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Adnan Ibrahim ou la maïeutique de l’œuf qui refuse d’éclore

Ces dernières décennies, certaines figures ont été triées sur le volet par la bien-pensance et présentées comme les ‘’nouveaux penseurs de l’Islam’’. Les médias, notamment français, les encensent régulièrement et les présentent comme les seuls représentants d’un Islam des Lumières. Ces enfants chéris jonglent avec les concepts, avancent des théories, en renient d’autres, déduisent, descendent telle personne et pourfendent telle lecture. Je ne veux point m’attarder sur la profondeur d’un tel parmi eux ou sur l’ignorance basique de tel autre. Ce qui les relie est ‘’ce fameux air de famille’’ souligné par Rachid Benzine, auteur ‘’remarqué’’ d’un essai sur ce phénomène. Cet air de famille consiste essentiellement à être critique voire virulent envers les lectures classiques et ‘’ obscurantistes’’.

Si la virulence et la liberté de ton sont la marque déposée des nouveaux penseurs de l’Islam, Adnane Ibrahim est certainement le premier nouveau penseur de l’Islam. Si l’appropriation d’une sagesse universelle comme la philosophie est l’autre baromètre de cette pensance bcbg, Adnane Ibrahim est alors sans conteste en haut de l’échelle. Au-dessus, c’est le soleil, comme dirait un humoriste célèbre et mis au ban. Il y a cependant tout un monde entre ces soi-disant nouveaux penseurs et cette figure ascendante et méritant d’atteindre un firmament de plus en plus déserté par l’approche exhaustive.

Dans cet article, je tiens à brosser l’esquisse d’un penseur contemporain qui fait beaucoup de vagues et qui en fera de plus en plus, à mon avis, tout en le démarquant des ‘’nouveaux penseurs’’ de l’Islam, tels que façonnés et propulsés par une volonté sournoise. J’essaierai aussi de le situer par rapport à une réalité de la pensée islamique dominante, et dominant, jusqu’ici, les médias de masse. Car autant son discours séduit et apaise une jeunesse en mal de repères, autant il dérange et donne des insomnies aux représentants de L’islam pétrolier, sclérosé et inapte à toute ouverture sur l’avenir.

J’estime que ce remue-méninge provoqué par ce cavalier solitaire est une excellente marque de changement et une affaire à suivre. Si j’ai essayé de garder une certaine objectivité, j’ai cependant choisi de publier en exclusivité cet article sur Oumma .com. Mon souci étant de toucher un public essentiellement musulman et francophone et de le sensibiliser à une pensée qui fait son lit et qui mérite d’être connue dans cette langue aussi (surtout ?). Le site de notre penseur qui, pour l’instant a été descendu par des cyber-gardiens du temple saoudien a une page en Anglais et en Arabe mais pas en Français. Nous essayerons donc au fil de cet article de cerner les raisons de cette nouvelle coqueluche, bénéfique somme toute, du cybermonde musulman.

Adnan Ibrahim et l’appartenance de conviction.

Si beaucoup parmi ceux qui sont catalogués de ‘’nouveaux penseurs’’ de l’Islam restent tristement encastrés dans une éthique de responsabilité et de débat d’idées stériles concernant l’Islam ; Adnane Ibrahim, lui, est profondément ancré dans une appartenance de conviction. Si les premiers restent derrière leur pupitre de conférencier ou leur clavier d’écrivain, notre homme livre ses combats sur un minbar, à la face de Dieu certes, mais aussi devant l’œil d’une caméra et l’oreille d’un micro à effets spéciaux. Il les livre aussi, et bien justement, derrière une barbe orthodoxe mais bien taillée. Ce détail peut sembler anodin voire superflu à un lecteur peu averti. Il est de taille pour le spécialiste qui connaît le monde musulman et ce qu’en a fait la jurisprudence archaïque qui a tout misé sur l’apparence comme marque d’appartenance à la foi.

Sa connaissance par cœur du texte coranique couronne ce cocktail séduisant faisant objet d’argument massue pour une Oumma que l’on a menée à l’épée et à la manipulation du texte sacré. J’ai eu vent d’une conférence locale où la salle est sortie dégoûtée à vie d’un ‘’nouveau penseur de l’Islam’’ qui a allègrement intitulé la sourate ‘’Al Imrane’’ de ‘’ Al Omrane’’. Les arabisants sauront l’ampleur du ‘’blasphème’’ et la fine différence de la ponctuation qui transforme le nom de la famille ‘’Imrane’’ à laquelle appartient Moïse en Omrane ou ‘’urbanisme’’. Autant dire que l’Islam ‘’lumineux’’ de nouveaux penseurs si peu proches du Texte ne peut aller très loin avec ce genre de bavure. Cela ne pardonne pas en ces temps d’exigence et de crispation et tant mieux d’ailleurs. Personne n’a envie de quitter l’Islam séculaire même sclérosé pour un Islam islamophobe…

Cela pour dire qu’une pensée critique ne pourra être reçue comme un Ijtihad (contextualisation) que si le penseur est perçu de l’intérieur d’un champ qui a été balisé dans la théorie mais surtout dans l’inconscient musulman à travers des siècles. Toute pensée critique qui n’a pas l’ambition d’offrir une alternative viable, mais surtout acceptable par une large élite, aujourd’hui plus que jamais dans le monde musulman, est une gesticulation gratuite.

La jeunesse est l’élite désignée par excellence pour porter un projet de changement socio-politique. Le printemps arabe devrait, à mon avis, commencer, ou du moins être accompagné par une mise en place de repères identitaires susceptibles de rafraîchir la voie pour notre communauté. Les’’ nouveaux penseurs’’ dessinent aussi certainement une nouvelle voie mais sans issue parce qu’elle tourne en rond dans le giron d’une pensée fortement teintée d’orientalisme bas de gamme.

Dans l’histoire politique des musulmans, (y a-t-il d’ailleurs une histoire qui ne soit pas politique ?), un système pernicieux et judicieux a fait converger le souci légitime de ne pas s’éloigner de la foi initiale avec le besoin illégitime de rester unis même sous le joug de la tyrannie. Depuis, il faut circuler dans ce champ étroit puisqu’il n’y a plus rien à penser à part la façon de préserver ‘’l’œuf de l’Islam’’ : concept sacro-saint symbolisant l’Unité à tout prix, même celui du reniement indirect de la Révélation.

Tout essai de penser autrement notre histoire est perçu comme une attaque contre cet œuf sacré ; attaque hautement condamnable et tentative de meurtre sur le poussin chéri que nul n’a jamais tâté vraiment. Ce poussin qui ne veut pas naître et dont la genèse ne veut point aboutir après tous ces siècles, mais peu importe. Peu importe si dans cet œuf, ça sent très fort depuis les grands schismes et que l’on ne sait pas ce que le contenu est…exactement. Peu importe si dans cet œuf une jeunesse à l’étroit est confrontée à un monde de plus en plus insolite, étouffe et cherche désespérément à respirer un air où se conjugue sa foi avec ses faits.

Certes, il y eut et il y aura plusieurs tentatives de faire une omelette nutritive du contenu, mais la priorité de rester ensemble sera exacerbée aussi régulièrement que les aléas de l’histoire. La néocolonisation et l’islamophobie montantes sont autant de faits menaçants qui fournissent actuellement l’alibi par excellence aux cuisiniers d’un conservatisme des plus aveugles. Le poids des traditions et le contexte objectif sont donc tels que mal en prend à qui prétend vouloir pénétrer l’œuf et changer les conditions du poussin, (ne serait-ce que pour le réanimer), s’il n’a de solides références. L’analphabétisme du monde arabo-musulman ajoute à la difficulté de faire accoucher l’œuf.

Pour toutes ces raisons qui ont produit un milieu hostile et confiné, le minimum requis est la compréhension de la langue et la connaissance du Coran comme établit une science des plus intelligentes en amont de notre histoire. ‘’La science des origines des lois’’ ou ‘’fiqh al oussoul’’ ce produit d’une ère où les musulmans ne craignaient pas le raisonnement avait établi un code pour l’ijtihad qui reste des plus recevables dans ses grandes lignes.

Vu sous cet angle, Adnane Ibrahim a un atout majeur qui le démarque des nouveaux penseurs ayant la prétention de contextualiser. Il défie une grande majorité de ces barrières originelles, somme toute légitimes, puisque l’Islam est d’abord l’appropriation du sens et non pas une identité creuse. C’est d’autant plus vrai que son approche, tout en étant grandement intellectuelle, est surtout une maïeutique structurée et bien assise sur une connaissance sans faille de l’héritage jurisprudentiel.

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Ne pas être perçu de l’intérieur de l’identité et porter des failles dans la connaissance de ce très lourd héritage revient à emprisonner toute pensée dans la sphère d’une pure spéculation intellectuelle complice d’un Occident hostile et rejeté en bloc. Porter de l’intérieur un discours du changement en slalomant sur une piste balisée est la marque d’un ijtihad prometteur, même s’il parvient du cœur d’un Occident repensé en partenaire du changement.

Adnan Ibrahim et le lien à L’Occident

Il est impossible de penser l’Islam actuel sans le faire dans le cadre d’une équation où l’Occident est un paramètre majeur. Non pas parce que la domination occidentale est un fait objectif dans la réalité contemporaine, mais bien parce que l’Occident tient à modeler cette nouvelle pensée pour des raisons géostratégiques connues. Pour cela, la nouvelle-pensance est plus attachée à répondre à une image normative forgée par l’altérité que de rectifier le cours d’une histoire endogène tout en gardant un esprit critique envers l’Histoire globale.

Ainsi les nouveaux penseurs feront très peu cas du fait de situer leur approche dans une dialectique historique. Le débat mené est souvent orienté vers une stigmatisation construite à partir de concepts peu élaborés, creux et usagés, voire usés. Le défaut majeur de ces concepts c’est qu’ils sont irrecevables par les élites susceptibles de porter le changement et encore moins par les peuples censés suivre l’élan de ces élites. Quand on scrute les fatwas qui sévissent dans les pays musulmans, la tête de certaines stars de ce domaine et le niveau des réponses données par certains web-ouléma à grande écoute, on se demande quelle chance peut avoir un ‘’nouveau penseur’’ bcbg, la dégaine vive mais la prière facultative, d’influencer les masses ? Présentables ? Sans nul doute ! Recevables ? Beaucoup de doutes !!!

Adnane Ibrahim, lui, l’est, puisque cet Occident avec lequel nos relations sont passionnelles malgré et envers tout, il se l’approprie tout en gardant la juste distance. Le fait est marquant, voire hallucinant dans le monde islamique très collet monté, de voir un imam citer des ‘’ mécréants’’ sur un minbar non pas pour les fustiger mais bien pour extraire de leur pensée la quintessence universelle. D’aucuns trouveront peut-être cela normal puisqu’il est dans un pays européen, l’Autriche en l’occurrence. L’argument est vite dépassé lorsqu’on sait que la tolérance est inversement proportionnelle à la proximité avec cet ‘’Occident de toutes les tentations’’. Les fatwas les plus désespérément braquées et xénophobes ont pour origine Londres, capitale première de la démocratie et de la civilisation occidentale par là-même. C’est bel et bien l’art de la distance constructive et la dextérité de notre homme qui font la différence.Adnane Ibrahim rassure sur l’identité spirituelle et le sens, et en même temps répond à ce désir latent et inavoué de proximité de l’Autre.

Adnan Ibrahim et l’exhaustivité de l’approche

Si les nouveaux penseurs de l’Islam ont pris l’habitude de suivre le tracé idéologique d’une pensée exogène où les chevaux de bataille sont prévisibles ; Adnane Ibrahim a une critique systémique de l’Islam conventionnel allant parfois jusqu’à faire une table rase vertigineuse de courage. Une véritable prestidigitation de la pensée recolle sous des yeux ébahis les morceaux éclatés d’un puzzle commis par le politique pour présenter un visage des plus séduisants de l’Islam : celui de la Révélation. Les découpages idéologiques qui ont défiguré le message sont impitoyablement démontés au prix de coups de boutoir parfois extrêmement traumatisants pour les non-initiés de tous bords. La démarche est toujours argumentée de l’intérieur des sources même si la sagesse universelle assaisonne un discours de la reconnaissance de l’altérité et de son respect.

Notre homme, iconoclaste comme il n’est pas permis dans une communauté victime d’une sclérose séculaire de la pensée, est animé d’une volonté sincère de dépouiller l’Islam de ses scories historiques. La volonté est si explicite que l’on assiste à une sorte de martyre symbolique très touchant, ce qui change beaucoup d’une volonté de dépouiller tout court l’Islam afin de s’inscrire dans la ligne d’une volonté de puissance culturelle qui ne se cache plus.

L’exhaustivité de ce démantèlement idéologique n’est pas le fruit d’une sous-appartenance puisqu’il renvoie dos à dos toutes les écoles issues d’une confluence historique créée par la rupture politique initiée par Moawya, compagnon déviant du Prophète (paix et Salut à lui). S’il n’hésite pas à dénoncer ce que vit le sunnisme comme étant l’Islam de ce compagnon traître à la cause plutôt que celui de la Révélation, il remet en question le ‘’ retour du Mehdi’’. D’où la difficulté pour les distributeurs d’étiquettes qui sont légions sur la toile de le ‘’caser’’.

Dans son approche trop riche pour être cernée facilement, il qualifie cette attente du Mehdi de messianisme indigne de l’esprit de l’Islam originel qui conjugue la foi avec un certain rationalisme. On ne peut donc le ranger dans le sac d’un chiisme orthodoxe même si la philosophie d’un Amour sans borne pour Al alBayt émaille toute son approche. Pourtant, c’est tellement plus facile pour la pensée islamique, unique mais binaire, de traiter de chiite quelqu’un qui critique le sunnisme. Ses adeptes sortent donc pour l’occasion une batterie plus élaborée de sobriquets jurisprudentiels ; sans vraiment trouver le bon. Notre homme répond lui-même à ses détracteurs (qu’il appelle au dialogue civilisé et argumenté) que seuls les minéraux sont susceptibles d’être  catalogués. Ce qui n’est pas le cas pour une personne humaine et encore moins pour une personne de la trempe de cet adversaire.

Faisant feu de tout bois, ayant réponse à tout, jonglant en virtuose avec les outils classiques de la controverse jurisprudentielle, il a envoyé au tapis, en direct sur une chaîne arabe, et par KO jurisprudentiel l’un de ces malheureux représentants de l’Islam minéral. L’émission qui eut une grande audience a dû en décourager plus d’un et le preux chevalier n’a plus devant lui qu’un bataillon de mâcheurs de mots cybernétiques. Le wahhabisme électronique n’a plus de soucis hormis Adnane Ibrahim et le nouveau cyber jihad consiste à descendre le site du brillantissime empêcheur de penser en rond. A quand l’élimination physique ? Chose pas vraiment exclue pour une jurisprudence qui produit du terrorisme quotidien sur les femmes et ne croit qu’en la violence, à commencer par celle symbolique d’être les habitants uniques du Paradis et les seuls vrais croyants de la galaxie .

La plupart des jeunes en quête de sens et de repères tombaient jusqu’ici dans les filets de la toile infestée d’araignées de la pensée rétrograde et se soumettaient à une logique de suivisme aveugle. Cette tendance était aggravée par le haut symbolisme de cette jurisprudence produite à partir d’un lieu sacro-saint. Adnane Ibrahim a confisqué cette logique en disant explicitement que l’adage connu dans le monde arabe ‘’ Les habitants de la Mecque sont plus aptes à connaître ses ruelles’’ est périmé à l’heure du net et de la modernité et que désormais, le combat pour la libération des esprits de l’influence omeyade doit commencer.

Telle est donc cette figure montante d’un jihad pour un Islam de Lumière. Il ne mâche pas ses mots, ne craint pas les étiquettes, n’espère pas le pétrodollar, apprivoise la modernité, ne répudie pas le sens, maîtrise le verbe à la perfection, a des imperfections humaines telles que des tics …fort sympathiques. Il se fera certainement beaucoup d’ennemis mais il a déjà des milliers d’amis dans une communauté qui manque terriblement de repères et scrute désespérément l’horizon à la recherche de la grâce. Et ce penseur en est touché sans nul doute.

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