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« Aucune loi qui restreint la liberté d’expression »…Sauf lorsqu’il s’agit d’Israël

Le conflit israélo-palestinien a engendré beaucoup de susceptibilités inflammatoires ces derniers jours. Depuis l’annonce de la création d’un Etat palestinien, les éditoriaux et autres reportages provoquent l’ire des officiels israéliens et de la communauté juive. En France, un récent reportage sur France 2 montrant la situation des Palestiniens a fait l’objet d’une campagne de censure et de boycott. Aux Etats-Unis, Nicholas Kristof, journaliste réputé du New York Times, a publié le 5 octobre dernier, un article intitulé « Israël est-il son propre pire ennemi ? » où il déclare que « le Premier Ministre Benjamin Netanyahu est en train d’isoler son pays et, pour être honnête, sa politique sur les colonies ressemble à un suicide politique national ».

David Harris, de l’American Jewish Committee, une des plus vieilles organisations juives américaines qui veille à la sauvegarde des intérêts juifs à travers le monde, répond par un article sur le Huffington Post et le Jerusalem Post que « Nicholas Kristof émet de furieuses accusations ».

De toute évidence, les critiques passent mal. Toutefois, lorsque le ton s’enflamme sur des blogs ou à travers des reportages, cela reste à un niveau intellectuel et chaque lecteur et spectateur peut se forger sa propre opinion. Le danger naît par contre lorsque non seulement on appelle à boycotter toute une chaîne de télévision comme France 2 mais aussi lorsque l’on condamne judiciairement des étudiants parce qu’ils ont osé interrompre le discours d’un officiel israélien en utilisant le même moyen que celui dont on accuse les protagonistes : la censure.

Cela s’est passé aux Etats-Unis, l’affaire étudiée ici porte le nom d’Irvine 11 car il s’agit de onze étudiants qui ont, à tour de rôle, interrompu le discours de Michael Oren à l’université d’Irvine en Californie, le 8 février 2010. L’affaire a fait beaucoup de bruit alors mais le verdict rendu le 23 septembre dernier, n’a pas reçu autant d’attention. Le jour du 23 septembre 2011, donc, au moment où la Palestine revendiquait l’indépendance de son territoire au sein de l’ONU, on délibérait sur le sort de onze étudiants, la plupart d’origine palestinienne. Des étudiants qui ont manifesté pour la Palestine en interrompant le discours de l’ambassadeur israélien aux Etats-Unis, Michael Oren. Après quarante-huit heures de délibérations, le jury a finalement statué que les étudiants s’étaient rendus coupables de censure et complot en vue de censurer l’intervention de l’ambassadeur. Les charges ont été retenues contre dix d’entre eux, le onzième ayant bénéficié d’un marché antérieur avec la partie adverse et dont les charges ont été abandonnées.

 

Mais que s’est-il passé exactement ?

Le 8 Février 2010, université d’Irvine en Californie. La tension est à son comble sur le campus. Ce soir, l’invité d’honneur est Michael Oren, ambassadeur d’Israël. Michael Oren a fait partie de l’armée de défense israélienne pendant la guerre du Liban en 1982. En 2008, lors de l’invasion de Gaza, il servira de lien avec les médias. En mai 2009 il est désigné ambassadeur d’Israel aux Etats-Unis par Benyamin Netanyahou qui l’envoie faire une tournée aux Etats-Unis afin de redorer le blason d’Israel fortement affecté par les condamnations internationales. L’université d’Irvine fait partie des escales de cette campagne de sensibilisation. Le conflit israélo palestinien a souvent eu des échos sur le campus et ce soir ne fera pas exception. La sécurité est présente partout. L’ambassadeur est accueilli dans le plus grand auditorium, 700 personnes sont là pour l’écouter relater la relation entre les Etats-Unis et Israël.

Il entame son discours et, dans la foule, un jeune homme l’interpelle « Michael Oren, faire l’apologie du meurtre n’est pas une forme de liberté d’expression ! » Le jeune homme replie sa note et se rend volontairement entre les mains des policiers qui lui font signe de les accompagner. La foule est partagée entre applaudissements et sifflements d’indignation. Le président de l’université intervient avant de tonner « honte sur vous » à l’adresse des étudiants. L’ambassadeur reprend et, pour montrer qu’il ne se fera pas taire, dit « nous ne sommes pas à Téhéran ». Au milieu du récit d’une seconde anecdote politique, un autre étudiant l’interpelle « Israël est meurtrier ! Honte à l’université qui vous accueille ! » Puis, comme son prédécesseur, sort accompagné de deux policiers. L’ambassadeur quitte l’estrade, les chahuts reprennent de plus belle, mais il revient. Les interruptions s’enchaînent et très vite dix puis onze étudiants seront escortés avec une foule de protestataires qui les suit et passe devant un cordon de professeurs dont certains leur clament « je vous donne une note éliminatoire. Vous échouez avec moi, vous échouez ! »

L’ambassadeur reprend son discours dans le calme, l’ensemble des interruptions a coupé son temps de parole de dix minutes. Plus tard, les officiels de l’université diront que l’ambassadeur a quitté plus tôt que prévu à cause des interruptions et sur cette base, décideront de mettre à pied les étudiants et de suspendre les activités de l’union des étudiants musulmans de l’université pour avoir aidé à l’organisation de la censure. Cette dernière encourt une probation de deux ans aujourd’hui. Linda Moreno, avocate et membre du corps de défense des étudiants, expliquera que si l’ambassadeur avait quitté, c’était en réalité pour ne pas arriver en retard au match de basket de l’équipe des Lakers ce soir-là[2].

La sanction académique des étudiants est suivie quelques semaines plus tard, d’une poursuite en justice de la part du Procureur général du comté, Tony Rauckackas. Le bureau de ce dernier mènera une campagne médiatique sans merci, qualifiant les étudiants d’anti-sémites, il les comparera également au Ku Klux Klan et dans une vidéo sur Youtube, l’avocat de la partie civile, Dan Wagner, mentionnera les faits reprochés aux étudiants avant de les déclarer coupables.

Cela avant tout jugement et procès. Rappelons que la présomption d’innocence est un droit et non une simple figure de style. Mais cette affaire n’en est plus à une dérogation près. Les stéréotypes fusent, les étudiants ramenés à leur « islamité » sont en plus qualifiés de terroristes. Il faut dire que la présence d’un Osama parmi eux a vite fait pencher la balance ainsi que l’approche du dixième anniversaire du onze septembre. Dans ce comté majoritairement républicain, l’émotion qu’interpelle la plus basique caricature du cocktail islam, Palestine, Osama, produit un effet spectaculaire, et c’est, il faut s’y faire, le stéréotype et la caricature qui l’emporteront dans cette Cour. Il s’en est fallu de peu pour que les étudiants n’encourent une peine d’un an de prison ferme, comme des criminels. Ledit crime ? La censure.

Un groupe de soutien est né de cette affaire, le Stand With the Eleven. Sa porte-parole, Kifah Shah nous a dit avoir reçu un appui très important de la part de l’ensemble de la communauté des étudiants de Californie du Sud, de divers groupes civiques tous choqués de l’ampleur de l’accusation. L’oganisation Jewish for Peace va également prendre part aux différents appels à non-lieu adressés à la Cour. Kifah nous a dit que la campagne de soutien des étudiants a reçu 60 000 dollars de dons de particuliers. Au tribunal, le juge Wilson s’est montré particulièrement compréhensif. Il a considéré qu’une peine d’emprisonnement était beaucoup trop sévère pour des jeunes au casier vierge et qui font un travail communautaire remarquable : rappelons que beaucoup parmi eux font soit partie de l’organisation des étudiants musulmans de leur université soit partie d’autres organisations étudiantes et s’avèrent être des étudiants brillants.

Il n’en demeure pas moins que la sentence est lourde, surtout de sens. Critiquer Israël est devenu illégal en plus d’être politiquement incorrect. Le plus troublant dans cette histoire est que l’on fasse le procès de la critique d’un pays étranger alors que remettre en cause la politique américaine est tout à fait légal. Nous sommes en droit de nous interroger sur la souveraineté même des Etats-Unis mais surtout sur l’avenir de la liberté d’expression dans ce pays. Les répercussions de cette affaire ne se limitent pas aux destins interrompus des étudiants mais à l’ensemble des principes américains dont le premier amendement de la Constitution est le fer de lance. Curieusement, le premier amendement garantissant la liberté d’expression est celui-là même que l’accusation a utilisé contre les contestataires. Ces derniers ont été accusés de censure et complot politique en vue d’empêcher l’ambassadeur israélien de s’exprimer. Leur droit propre à l’expression, personne ne s’en préoccupe.

« Pour nous ces hommes représentent notre lutte pour les droits civiques dans ce pays » dit une jeune étudiante aux portes du palais de justice. « Nous Palestiniens, perdons toujours » dit la mère d’un des accusés. Les étudiants et leurs avocats n’en resteront pas là. Ils décident de faire appel pour réclamer justice. Ils ont peur pour l’instant, nous a déclaré Kifah Shah, de porter leur cas à la Cour Suprême, ils souhaitent en priorité retrouver un casier vierge. « Les étudiants que je connais ont peur à présent de manifester ou faire quoique ce soit. Il y a un avant-après cette affaire ici » ajoute-t-elle.

Comment l’affaire a été présentée et ce que cela signifie :

Dans les médias, il a été immédiatement relaté que « des musulmans » ont interrompu le discours de Michael Oren. Une fois n’est pas coutume, les musulmans deviennent une catégorie ethnique, un label. De nouveau, on réduit le geste politique moral à un combat religieux. Le procureur a voulu placer les étudiants dans la case de terroristes qui ont « comploté » pour mettre fin au discours de l’ambassadeur. Qui sait s’ils n’allaient pas commanditer un meurtre aussi ? En réalité, les étudiants qui se sont opposés à la présence de Michael Oren dans leur université, ne l’ont pas fait par conscience religieuse mais par courage moral.

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Ils sont d’origine palestinienne pour la plupart et certes, font partie de l’union des étudiants musulmans, mais comme le dira l’un d’eux lors d’une interview radiodiffusée, « je ne suis pas intervenu en tant que musulman ou au nom de l’union des musulmans mais comme citoyen offusqué que son université fasse la promotion d’un criminel de guerre ». Les étudiants expliqueront qu’ils ont été choqués que leur université accueille le représentant d’Israël, alors que l’invasion de Gaza était encore un fait récent. La plupart de ces étudiants ont eux-mêmes perdu des membres de leur famille en territoire occupé. Ils ont donc estimé de leur devoir de « donner une voix à ceux qui n’en ont pas » et contester la présence et le discours bienpensant du représentant officiel d’un pays unanimement condamné par les instances internationales pour crime de guerre. Ces étudiants n’ont donc pas hurlé « Allah Akbar » ou « vive le jihad ». Non. Comme d’autres ont fait avant eux, ils ont fait ce qui s’appelle « dire la vérité à l’autorité » et donner une voix à ceux que l’on a réduit au silence.

Il est important de rappeler ici que le conflit israélo-palestinien est au cœur de la relation Etats-Unis/Monde arabo-musulman et que tant que les Etats-Unis n’adoptent pas une position plus équilibrée dans ce conflit, il continuera d’être le terreau d’extrémismes des deux bords. Cette affaire est un reflet au plan local de ce qui se passe internationalement et d’un certain raz-le-bol notamment chez les jeunes d’un deux poids deux mesures.

Certains articles traitant du procès parlent de relents islamophobes car il y a des précédents dans le comté d’Orange : en mars 2011, un rassemblement s’est tenu aux portes d’une soirée caritative organisée par des organisations islamiques. Certains manifestants ont appelé au meurtre des musulmans après les avoir tour à tour insultés et qualifiés de terroristes. Le traitement de cette affaire, qui plus est dans un comté si conservateur, est un élément qui conforte la présence d’un climat de plus en plus islamophobe aux Etats-Unis.

Un rapport sur l’islamophobie aux Etats-Unis a d’ailleurs été publié en août 2011 par le Center For American Progress intitulé « Fear Inc.The Roots of Islamophobia Networks in America » (Peur Inc, Les racines des réseaux islamophobes aux Etats-Unis) où il est fait état de l’influence de think tanks résolument anti-musulmans. Consciente que le terme islamophobie revêt un caractère ambigu en France et ne faisant pas l’unanimité, il est toutefois devenu monnaie courante aux Etats-Unis dès qu’il s’agit de définir « une peur exagérée, une haine et une hostilité à l’encontre de l’Islam et des Musulmans (…) perpétués par des stéréotypes négatifs résultant eux-mêmes en discriminations et la marginalisation et l’exclusion des Musulmans de la vie civique et politique américaine[3] ».

Lorsque nous prenons le problème à l’envers et puisque le cheval de bataille du procureur général de l’affaire était la religion des protagonistes, sa campagne tombe dans la catégorie islamophobe : transformer une protestation strictement politique en cabale religieuse revient à agiter la peur généralisée de l’Islam réputé terroriste pour servir un intérêt politique. Le tout rappelons-le dans une bourgade hautement conservatrice aux incidents connus contre les musulmans.

Kifah Shah nous a précisé qu’effectivement le verdict aurait été différent si l’affaire n’avait pas eu lieu à Orange. Car, il faut le dire, « censurer » un speaker lors d’un discours officiel est une pratique courante. Preuve en est qu’il y a à peine quelques semaines, dans le même comté d’Orange, en Californie, deux femmes ont interrompu le discours de l’ancien vice-président, Dick Cheney, le traitant d’assassin. Ont-elles été arrêtées ? Non. Elles furent escortées par la sécurité, en-dehors du local de la conférence et n’ont subi aucune poursuite. Mieux encore,à Chicago en 2009 , l’ancien premier ministre israélien Ehud Olmert s’est vu interrompre à plusieurs reprises et traité de criminel de guerre. Trente étudiants ont été évacués de la salle mais aucun ne s’est vu inquiéter par les autorités. Au vu de ces éléments et les exemples similaires sont nombreux, nous sommes en droit de considérer ce « traitement de faveur » pro-israélien à l’encontre des Irvine 11 comme inique.

Des étudiants qui ont manifesté leur droit à la parole sans aucune violence se retrouvent aujourd’hui en probation pour une durée de trois ans sauf s’ils accomplissent l’ensemble des heures requises de service communautaire d’ici un an. Leur probation sera alors ramenée à une durée d’un an. S’ils sont pris à manifester de nouveau, c’est la prison sans détour. Ces étudiants servent d’exemple à effet historiquement rétroactif pour empêcher toute tentative de ce genre à l’avenir.

Au-delà de la tension politique qui est bien sûr la raison principale d’un procès fantoche et qui rend tout spectateur désormais sceptique à l’égard du système judiciaire américain, cette affaire nous renseigne sur la persistance d’un climat islamophobe aux Etats-Unis et sur l’opportunisme politique qu’engendre ce climat lorsqu’il s’agit de censurer délibérément toute contestation de la politique israélienne. Agiter la peur et censurer au nom même de la liberté d’expression comme remède contre la critique, là est le véritable danger pour toute démocratie.

Il n’y a pas si longtemps, Martin Luther King rappelait l’Amérique à l’ordre dans son dernier discours : « Sois conforme à ce que tu as écrit sur papier. Si j’avais vécu (…) dans n’importe quel régime totalitaire, peut-être aurais-je pu comprendre certaines illégalités, peut-être aurais-je compris le déni de certains droits basiques garantis par le Premier Amendement (…)Mais j’ai lu quelque part : “sur la liberté d’expression”. J’ai lu quelque part : “sur la liberté de la presse”. J’ai lu quelque part que la grandeur de l’Amérique c’est le droit de protester pour ses droits[4] ».

Notes :

[1] Extrait du Premier Amendement de la Constitution américaine : “Le Congrès ne fera aucune loi pour conférer un statut institutionnel à une religion, (aucune loi) qui interdise le libre exercice d’une religion, (aucune loi) qui restreint la liberté d’expression, ni la liberté de la presse, ni le droit du peuple de s’assembler paisiblement, ni celui de se plaindre du gouvernement pour la réparation des fautes dont il se sent victime (sans risque de punition ou de représailles)

[2] Linda Moreno lors d’une conférence à Georgetown University organisée par le Center for Muslim-Christian Understanding le 8 septembre 2011

[3] Wajahat Ali, Eli Clifton and co, “Fear, Inc The Roots of Islamophobia Networks in America” Center For American Progress, August 26, 2011

[4] Martin Luther King, discours « I’ve been to the Mountain Top » au Mason Temple à Memphis Tennessee, le 3 avril 1968. Traduction personnelle

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