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« Valeurs actuelles » : le magazine de l’islamophobie décomplexée

 « Pourquoi le judaïsme fait peur aux Français »… Ce titre pour un article d’Oumma vous choquerait-il ? Ces mots vous évoquent-ils une certaine presse des années 30 ? Vous auriez probablement raison. Remplacez dès lors le terme « judaïsme » par « islam » et vous obtiendrez le titre arboré sur la couverture du numéro, sorti aujourd’hui, de Valeurs actuelles.

500 000 lecteurs réguliers pour 90000 exemplaires diffusés chaque semaine. Ce jeudi 20 janvier 2011, un hebdomadaire a décidé de frapper fort en jouant la carte éditoriale de l’islamophobie. Valeurs actuelles, magazine classé à droite et qui peut se targuer d’être le seul hebdo à augmenter régulièrement ses ventes, consacre un dossier spécial à l’islam en France, vu sous l’angle anxiogène. Titre en couverture  : « Pourquoi l’islam fait peur aux Français ». La photo représente une femme de dos, sans regard ni visage, arborant un large voile noir qui barre un horizon azur. Dans les pages du magazine, il s’agit de revenir, avec une certaine jubilation, sur le sondage du Monde qui révéla que 42% des citoyens considéraient la religion musulmane comme une menace. « Venant à l’encontre de bien des idées reçues sur l’intégration de la “communauté musulmane” en France (et en Allemagne, l’étude portant sur les deux pays), c’est peu dire, en effet, que ses résultats se situent aux antipodes du discours “politiquement correct” ambiant », souligne avec une délectation à peine dissimulée le journaliste Arnaud Floch. Et sur la couverture, Valeurs actuelles ne s’embarrasse pas de la précision, en évoquant « les Français » dans leur ensemble, gonflant le chiffre des 42% pour atteindre une vaste majorité, si ce n’est l’unanimité, comme le laisse entendre le titre.

Dans le numéro, le point de vue d’un « débatteur » atypique est présenté : celui de Xavier Lemoine, maire UMP de Montfermeil. L’homme, qui avait annulé in extremis sa venue aux « Assises internationales sur l’islamisation » du 18 décembre en raison d’un veto de l’état-major du parti, s’était longuement entretenu auparavant avec les animateurs du site Riposte laïque, co-organisateurs de l’évènement et islamophobes revendiqués. Il y déplorait par exemple, après une fastidieuse digression théologique -quelque peu étrange de la part d’un élu d’un Etat laïc, l’attitude « munichoise »  du Premier ministre François Fillon lors de l’inauguration d’une mosquée à Argenteuil. Et, en toute cohérence avec ses idées, Xavier Lemoine avait tenu, la semaine dernière, à manifester son soutien à Eric Zemmour lors du procès intenté contre le journaliste pour ses propos relatifs aux « trafiquants, pour la plupart noirs et arabes ».

Chapeauté par le propriétaire du magazine- le député UMP Olivier Dassault-, le comité éditorial de Valeurs actuelles est dirigé par l’académicien Amaury de Chaunac-Lanzac alias François d’Orcival. Ce journaliste, régulièrement invité dans les talk-shows notamment sur I Télé, LCI et France 3– a la particularité d’avoir été un compagnon de route, dans sa jeunesse, de diverses mouvances d’extrême droite. Ce qui ne l’a pas empêché, au vu de la longévité de son implication dans Valeurs actuelles et de sa collaboration avec Le Figaro, d’acquérir un vernis de respectabilité, au point de briguer avec succès la présidence de la Fédération Nationale de la Presse Française. Un an plus tôt, en 2003, il était pourtant condamné pour diffamation dans l’affaire AZF pour avoir accusé à tort une des victimes musulmanes de l’explosion d’avoir été un kamikaze islamiste. Cette mésaventure, qui semble lui avoir été vite pardonnée par ses confrères, ne l’a pas dissuadé de persévérer dans les rapprochements douteux, comme l’a signalé Alain Gresh du Monde diplomatique  : pour François d’Orcival, il y aurait en effet une sorte de collaboration occulte entre l’Iran, l’AQMI au Niger et les opposants à la loi sur le voile intégral. Et c’est toujours le même « décrypteur » de l’actualité qui n’a pas manqué d’apporter son soutien au gouvernement israélien pour l’attaque sanglante de la flotille humanitaire ou de dénoncer, encore aujourd’hui, l’ancien résistant Stéphane Hessel, jugé coupable de connivence avec le Hamas ou l’Iran, voire avec l’islam de France : « Indignez-vous ! dit notre Sioux. Que pèse cette indignation à 3 euros vis-à-vis de la vraie, celle qui monte, au coeur de l’opinion, à l’égard des provocations quotidiennes en tout genre contre nos lois, notre pays, notre langue, notre histoire ? Cette indignation-là est sans limites. Alors oui, ceux qui le disent “marchent contre le vent”. Mais cette indignation est absente des pages de celui qui, au contraire de ce qu’il prétend être, marche avec le vent des actuelles idées reçues, des idées les plus convenues et les plus rabâchées. Méfions-nous de ces indignations qui finissent en intolérance ».

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Terreurs actuelles

Outre-Atlantique, à des années-lumière de l’inertie française, un homme politique s’est récemment manifesté contre les dérives de certains de ses compatriotes. Exaspéré par la montée de l’islamophobie médiatique aux Etats-Unis, un congressiste afro-américain et musulman, Keith Ellison, avait exprimé dans un billet du Washington Post son indignation quant à la propagation de ces stéréotypes négatifs :

« Aucun journaliste qui se respecte ne demanderait à un Noir pris au hasard dans la rue, une mallette à la main, d’expliquer la pathologie du criminel afro-américain sous prétexte qu’il a la même couleur de peau que ce dernier. Pourtant, des journalistes dignes de ce nom ont demandé à des Américains musulmans ordinaires d’expliquer le comportement des criminels fous et des extrémistes, faisant ainsi une association entre les fous et la communauté traditionnelle.
Existe-t-il des personnes qui souhaitent avancer toutes sortes de théories racistes au sujet de la criminalité noire, des problèmes de gènes noirs aux faiblesses de la culture noire ? Des tas. Mais les seules fois où elles se montrent dans les programmes d’informations traditionnels, elles apparaissent comme racistes et non comme spécialistes des questions de race. Une discussion nationale sur l’appartenance est en cours. La menace d’autodafé du Coran en Floride et la controverse sur le projet de centre islamique dans le Lower Manhattan font partie des sujets discutés pour savoir si les Etats-Unis peuvent suffisamment se dépasser pour intégrer aussi les musulmans. D’irresponsables et scandaleuses représentations de musulmans dans les médias populaires ne sont pas la cause de l’islamophobie mais peuvent sans nul doute aggraver la situation. Les programmes d’informations et les derniers reportages ne font rien pour éclairer ou faire comprendre cette discussion, ce qui est fort regrettable. Toutefois, elle doit se poursuivre. Et j’espère qu’elle se poursuivra dans nos mosquées, nos églises, nos synagogues et dans tous les autres lieux sacrés, avec les Américains de toutes les confessions parlant sans détours de leurs différences et de notre humanité commune – débarrassé des stéréotypes si présents ces derniers temps dans les programmes télévisés et les magazines ».

Quelques années auparavant, en 2005, Bruno Etienne, un sociologue dont j’appréciais particulièrement l’enseignement -tant en raison de son esprit acéré que pour sa verve truculente-, avait effectué un tchat avec les lecteurs du Monde. L’un des internautes lui posa justement la question qui hante tant la fine équipe de Valeurs actuelles : « Pourquoi les Français ont peur de l’islam ? ». Réponse cinglante de l’iconoclaste : « C’est parce qu’on a perdu l’Empire. La seule légitimation de la colonisation, c’était : nous apportons la civilisation. Et c’est au nom de nos valeurs que les peuples se sont révoltés contre la colonisation. Donc ça pose une question très grave : soit ils ne comprennent rien à rien, soit nos valeurs ne sont pas universelles. A la fin de la guerre d’Indochine et à la fin de la guerre d’Algérie, nous ne pouvons pas supporter la présence des autres étrangers chez nous. Or, aujourd’hui, ce que les Français ne supportent pas, c’est la visibilité de l’islam en France. Ils ne supportent les mosquées que de l’autre côté, pour les touristes. C’est une conséquence des guerres coloniales ». En 2011, les orphelins éplorés de l’Empire n’ont pas fini de porter le deuil.

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