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Zahi Hawass, le secret du Sphinx et la malédiction du pharaon Moubarak

Révolution de palais. Illustre survivant du régime Moubarak, l’archéologue Zahi Hawass s’est vu finalement contraint dimanche de devoir rendre les clés de l’Egypte antique. Retour sur un coup d’Etat feutré, à la fois politique et scientifique.

Les révolutionnaires égyptiens ont remporté une nouvelle victoire en obtenant le limogeage de Zahi Hawass, secrétaire d’Etat aux Antiquités. C’est la chute d’un puissant symbole : l’homme était réputé incarner l’Egyptien vivant le plus connu au monde après l’acteur Omar Sharif. Pas un documentaire consacré à la terre des pharaons ne s’est réalisé depuis vingt ans sans que ce grand communicant n’y apparaisse. En 2009, l’homme qui a créé sa propre ligne de vêtements -notamment des chapeaux- se vantait d’avoir reçu la visite du cinéaste George Lucas qui voulait rencontrer, selon lui, le « véritable Indiana Jones  ». L’année suivante, l’intrépide égyptologue a visiblement pris un malin plaisir à jouer son propre personnage dans une curieuse émission de télé-réalité diffusée par History Channel.

Le Moubarak de l’égyptologie

Depuis le départ de Hosni Moubarak, l’archéologue vedette était dans le collimateur. La cause ? Outre son attachement au président déchu et la connivence qu’il entretenait avec l’ancien régime-notamment avec l’ex-ministre inamovible de la Culture Farouk Hosni, Zahi Hawass était régulièrement accusé de corruption, de cupidité et de despotisme dans sa gestion opaque du Conseil suprême des Antiquités. La colère qu’il suscitait éclata au grand jour, dimanche dernier, lorsqu’il s’engouffra dans un taxi à la suite du remaniement ministériel : des manifestants furieux et déterminés à lui faire obstacle étaient alors présents comme en témoignent ces images.

Après une démission-éclair en mars et sa réinstallation au sein du gouvernement, Zahi Hawass a dû affronter, le mois suivant, une nouvelle humiliation en étant condamné à un an de prison pour avoir outrepassé une précédente décision judiciaire à son encontre. Une peine annulée dès le lendemain par décret spécial de la Cour administrative. Au mois de mai, c’était sur la place Tahrir, centre emblématique de la révolution, que ses opposants les plus virulents -peu nombreux mais démonstratifs- se donnaient rendez-vous pour réclamer sa démission.

La nomination initiale d’un remplaçant, en la personne de Abdel Fattah El-Banna, a suscité la controverse au sein de la frange institutionnelle des archéologues égyptiens. L’universitaire avait participé à une manifestation impressionnante devant les bureaux de Zahi Hawass en juin dernier. Malgré son manque d’expérience sur le terrain, sa popularité était alors évidente auprès d’étudiants qui le portèrent sur leurs épaules.

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Le Conseil suprême des Antiquités a pourtant fait savoir qu’il ne reconnaissait pas cette investiture. Insistant sur la nécessaire indépendance de l’organisme, son secrétaire général, Mohamed Abdel-Maksoud, a estimé que la création récente de ce poste ministériel était une « erreur » de la part de Moubarak. Il a également sollicité auprès du gouvernement intérimaire un retour à la situation administrative antérieure. Une requête provisoirement accordée : le Premier ministre, Essam Sharaf, vient d’annoncer qu’il annulait la désignation d’El-Banna au poste controversé de secrétaire d’Etat aux Antiquités. A ce jour, nul ne sait si le chef du gouvernement prévoit de nommer quelqu’un d’autre dans les prochains jours ou si la fonction devait être purement et simplement annulée. Au-delà de l’aspect scientifique, l’enjeu est aussi financier : le responsable de l’archéologie nationale assure de facto, à travers le monde, le rôle de VRP du tourisme, principale manne économique en Egypte.

Archéologie psychique

Quant à Zahi Hawass, son bilan contrasté laisse en suspens de nombreuses interrogations : connu pour sa défense intransigeante et acclamée du patrimoine antique, l’homme âgé de 64 ans était également critiqué pour son rapport conflictuel avec autrui ainsi que sa relation privilégiée aux Etats-Unis. En poste dans le secteur archéologique depuis 1969, c’est seulement en 1987 que Zahi Hawass obtient son doctorat en égyptologie à l’Université de Pennsylvanie. Curieux détail : Hugh Lynn Cayce -un homme de réseaux influent, à la fois proche du mouvement New Age et des cercles maçonniques américains– avait par la suite révélé que c’était via son entremise que l’archéologue égyptien avait pu décrocher son inscription. Les deux hommes se connaissaient alors depuis une dizaine d’années puisque Hugh Lynn Cayce supervisait et finançait en 1978 des fouilles sur le plateau de Giza dans le but singulier de confirmer les prédictions de son propre père, Edgar Cayce. Ce médium célèbre aux Etats-Unis avait affirmé dans les années 30 qu’il existait un complexe souterrain, secret, sacré, particulièrement sophistiqué et bâti antérieurement à la civilisation égyptienne dans le territoire « signalé » par le Sphinx et les trois grandes pyramides. Zahi Hawass s’est toujours défendu officiellement de souscrire à de telles théories –considérées comme hérétiques au regard de l’archéologie officielle, même s’il a autorisé en 1996 une nouvelle équipe -dirigée par le millionnaire Joseph Schor et également inspirée par les prédictions de Cayce- de procéder à une sonde électronique du plateau de Giza. En outre, le responsable égyptien était très proche de son confrère, l’Américain Mark Lehner, spécialiste émérite des pyramides et ancien membre convaincu –dans sa jeunesse– de l’association fondée par Edgar Cayce.

Par ailleurs, Zahi Hawass a fait preuve, à maintes reprises, d’un double discours à propos de la Grande Pyramide de Khéops, réfutant, d’un côté, les théories avancées par de nombreux spécialistes-notamment français–  au sujet de l’existence d’une chambre secrète et assumant, de l’autre, sa propre tentative d’explorer des mystérieux conduits –redécouverts en 1993 grâce à un robot doté d’une caméra- dans le but avoué de découvrir la « salle légendaire du pharaon Khéops ».

Les momies se dérobent

Ironie du sort, la chute de Zahi Hawass accompagne la disgrâce en cours de son meilleur partenaire médiatique :le magnat de la presse Rupert Murdoch. Les deux hommes avaient signé un contrat d’exclusivité pour une retransmission mondiale -la première fois en 1999 pour la chaîne Fox puis en 2002 pour la National Geographic Channel– d’une fouille archéologique en direct sur le plateau convoité de Giza. Si le suspense était bien au rendez-vous, les deux expéditions filmées de manière hollywoodienne se sont avérées finalement infructueuses. Un semi-échec commercial et un tollé dans la communauté scientifique, indignée de voir des monuments classés à l’UNESCO servir de strapontin audiovisuel dans une course à l’audience.

Dernier rebondissement en date : la divulgation, fin mai, des dernières images de l’exploration des conduits. Venant renforcer le mystère de ces structures édifiées au sein de la Grande Pyramide, de nouvelles inscriptions -similaires à des graffitis- ont été découvertes.

Après un quart de siècle à régenter son domaine, celui qui était surnommé le « Roi de Giza » a été renversé. Il n’est plus impossible désormais que son éviction signale l’amorce d’une réorientation des fouilles, voire d’une plus grande transparence. C’est là, sans doute, que réside l’ironie ultime : sur son passage, une révolution arabe, débutée en Tunisie, aura peut-être contribué, en éliminant les derniers « gardiens du temple », à rénover -peut-être bientôt, peut-être brutalement- le regard porté sur l’Egypte antique et les origines de la civilisation. En attendant, le battement d’ailes continue. A la lisière du désert, le Sphinx guette, impassible, la conclusion de l’effet papillon.

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