in

Quelle liberté de la presse en Guyane ?

Depuis plusieurs semaines, le personnel de RFO Guyane est en grève. Il ne réclame pas d’augmentation de salaire, mais dénonce des campagnes de “harcèlements et pressions de toutes sortes” de la part de la direction. Un collaborateur régulier de la station, Frédéric Farine, a été licencié sans explication. Il y a quelques mois, ce journaliste, connu pour ses enquêtes sur le pillage des richesses guyanaises, s’était vu empêcher par la préfecture de couvrir une visite ministérielle justement consacrée à l’orpaillage clandestin ! Le 28 avril, Noël Mamère a interpellé le ministre de la Culture et de la Communication. “L’injuste mise à l’écart de ce collaborateur de RFO soulève une redoutable question de fond : qu’en est-il de la liberté de la presse en Guyane ?”, interroge le député Vert. Les deux représentants de la Guyane à l’Assemblée nationale, Christiane Taubira et Juliana Rimane, ont également protesté.

Avec plus de deux décennies de décalage, je découvre que rien n’a véritablement changé dans ce département français d’outre-mer, toujours privé de liberté de la presse. Journaliste en Guyane pendant cinq ans, correspondant du “Monde” et de l’AFP, je me suis vu constamment refuser l’accès aux sources d’information par l’administration. Mon seul crime aux yeux des autorités était de refuser de me faire “corriger” mes articles, avant publication, par le directeur de cabinet du préfet. A cette époque, c’était ce sous-préfet (un ancien militaire) qui supervisait “La Presse de Guyane”, le seul quotidien local. La radio et la télévision, qui ne s’appelaient pas encore RFO, ne donnaient la parole qu’au chef de la majorité, et coupaient le micro dès que l’opposition s’exprimait. Le 1er mai, les syndicalistes n’avaient pas le droit de passer à l’antenne.

A cette époque, l’administration oubliait de me prévenir lors de conférences de presse ou de visites ministérielles, refusait de m’accorder les accréditations indispensables pour travailler. Mieux encore, elle faisait courir le bruit que j’étais un “imposteur” et que ma carte de presse était “fausse”. Je constate que les méthodes employées sont aujourd’hui un peu moins grossières. Mais la situation a-t-elle véritablement changée ? Les scandales, comme celui de l’orpaillage, ne sont révélés que par quelques rares correspondants locaux, comme Frédéric Farine, ou par des journalistes venus de l’extérieur, jamais par les médias guyanais.

Publicité
Publicité
Publicité

Le plus grave, c’est que les principaux partis politiques français, de gauche comme de droite, participent à cette loi du silence. Des préfets, des commissaires de police, des fonctionnaires de l’équipement ou de l’agriculture, hommes intègres et parfaits démocrates dans n’importe quel autre département de la France métropolitaine, se muent brutalement en “coloniaux” de la pire espèce dès qu’ils mettent un pied à Cayenne. Dès leur descente d’avion, le Guyanais (mais la situation est-elle différente aux Antilles ou à Mayotte ?) devient un “indigène”, comme au bon vieux temps des Colonies. A Kourou, la ville du Centre spatial, des femmes d’ingénieurs se plaignent parfois que les Noirs ou les Amérindiens puissent avoir accès aux supermarchés. 

Dans quelle autre partie du territoire français un colonel peut-il menacer de “faire la peau” d’un journaliste osant évoquer la désertion de légionnaires ? Imaginez des membres des Renseignements généraux en train de dissuader les commerçants d’accorder de la publicité à un petit journal indépendant, concurrent du puissant groupe “France Antilles”, éditant localement “France-Guyane”. Il y a 20 ans, ce qui n’était pas encore RFO a toujours refusé de me faire travailler. Frédéric Farine a pu collaborer à RFO, mais seulement comme pigiste, jamais comme titulaire, malgré ses diplômes universitaires et ses qualités journalistiques. Il se retrouve aujourd’hui licencié. Je ne pense pas que la liberté de la presse ait beaucoup progressé en Guyane. Hélas.

Publicité
Publicité
Publicité

Laisser un commentaire

Chargement…

0

Constitution Européenne : Oui ! Malgré tout !

“Bienvenue la Palestine”