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De la Turquie et du couple algéro-français

Ah, mes amis : quelle histoire ! Malgré les bisbilles habituelles, on pensait que les relations algéro-françaises étaient plutôt tranquilles ces derniers temps. Mais voilà que nos cousins turcs viennent de mettre leur grain de pistache dans cette longue histoire faite de polémiques et de reproches mutuels. Résumons rapidement pour celles et ceux qui n’ont pas suivi l’affaire. Les députés français de droite, soutenus par le président Nicolas Sarkozy et, j’insiste là-dessus, une bonne partie de leurs homologues de gauche, viennent de voter une loi qui punira quiconque nierait l’existence d’un génocide perpétré par les Ottomans à l’encontre du peuple arménien. Du coup, le gouvernement turc menace de faire adopter une loi punissant la négation du génocide du peuple algérien par les armées coloniales françaises.

Commençons par relever une première chose. Dès lors qu’il s’agit de la France et de sa politique étrangère, il n’est pas rare que la question algérienne se retrouve au milieu des débats (et cela sans que les Algériens aient leur mot à dire). Cela vaut pour tout le monde arabo-musulman mais aussi, de façon plus générale, pour tout ce que l’on désigne encore par le Tiers-monde ou le Sud. Ainsi, en février dernier, au plus fort de la polémique à propos des liens incestueux entre la classe politique française et le régime de Ben Ali, nombreux étaient les Tunisiens qui, dans leurs diatribes à l’encontre de la France, rappelaient au passage ce que fut la violence de la Guerre d’Algérie.

J’ai aussi en tête un autre exemple relevé lors de la crise ivoirienne avec ce propos outrancier – d’un partisan de Gbagbo : « En Côte d’Ivoire, la France fait pire qu’en Algérie ». Quoiqu’en prétendent les officiels français, le « travail de mémoire » de leur pays concernant l’Algérie n’a donc convaincu personne. C’est un fait que l’on ne peut guère nier : la France traîne encore son histoire algérienne comme un boulet honteux.

L’autre point qui mérite d’être relevé, même s’il est plus anecdotique, concerne le Premier ministre turc Erdogan. En prenant connaissance de ses déclarations à propos du passé de légionnaire de Pal Sarkozy (le père de Nicolas) et de sa présence en Algérie dans les années 1940, je n’ai pu m’empêcher de me dire qu’il s’agissait-là d’une réaction « à l’algérienne ». On dit souvent (certainement à tort) qu’en quatre siècles de présence, les Turcs, ou plutôt les Ottomans, n’ont laissé pour trace en Algérie que quelques familles, des milliers de mots désormais arabisés et une très bonne cuisine.

A ce legs, il faut désormais ajouter la manière ombrageuse, pour ne pas dire belliqueuse, d’appréhender les relations avec autrui, surtout quand ce dernier n’est guère sympathique ou digne de respect. « Iroh ichouf babah : Qu’il aille demander à son père ce qu’il a fait en Algérie dans les années 1940 ». C’est en gros ce qu’a dit Erdogan à propos de Sarkozy. Et les Algériens, dans leur grande majorité, ont applaudi parce qu’ils se sont reconnus dans le Premier ministre turc qu’ils considèrent désormais comme étant l’un des leurs. Une sorte de parent longtemps ignoré, ou oublié, et qui reprend sa place à la meïda familiale. De l’influence de la présence turque dans le comportement contemporain des Algériens. Voilà un beau sujet d’étude Mais revenons à la popularité d’Erdogan chez les Algériens.

Pour être honnête, il faut dire que j’ai tout de même vu passer quelques rares réactions qui lui étaient hostiles, notamment du fait de son appartenance à un parti islamiste (ou conservateur, pour reprendre sa propre définition). Ainsi, cet internaute qui, sur facebook, rappelait que la Turquie des années 1950, alors pilier de l’Otan, n’a pas soutenu la lutte du peuple algérien pour son indépendance. Une manière de renvoyer le Premier ministre turc à l’histoire récente de son propre pays, celle d’une rupture voulue par Atatürk avec le reste du monde arabe.

Cela étant précisé, il faut tout de même relever l’absence de réaction officielle algérienne ou de prise de parole d’intellectuels qui irait dans le sens de l’apaisement dans cette polémique franco-turque. Et l’on sera bien en peine de trouver une prise de position rappelant à la Turquie que la France et l’Algérie sont aujourd’hui des partenaires stratégiques et qu’il n’est pas opportun de chercher à semer la zizanie entre eux.

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De fait, cette pitoyable manœuvre électorale de Nicolas Sarkozy, cherchant à sécuriser le vote de la communauté arménienne de France, renvoie-t-elle aussi les Algériens à leur propre rapport à la France. A quelques mois de la célébration du cinquantième anniversaire de l’indépendance, il est peut-être nécessaire d’essayer d’y réfléchir de manière un peu plus sereine. N’est-il pas temps, par exemple, de se dire que les manœuvres dilatoires et les stratagèmes politiciens enclenchés de part et d’autre de la Méditerranée ne doivent tromper personne.

Ainsi, que dit actuellement tel ou tel officiel français quand il est en visite à Alger ? Il avertit tout simplement que son pays est entré en campagne électorale pour l’élection présidentielle et qu’il ne faudra pas que ses homologues algériens s’offusquent de ce qui s’y dira ou de ce qui s’y fera au nom du siphonage, par le candidat Sarkozy, des voix de l’extrême-droite.

Et que disent alors les officiels algériens ? Tout simplement qu’ils comprennent bien cette situation et, qu’eux aussi, pourraient être amenés à hausser le ton contre l’ancienne puissance coloniale en fonction de l’évolution de la situation politique interne de l’Algérie. En clair, ce qui se passe entre les deux Etats relève souvent du jeu convenu et de la passe d’armes à fleurets mouchetés. Car, en réalité, la relation algéro-française est bien plus solide et structurée qu’on ne le pense. C’est le cas, entre autre, du domaine économique dont on ne parle pas souvent alors que l’Algérie est l’un des rares pays au monde avec lequel la France présente un solde commercial positif

Tout cela pour dire que si la polémique franco-turque peut servir à échauffer les esprits et aider les uns et les autres à se défouler (notamment sur Sarkozy), il ne faut pas pour autant être dupe. La Turquie a son propre agenda notamment économique. La France et l’Algérie possèdent des intérêts communs malgré les incompréhensions, les malentendus et les offenses réciproques. Dans moins de trois mois, sera célébré le cinquantième anniversaire du cessez-le-feu du 19 mars. Cela donnera certainement l’occasion à de nouvelles polémiques qui donneront à penser que rien ne va plus entre Alger et Paris. Il faudra alors raison garder et attendre que cela passe… D’où l’importance de ne pas se laisser piéger par une polémique franco-turque qui, à bien y regarder, ne concerne pas, ou si peu, les Algériens.

Le quotidien d’Oran

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