Alors qu’en Europe, les mosquées sont en grande partie fréquentées par des musulmans de souche, immigrés de pays musulmans, la mosquée de Santa Cruz de la Sierra, deuxième grande ville de Bolivie, compte avant tout par des Boliviens convertis parmi ses fidèles. Eclairage sur ceux-ci et sur la situation de l’islam en Bolivie.
Vendredi, début d’après-midi. La prière du vendredi vient de prendre fin, et les fidèles sortent de la salle de prière pour récupérer leurs chaussures. Les femmes sont toutes voilées de près, et, avec leurs grands yeux noirs et leurs rondeurs naturelles, elles ressemblent curieusement à leurs sœurs musulmanes du sud de la Méditerranée. Pourtant, elles sont toutes Boliviennes, converties à l’Islam.
Dans une ville comme Santa Cruz, où le dernier recensement du département en 1992 compte plus de 79% de catholiques, se convertir à l’islam n’est pas anodin. Encore plus curieux de constater que, selon les dires de l’imam et d’un fidèle de la mosquée, la grande majorité des musulmans fréquentant la seule mosquée de la ville sont des Boliviens convertis. Selon Ramiro, qui fréquente la mosquée depuis une bonne dizaine d’années, sur les 300 membres, seule une petite minorité est composée de familles originaires de pays arabes ou musulmans, dont l’Inde et le Bengladesh.
Il fait bon vivre l’islam en Bolivie, explique l’imam
L’imam de la mosquée de Santa Cruz de la Sierra est formel : il vaut mieux être musulman en Bolivie qu’en Europe. Alors que selon lui, celle-ci s’enferme dans sa haine de l’islam, la Bolivie reste un pays accueillant, démocratique et où la liberté de confession est garantie. Il faut dire que le nombre des étrangers en Bolivie est très faible, et nous avons vu que la population musulmane y est en majorité formée de convertis. Mais ce détail importe peu à Mahmud Amer, d’origine palestinienne, fondateur de la seule mosquée de Santa Cruz.
Mahmud Amer ne sait pas combien il y a de musulmans en Bolivie, car les recensements ne sont pas très précis sur ce sujet. Mais cela lui importe peu. « Cela ne nous préoccupe pas de savoir combien nous sommes. La force de l’islam réside dans sa valeur morale », lance-t-il.
A la question de savoir si l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales et sa nouvelle Constitution reconnaissant la pluralité religieuse du pays a changé la vie des musulmans en Bolivie, Mahmud Amer répond par la négative. La liberté de culte existait même avant Evo Morales, même si la seule religion d’Etat reconnue était alors le catholicisme.
Malgré son enthousiasme affiché, l’imam doit bien reconnaître que, s’il jouit d’une paix quasi-totale dans la gestion des affaires de sa mosquée, il ne peut pas non plus compter sur une quelconque aide de l’Etat, qui « n’a pas l’habitude d’aider les confessions », avoue-t-il. « Le gouvernement se décharge de ses responsabilités, cela ne sert donc à rien de lui demander quoi que ce soit », ajoute-t-il. En échange, la flexibilité du système et la non-intervention du gouvernement dans ses affaires lui permet de jouir d’une liberté de gestion qu’il apprécie hautement.
Sa mosquée, qui existe depuis 1994, compte quelque 300 membres, et la prière du vendredi attire régulièrement une bonne cinquantaine de personnes, dont une grande majorité de Boliviens convertis. Et loin des phénomènes de syncrétisme qu’on peut voir dans le catholicisme populaire bolivien, qui a souvent intégré des éléments des cultes traditionnels rendus à la Pachamama, l’islam en Bolivie se coupe totalement de ces religions jugées idolâtres, de même que du catholicisme, lui-même expression de l’idolâtrie selon Mahmud Amer, puisque les chrétiens rendent un culte à Jésus.
Parcours de trois convertis
Mais quels peuvent donc bien être les raisons qui poussent des Boliviens à rejoindre l’islam ?
Ana a 28 ans. Sa conversion est toute récente, puisqu’elle date de janvier 2010. Elle a connu l’Islam en août 2009, à travers celui qui allait devenir son mari. Egyptien d’origine, ce dernier vit actuellement en Arabie saoudite, où il est parti travailler peu après leur mariage. Le projet du jeune couple est de quitter définitivement la Bolivie et d’aller s’établir en Arabie. En attendant, Ana fréquente la mosquée, et apprend les bases de l’arabe. Loin d’être inquiète de quitter son pays pour une terre parfaitement inconnue, la jeune femme, qui n’a encore jamais franchi les frontières de son pays, se réjouit d’aller habiter un pays dans lequel elle pense pouvoir se sentir plus en harmonie, puisque musulman.
Lorsqu’on lui demande ce qu’elle reprochait au catholicisme et pourquoi elle s’est convertie, elle répond qu’elle a trouvé beaucoup de contradictions dans la Bible. Et que la religion chrétienne ne reste bien souvent que paroles mais peine à prendre acte. Par exemple, selon Ana, la Bible invite les femmes à se couvrir la tête, mais les chrétiennes ne le font pas. La Bible dit également qu’il ne faut pas consommer de viande de porc, ce que n’appliquent pas non plus les chrétiens.
Avant de se convertir à l’islam, Ana n’a jamais été pratiquante. C’est la rencontre avec l’islam, via son mari, qui l’a décidée à choisir une pratique religieuse. Ana est licenciée en comptabilité et travaille. Son mari est d’accord avec l’idée qu’elle continue à travailler, même une fois installés en Arabie saoudite, m’assure-t-elle.
Ramiro s’est converti en octobre 1996. Il était en quête de Dieu ; à travers sa recherche, il a eu l’occasion de s’intéresser à l’animisme, ou encore au bouddhisme. Chrétien d’origine, il n’était pas satisfait de son appartenance religieuse. Un jour, son frère lui a offert un Coran. Ramiro l’a lu entièrement et, quand il l’a terminé, a décidé que là était la réponse, la foi qu’il cherchait depuis longtemps. Il a connu alors ce qu’il appelle lui-même un « délire mystique », une extase. Depuis ce moment, dit-il, il est « entre les mains de Dieu ». Il s’est converti seul, sans appui d’aucune mosquée ni d’aucun imam. Il vivait alors dans la ville de Cochabamba, qui ne comptait aucune mosquée ni centre de prière. Ce n’est que plus tard qu’il est venu vivre à Santa Cruz pour des raisons de travail, et qu’il s’est rapproché de la mosquée. Il accomplit toutes les pratiques de l’islam, fait ses cinq prières par jour et observe le jeûne du Ramadan.
Il a d’abord connu quelques réactions négatives de la part de sa famille ou de ses amis. Mais avec le temps, ceux-ci se sont habitués au fait qu’il ne partagerait plus de bière avec eux. Ils l’invitent de nouveau à leurs fêtes, et l’acceptent tel qu’il est. Ramiro a 44 ans, il est célibataire mais vit en concubinage avec une Bolivienne qui « croit en Dieu mais n’appartient à aucune religion ». Selon lui, il n’est pas le seul membre de la mosquée à vivre cette situation de couple mixte, vivant avec un partenaire non musulman.
Alejandra a 29 ans et est d’origine colombienne. Elle s’est convertie il y a quatre ans et demi. Elle était en quête de la vérité et cherchait sa voie dans les livres, se documentant sur les différentes religions. Le catholicisme ne la comblait pas, et elle ressentait le besoin de chercher ailleurs. Cela fait maintenant sept ans qu’elle a commencé sa quête. Elle s’est finalement mise à fréquenter la mosquée de sa ville en Colombie, et s’est convertie au bout d’une année. A la suite de sa conversion, elle a connu un Bolivien lui aussi converti à l’islam, qu’elle a épousé il y a une année et demi en Colombie et qu’elle a suivi ici en Bolivie, où elle vit avec lui.
Selon Alejandra, l’islam traite mieux la femme que le christianisme. Dans la société actuelle, « la femme est en péril, elle est considérée comme un objet ». Dans l’islam, la femme est vue comme une personne, nous dit-elle. Alejandra travaille comme indépendante, avec son mari. Pratiquante, elle ne sort pas dans la rue sans son foulard. A la question de savoir si les gens l’acceptent facilement et quelles sont les réactions dans la rue, elle répond que le fait qu’elle porte le foulard rend les gens curieux, et que plusieurs se sont déjà approché d’elle pour lui poser des questions sur son choix. Plusieurs personnes qui sont venues lui parler dans la rue ont fini par venir à la mosquée.
Une situation semblable dans la capitale
La situation n’est pas très différente à La Paz, où sur les quelque 80 membres fréquentant l’Association de la Communauté islamique de Bolivie, seuls quatre sont originaires de pays musulmans. L’association existe depuis 17 ans, mais fonctionne légalement depuis 2004 seulement. Elle se contente d’une salle de prières et n’a pas les fonds pour s’offrir les services d’un imam originaire de l’étranger. Les membres qui dirigent la prière du vendredi sont donc des Boliviens convertis. Leur savoir leur vient de ce qu’ils ont appris « entre frères », de la lecture du Coran et de la Sunna et d’autres ouvrages ainsi que de ce qu’ils trouvent sur internet. L’association ne bénéficie d’aucune aide financière, que ce soit du gouvernement bolivien ou d’organisations musulmanes de l’étranger. La seule aide qui leur parvient est l’envoi d’exemplaire du Coran édités en Arabie Saoudite.
Outre cette association qui regroupe les musulmans sunnites, La Paz compte encore un petit groupe d’une vingtaine de chi’ites, de même qu’un centre du mouvement Tabligh. Mais les uns ne fréquentent pas les autres. Les relations avec le reste de la société sont présentées comme harmonieuses. L’Association participe depuis trois ans environ à un groupe de dialogue interreligieux, auquel participent également aymara, chrétiens, juifs et hindous. Elle est bien implantée dans son quartier, où elle mène quelques actions de bienfaisance, comme de nettoyage et d’entretien. Il arrive que le gouvernement les invite pour donner des conférences ou participer à des rencontres.
Par contre, les femmes du centre ne se voilent pratiquement pas en-dehors du centre de prières. Seules deux femmes le font quotidiennement. Aux dires d’Ahmad Ali, Bolivien converti et président de l’association, cela serait perçu bizarrement par la population de voir des femmes voilées. Ahmad Ali est son nom d’emprunt musulman. Ahmad porte également un prénom et un nom boliviens, qu’il continue à utiliser dans sa vie de tous les jours. En effet, il est très compliqué de changer de nom, et même de prénom, raison pour laquelle il a dû garder ses nom et prénom de naissance.
Dans le reste du pays, la présence musulmane est très limitée. On compte une salle de prières à Sucre, et une autre à Cochabamba, selon les dires de l’imam de Santa Cruz.
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