait, par son approche religieuse et morale, aisément redorer son blason.

Toujours dans ce cadre de la réforme statutaire, une réaffirmation de la séparation laïque entre l’institution politique et religieuse, au sein du CFCM, paraît indispensable. Le CFCM, doit-on le rappeler, représente le culte musulman dans son aspect religieux et social, et non politique. Tel n’est pas son rôle.

Rappelons également, à ce sujet, que l’intervention originel du gouvernement dans la genèse du CFCM, par sa violation évidente du protocole laïc, reste le principal stigmate de cette institution auprès des fidèles, notamment ceux de la seconde et de la troisième génération.

Certains acteurs ont justifié cette intervention par l’incapacité réelle des organisations musulmanes à se réunir autour d’une même table. Cette constatation, pour aussi vraie qu’elle soit, ne justifie nullement une présence, ad vitam aeternam, du ministère de l’intérieur dans les réunions et les décisions du CFCM. Cette sortie officielle du gouvernement signifiera le véritable point de départ de l’institution religieuse.

Mais c’est sur un autre terrain que se jouera l’avenir d’une représentation religieuse de l’islam, en France. Celui de l’engagement réel et affirmé de ces citoyens des secondes et troisième générations, dans le travail associatif et l’émergence de nouvelles structures cultuelles, adaptées aux besoins des fidèles. Individualistes et trop souvent confinées dans une critique de principe, ces jeunes générations n’oeuvrent pas, ou peu, à la construction de cet islam dont le destin est dorénavant européen. Tant qu’ils se désengageront de la chose religieuse, le terrain sera toujours disponible à l’ingérence et à la tutelle, à la fois dogmatique et politique, des nations extérieures. C’est, entre autre, tout l’enjeu du prochain mandat, qui attend les futurs responsables du CFCM. 

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