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De la conversion à l’Islam

Ce n’est pas de la conversion réelle, effective, d’une personne à l’islam dont je vais vous parler aujourd’hui. La conversion à partir de quelque religion que ce soit vers quelque religion que ce soit est – devrait être – un acte privé, librement consenti, n’engageant que celui qui le fait dans une relation verticale avec son Dieu.

J’ai envie de vous parler ici d’une autre forme de conversion, d’une conversion forcée en quelques sortes : celle de la conversion « imaginaire », supposée, des chercheurs et autres agents ou acteurs publics qui travaillent sur l’islam, gèrent des dossiers concernant l’islam, sont en rapports professionnels avec des musulmans.

Pour de nombreux d’entre nous, chercheurs, praticiens, nous développons sur la question de l’islam en général non pas des « points de vues », des « opinions », mais un discours fondé sur l’étude et la connaissance du milieu sur lequel nous travaillons ; certains – au demeurant assez rares – portent en outre une parole politique fondée – par exemple – sur le concept de citoyenneté de résidence, qui s’ajoute à l’égalité de traitement et de neutralité dans la gestion des dossiers que beaucoup d’entre nous réclament et pratiquent au quotidien.

Il semble que ces discours et ces pratiques, un peu à contre-courant il est vrai, soient particulièrement dérangeants puisque, tout au moins dans la mesure où l’on ne développe pas un discours « a priori » négatif sur l’islam, l’on cherche à les expliquer nos analyses, nos propositions, par des motifs tirés de la vie privée, bien souvent imaginaire, de ceux dont on parle.

Quelques exemples vont éclairer mon propos.

Je reviendrai tout d’abord ici brièvement sur une légende qui me paraît véritablement archétypique : celle de « l’amant turc » prêté à une ancienne ministre, liaison qui aurait expliqué (« mais oui mais c’est bien sûr ! ») ses prises de positions politiques sur l’immigration, la construction de lieux de cultes musulmans, la participation des étrangers à la vie politique de la cité.

Cette histoire, dégradante pour ceux qui l’ont colportée dans ce qu’elle révèle de leur mentalité et de leurs méthodes, me paraît véritablement emblématique  en ce qu’elle en dit plus sur les porteurs de ragots que sur celle qui en était l’objet : incapables d’imaginer un horizon politique différent de celui qu’ils voient de leurs fenêtres, sans projet, sans idéal, ils discourent sur  la liberté, l’égalité et la fraternité à perte de vue… tant que la seule idée d’un minaret ne vient pas faire d’ombre à leurs pots de géraniums sagement rangés devant la fenêtre depuis laquelle ils contemplent le monde.

Apparemment incapables d’imaginer que l’on puisse agir par conviction, par idéal politique ou social, que l’on puisse s’intéresser à autre chose que ce que l’on est soi-même, que l’on puisse prendre de la distance par rapport à soi et à ses valeurs d’origine, ils ne voient pas autre chose qu’un intérêt purement personnel, et si possible d’ordre privé, qui puisse animer une conscience, ce type de discours leur permettant de plus de broder avec facilité sur l’imaginaire de la sexualité coloniale – la sexualité débridée de l’indigène à laquelle certaines (voire certains) succomberaient au prix de leur raison et de leur autonomie de jugement. Etroitesse et petitesse semblent être les deux mamelles taries de cette politique.

Il en est de même de la « conversion à l’islam » de nombreux chercheurs et « praticiens » du fait musulman.

Je tiens à préciser une chose afin que mon point de vue soit bien clair : une conversion à l’islam n’est pas en soi problématique ; ce qui l’est, c’est que l’argument d’une conversion réelle ou supposée soit utilisé pour discréditer les travaux (universitaires ou autres) de celui qui les produit, ou pour « expliquer » et surtout condamner les propositions qu’il peut faire dans le domaine qui est le sien.

Je vais en donner quelques exemples.

Ainsi, même après sa mort, Bruno Etienne fait l’objet de rumeurs sur une conversion supposée, certaines d’entre elles au demeurant assez théâtrales. Gloser sur cela permet d’éviter de réfléchir plus avant à ce qu’il a écrit au moins autant – sinon plus ! – sur nous-mêmes que sur l’islam, sur notre perception des phénomènes sociologiques et politiques, sur la religion de l’autre, sur la Franc-maçonnerie. Evitons de penser, cela pourrait nous déranger.

J’ai également entendu dire, par des élus de la République, à propos d’un directeur de recherches au C.N.R.S. que je ne nommerai pas car il est toujours vivant, que ses positions en faveur de la construction d’une mosquée s’expliquaient car il était converti à l’islam – étant ici précisé qu’il est en réalité catholique pratiquant. Un jour où il prenait la parole en ce sens, ces élus me demandent : « C’est lui ˝le˝ converti ? C’est vous qui l’avez invité ? Moi, des chercheurs comme ça je vous en trouve une douzaine… »

Ces mêmes élus pensaient en réalité à Eric GEOFFROY, dont la conversion à l’islam n’est un secret pour personne et qui, « comme tous les convertis » était un « fanatique »… ces deux mots (converti et fanatique) allant « bien entendu » de pair dans certains esprits. Quand on connaît Eric GEOFFROY ! Et qui plus est quand on l’a lu… Comment pouvoir imaginer de tels propos ?

Mais il est vrai que tout le monde ne lit pas, du moins pas autre chose que ce que l’on trouve dans certains journaux dont un directeur déclarait « Je suis un peu islamophobe, ça ne me gêne pas de le dire. (…) J’ai le droit, je pense (et je ne suis pas le seul dans ce pays), à penser que l’Islam, (je dis bien ” l’Islam “, je ne parle même pas des islamistes) en tant que religion, apporte une certaine débilité (…) qui en effet me rend islamophobe. (…) Il n’y aucune raison, sous le prétexte de la tolérance, (…) de s’abaisser jusqu’à renier des convictions profondes. “ C’est plus simple, ça ne choque personne, ça fait même rire grassement parfois. Croire que l’on a de l’esprit évite au moins de chercher à en avoir.

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Un autre exemple concerne l’ancien directeur de cabinet de la ministre dont je parlais plus haut : très investi localement dans le projet de construction d’une grande mosquée, son travail, ses prises de positions, ont rendu perplexes certains politiques (du camp adverse…) à tel point qu’ils ont un jour interrogé un adjoint au maire en lui demandant si ce fonctionnaire était en passe de se convertir à l’islam. La réponse ironique de cet élu : « Vous en saviez pas que c’est déjà fait ? », les a rendus plus perplexes encore…

Le cinquième exemple me concerne directement.

Durant plusieurs années ces mêmes méthodes ont été utilisées à mon endroit : dans le passé, j’ai eu en effet des employeurs qui n’ont pas hésité à aller se renseigner auprès de mon entourage pour connaître mes opinions politiques ou religieuses – surtout ! – qui semblaient leur poser problème. Comment expliquer autrement que par un intérêt personnel, en effet, que je demande pour une partie de nos compatriotes ou résidents l’application de la loi ? « Rien que la loi mais toute la loi » : cela paraissait apparemment totalement incongru.

Les notes que je pouvais rédiger en rappelant que telle association musulmane avait, précisément, aussi des droits revenaient par exemple accompagnées d’un « post it » : « La rédaction de cette note est étonnante non ? » Oui, il semble étonnant à certains de considérer que l’on puisse être Français ou résider dans notre pays, être musulman, et avoir le droit de construire un lieu de culte, de pratiquer sa foi… Il semble étonnant que l’on puisse demander cela si l’on n’est pas soi-même musulman !

Des enquêtes, pas toujours privées, ont été diligentées sur mon compte… « Le problème avec Jean-Michel CROS, ce n’est pas qu’il est proche des musulmans, c’est qu’il est proche des islamistes… » me rapportait-on benoîtement, en me disant que je devrais quand même faire attention à mes fréquentations… Il est vrai, je l’ai raconté ici, qu’un auteur approximatif m’avait rangé dans l’un de ses livres parmi les convertis français célèbres. « Le converti à l’islam et sans doute soufi Jean-Michel CROS… » comme j’ai pu le lire un jour sur Internet…

« Il s’est converti à l’islam depuis peu… d’ailleurs regarde sur quels dossiers il travaille ! »  affirmait récemment de façon péremptoire une jeune femme à une amie. Cela devait être dit avec tant de conviction que cette amie est venue me voir, très inquiète, pour me demander ce qu’il en était réellement… J’ose à peine imaginer, si l’on dit cela de moi parce que je travaille sur l’islam, ce que l’on peut dire de mes collègues qui travaillent à la propreté. Il est bon parfois de raisonner par l’absurde.

Etre partisan de l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne, cela bien sûr interroge : outre la question récurrente de ma conversion à l’islam, s’est posée pour d’aucuns celle de savoir quels étaient mes intérêts économiques ou immobiliers dans ce pays : avais-je un appartement à Istanbul ? avais-je une maîtresse voire un amant turc ? A moins que je ne travaille pour les Renseignements Généraux – qui n’existent plus…

Arrêtons là.

Je précise quand même à ce stade et à toutes fins utiles que j’ai pris la précaution de solliciter un certain nombre de témoignages écrits des personnes qui me rapportaient ces faits. Et j’invite tous ceux qui sont dans mon cas – qui n’est pas isolé – à en faire autant. A bon entendeur salut.

Tout cela pourrait sembler grotesque. Cela ne l’est pas. Ces extravagances révèlent la ruine des valeurs qui sous-tendent la République libérale – au sens politique du terme – le respect de la vie privée, des libertés publiques telle la liberté de conscience, elles révèlent la persistance à refuser de penser l’islam dans la République, « islam » ou « musulman » étant dans cette conception des catégories discriminantes et délégitimantes.

Elles fondent les politiques de discrimination qui entraînent l’examen les demandes des administrés non en fonction de critères objectifs mais selon la confession du pétitionnaire, l’examen des points de vues exposés non pas en fonction de leur contenu mais en fonction d’une religion que l’on nous impose – qui nous en soyons des fidèles ou pas, peu importe. Peu à peu se multiplient ainsi des exceptions au droit qui finissent par créer un droit d’exception à l’encontre d’une catégorie de la population, catégorie aux contours fantasmatiques puisqu’on y inclut tous ceux qui portent un autre discours que celui ce la vulgate islamophobe.

Alors que la laïcité fait par ailleurs l’objet de véritables incantations, des gribouilles assignent un statut confessionnel à telle ou telle personne, avec impossibilité pour elle d’en sortir à moins de tenir un discours islamophobe. Si c’était le cas, ne croyez pas pour autant en être quitte : à ce moment là, le registre changera et on entonnera avec des airs entendus le couplet du double langage que tiennent seuls, bien entendu, les musulmans et autres Turcs de profession.

Je crois aujourd’hui que le silence que j’ai observé contre ce type d’arguments a été une erreur. « Never complain, never explain » était une règle de vie impérative, apprise dès l’enfance : j’ai eu tort de la suivre. Le silence permet en réalité que de telles méthodes perdurent en toute légitimité – du moins du point de vue de ceux qui les commettent. Il faut les dénoncer publiquement pour ce qu’elles sont : des arguments à deux balles de basse politique.

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