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A propos du soufisme (partie 1)

1. La mystique musulmane :le soufisme :tasaouf.

Avant de devenir une mystique, le courant soufi fût d’abord une forte spiritualité.

Les premiers musulmans qui constituaient l’entourage immédiat du Prophète ont été très marqués par la Révélation. Le contact direct avec le message divin qui « descendait » sur leur illustre compagnon et qui leur était restitué pour leur transmettre les directives indispensables à la construction et à la gestion de la nouvelle société, leur donnait la certitude absolue de l’Existence d’un Créateur omnipotent, omniprésent, omniscient. Cette situation les mettait dans un état d’exaltation quasi-permanent et faisait que leur soucis premier était de s’engager par tous les moyens dans la voie qui les rapprocherait le mieux de Lui :quand ce n’était pas le combat et « l’istichhâd » à Son service. Ils se tournaient vers la prière, la récitation du Coran, la psalmodie de formules d’invocation et de louange « dhikr ».

Le Prophète lui-même, les compagnons « sahaba » , les Califes orthodoxes qui consacraient leur temps libre à ces pratiques étaient des soufis avant la lettre .

On rapporte que dès cette époque, l’exaltation aidant, beaucoup d’entre eux se sont trouvés confrontés au phénomène de la perception extra-sensorielle « kachf », mais qu’ils n’y faisaient pas attention, s’en détournaient, le considéraient comme une épreuve « mihna », de caractère satanique. Ils en parlaient très peu et empêchaient toute discussion à son propos.

On rapporte également que le Prophète se rendant compte que l’aspect contemplatif de la spiritualité l’emportait parfois sur les responsabilités sociales contrairement aux dispositions du dogme, intervenait pour empêcher les croyants de se retirer des affaires du monde terrestre.

Il en fût ainsi pour un groupe d’une trentaine de « sahabi »,dont ; Bilal, Salman el Farisi, Abdallah ibn Messaoud, Zayd ibn Khattab, Abou-Dharr Ghifari, Abdallah ibn Omar-qui, à un certain moment, passaient le plus clair de leur temps dans la mosquée du Prophète à psalmodier le Coran et à pratiquer le « dhikr » . On les appela « ahl suffa »les gens du banc et certains commentateurs ont même prétendu que le verset 52 de la Sourate VI a été révélé pour statuer sur leur cas. (1)

D’après certains auteurs c’est ce terme « d’ahl suffa »qui aurait été à l’origine de l’appellation de « tasawwuf ». Alors que d’autres le rattachent à « saûf »(laine) par allusion à la bure de laine qui servait de vêtement spécifique aux soufis, ou à « saff el awal » pour souligner qu’ils étaient au premier rang des orants, ou bien encore à « safa » (pureté) par allusion à leur détachement des vicissitudes de ce bas monde.

Toujours est-il que très tôt, se constituèrent des cercles et une tradition soufis. Les adeptes qui se recrutaient souvent parmi les collecteurs de « hadith » se regroupaient autour d’un « cheikh » en se réclamant pour la plupart, dans cette première phase ,de Abou-dharr ghifari, l’un des principaux membres de « ahl suffa ».

La vitalité du mouvement était telle qu’il s’étendit à toutes les contrées où l’expansion de l’Islam devint durable. Si le soufisme n’a jamais aspiré à instituer une école de pratique religieuse , un « madhab », il s’est cependant imposé sous forme de courant de pensée important et a fait partie sans interruption de la vie culturelle et religieuse des musulmans depuis l’avènement de l’Islam. Ses doctrinaires, y compris les soufis modernes, notamment ceux d’origine européenne, parlent à son sujet de science religieuse. Une science qui traite de la connaissance des réalités cachées, de la réalité ultime ,de l’introspection, de la maîtrise des comportements du corps physique par le mental. Une science qui a ses maître, ses cursus, ses règles et méthodes , ses analyses des états de conscience.

L’acquisition et l’assimilation de cette science conduit à des comportements bien définis afin de réaliser les objectif du soufisme. Il s’agit en substance :

· d’annihiler les pulsions négatives du corps attaché à certains penchants de l’animalité.

· de dompter l’âme incitatrice au mal par nature (2).

· de veiller à être en permanence en adéquation totale avec les termes de la Révélation, ainsi qu’avec les principes et les valeurs qui en découlent.

La science religieuse du soufi est une arme au service du combat spirituel le « djihad el akbar »-la « moudjahada ». Ce combat passe par des états spirituels transitoires « ahwal » où l’on découvre la clé qui permet l’accès au « maqam » où sont dévoilées également une ou plusieurs vérités sur la réalité des choses. De « maqam » en « maqam » en transitant par les « ahwal », l’ascension spirituelle conduit les plus vertueux à la découverte du sens de la création « el haqiqa el haqqya » vers la proximité de Dieu ou à la fusion en Lui, selon les doctrines.

Quelques définitions du soufi et du soufisme pourront peut-être autoriser à mieux appréhender la signification de ces termes après ces brèves généralités. Elles nous sont proposées par des grands maîtres du soufisme, et des auteurs qui se sont penchés sur le mouvement. Elles ne sont en fin de compte que des approches sous des angles différents puisqu’il y a, nous dit-on, « autant de voies que de pèlerins » et que l’âme ne perçoit que ce qu’elle est capable de saisir.(3)

*****

« Soufi est un nom que l’on donne et qui a été donné jadis aux saints « awliya » et aux adeptes spirituels .L’un des maître a dit :celui qui est purifié par l’amour est pur ,et celui qui est absorbé dans le Bien-Aimé et a renoncé à tout le reste est un soufi ».

« Le but suprême du soufi est de parvenir au « fana » (annihilation en Dieu) c’est-à-dire au véritable « baqa » (persistance en Dieu ) :Ali ibn Othman al Jullabi al Hujwiri (m. en 469H-1076G)

« Le soufi est celui qui ne voit dans les deux mondes rien d’autre que Dieu » Shibli.

« Le soufisme est le renoncement à tous les plaisirs égoïstes :renoncement formel si on renonce à un plaisir et que l’on trouve du plaisir à ce renoncement. Renoncement essentiel si le plaisir renonce à lui-même et qu’il est annihilé ». Abou Hassan Noûrî .

« Le soufisme est l’une des sciences de la Loi religieuse. A l’origine le soufisme est considéré comme voie « tariqa » de la vérité et bonne direction « houda ». Ibn Khaldoun.

« Le « tasawwuf »est une gymnastique mentale qui vise à effacer de la conscience toutes les influences extérieures :celles de la nature, de la société, de l’âme, pour aboutir à la représentation totale et absolue de la liberté ». Abdallah Laroui.

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« Le soufisme est la fructification du message spirituel du Prophète, l’effort pour en revivre personnellement les modalités par une introspection du contenu de la Révélation coranique ».Henri Corbin.

*****

I) La doctrine soufie

Il n’entre pas dans la prétention de cet exposé d’expliciter le contenu extraordinairement

complexe souvent ésotérique de la doctrine soufie. Les quelques indications sur le sujet visent à éveiller l’intérêt en mettant en lumière quelques conceptions essentielles.

La plupart des auteurs soulignent la présence de deux constantes majeures dans la doctrine soufie.

a)L’unité doctrinale profonde à travers le temps et l’espace :

Que l’expression soit (arabe-persane-turque-javanaise-pashtoun-ourdou-oualof-peule-serbo’croate) les langues peuvent différer, mais le langage, le contenu ,varie peu et jamais sur l’essentiel.

Le point nodal, le fondement de la mystique musulmane pour tout soufi est la certitude absolue qu’en ce monde et dans l’au-delà, il n’y a rien d’autre que Dieu. Tout le reste est illusion, pur néant…… Les Prophètes, les awliya ont pour mission de faire prendre conscience de cette réalité, et les confréries (tourouq soufia ) doivent conduire le « mourid » (l’aspirant) à rejoindre cette réalité en lui enseignant la maîtrise de ses pulsions « animales », le dépassement de sa subjectivité, qui constituent autant de voiles à faire tomber. Et le plus épais des voiles est l’égo « nafs » qui incite au mal.(4)

– Le Prophète, nous dit- on, avait approuvé les vers d’un certain Labîd selon lequel :

« tout ce qui n’est pas Dieu est vanité »

Ibn Khaldoun écrit à ce sujet :(5)

« Tout ce qui n’est pas l’essence de l’Eternel est le néant…tout est Un « all kull wâhid », tout revient à l’Unité une et simple, c’est notre façon de voir qui la divise ».

Dans « Fusus el hikam Ibn Arabi écrit :

« Ce qu’il y a en réalité, c’est le Créateur-créature. Créateur sous une dimension, créature sous une autre, mais le tout concret est un seul tout ».

Dans « Mishkat el anouar » Abou Hamid el Ghazali rapporte que :

le premier Calif Abou Bakr disait : « je ne vois aucune chose sans voir Dieu avant elle : »

le deuxième Calife Omar disait : « je ne vois aucune chose sans voir Dieu avec elle »

le troisième Calife Othman disait : « je ne vois aucune chose sans voir Dieu après elle.

Quant à Omar el Khayam, il déclamait :

« Toi en dehors de qui tout le reste n’est rien » .

Telles sont les diverses explicitations de ce point nodal qu’est le « tawhid ».

b)Le respect intégral des prescriptions scripturaires …est la seconde constante de la doctrine.

Tous les grands maîtres prennent soin de préciser qu’il n’y a de soufi véritable que celui qui se conforme à l’esprit et à la lettre du message divin.

Les règles de parcours que le « cheikh » recommande au disciple dans le cheminement vers l’ascension spirituelle « adab es suluk » donnent une grande importance aux pratiques cultuelles surérogatoires « nafila », à la récitation du Coran et à la pratique du chapelet « dhikr » enfin à l’invocation de Dieu « wird ». Ces contraintes ont pour but de polir le miroir du cœur et de se doter d’une piété scrupuleuse.

« L’homme parfait est celui chez qui la lumière de la connaissance n’éteint pas la lumière de la piété scrupuleuse « el wara’ » écrit El Ghazali.(6).

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