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Pour que la mort de Chokri Belaïd sauve la Tunisie

Chokri Belaïd a été lâchement assassiné devant chez lui au matin du mercredi 6 février 2013, au lendemain d’une émission télévisée où il a dénoncé la violence politique en appelant à une rencontre de dialogue national pour y mettre fin. Comme à son habitude, il a identifié clairement les responsables de cette violence : les ligues dites de protection de la révolution, les groupes armés salafistes qui agissent impunément, le parti hégémonique au pouvoir, son aile radicale et son chef Rachid Ghannouchi. Chokri a rappelé les propos de celui-ci qualifiant les salafistes de ses « enfants qui lui rappellent (sa) jeunesse », et les ligues criminelles de « conscience de la révolution ».

Il a rappelé dans cette émission la déclaration du bureau politique d’Ennahda (son conseil de consultation, Choura), demandant la fin de l’injustice contre ses militants et les membres des ligues de « protection de la révolution » arrêtés suite à l’assassinat du militant de Nida Tounes à Tataouine, Lotfi Naggadh, qualifié par un élu d’Ennahda à l’ANC d’acte révolutionnaire !

Chokri était mon élève en cours de philosophie au Lycée de Ouardia au début des années 1980. Nous étions plus des amis que élève et professeur, même s’il a toujours tenu, jusqu’à la veille de sa mort tragique, à s'adresser à moi en disant « mon professeur ».

Je l'ai retrouvé à Paris dans les années 1990 lors des manifestations dénonçant les politiques répressives du régime de Ben Ali. Puis nous nous sommes revus ces deux dernières années dans les manifestations et les réunions pour la poursuite des objectifs de la révolution et la résistance à l’orientation anti-démocratique prise par la transition depuis les élections du 23 octobre 2013. Notre dernière rencontre a eu lieu en octobre 2012, au procès du doyen Habib Khazdaghli dont il était l'un des avocats.

Je l'ai eu au téléphone à deux reprises la veille de sa disparition et nous devions nous voir le 6 février 2013, à 17h, avec Hamma Hammami, pour discuter de la situation dans le pays et de la position du Front Populaire. Il m'a parlé des menaces dont il était l'objet et de l'attaque qui a visé la réunion de son parti au Kef, le week-end dernier.

Il m'a dit qu'il était contre la violence, mais que si les forces de sécurité n'assumaient pas leur rôle pour protéger les citoyens contre les hordes cherchant à terroriser la population et les opposants, il était prêt à rendre coup pour coup ! Son dernier message était l'appel à un dialogue national pour mettre fin à la violence politique … qui vient de l'emporter à l'âge de 48 ans.

Espérons qu'il n'est pas mort pour rien et que sa fin tragique sera un choc salutaire pour toutes les forces politiques et l'ensemble des acteurs qui tiennent à la réussite de la transition démocratique.

Les premières réactions semblent indiquer que les choses évoluent dans ce sens. Les expressions organisées de la société civile et les partis de l’opposition démocratique se sont retrouvés autour du Front Populaire, dont Chokri Belaïd était l’un des leaders les plus appréciés, pour prendre des décisions allant dans ce sens : organisation de funérailles nationales le jour de son inhumation, grève générale le même jour, suspension de la participation des députés de l’opposition démocratique jusqu’à la démission du gouvernement, réunion d’un congrès de salut national pour établir des orientations politiques, sociales et économiques répondant aux aspirations qui ont porté la révolution, et un calendrier clair pour la fin de la transition, mise en place d’une coordination regroupant des représentants de tous les partis, des syndicats et des expressions organisées de la société civile partageant ces objectifs.

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Le chef du gouvernement a, de son côté, déclaré, la formation d’un gouvernement de technocrates dont aucun membre, y compris lui-même, ne se présentera aux prochaines élections, en précisant : « Je n’y ai consulté aucun parti, n’obéissant qu’à ma conscience et à mon sens du devoir national».  

Ce gouvernement devra gérer les affaires du pays, réaliser autant que possible les objectifs de la révolution, jusqu’aux prochaines élections qu’il souhaite avoir lieu dans les plus brefs délais. Cette décision va à l’encontre des positions défendues par son parti et équivaut à un acte de démission de celui-ci. Rachid Ghannouchi, qui déclarait juste avant le discours de Hamadi Jebali qu'il n'était plus question de parler d'un remaniement ministériel, aurait réagi à ce discours en traitant le chef du gouvernement de "traître" … avant de prendre l'avion pour Londres !

Il faut que les organisations humanitaires demandent, comme elles l'avaient fait contre les ministres de Ben Ali impliqués dans la torture des islamistes, son arrestation et des poursuites judiciaires contre lui pour incitation au meurtre et à la guerre civile dans le pays ! Il est devenu l'homme le plus dangereux pour la paix civile et le principal obstacle à l'aboutissement de la transition démocratique !

La direction d’Ennahda a réagi au matin du 7 février, moins de 12 heures après la déclaration du chef du gouvernement, en rejetant cette proposition et en disant que Hamadi Jebali n’avait pas à la faire sans consulter au préalable les instances de son parti. Quels seront les développements de ce bras de fer entre Hamadi Jebali et son parti ? Hamadi Jebali sera-t-il suivi par d’autres dirigeants et par une partie de son mouvement ? Quelle sera l’attitude des autres composantes de la Troïka, des présidents de la République et de
l’ANC et de l’opposition ?

Il me semble que l’opposition entre les partisans de Hamadi Jebali et de Rachid Ghannouchi a atteint un point de non retour qui peut s’avérer décisif pour l’avenir de la transition démocratique. L'opposition démocratique et les acteurs de la société civile doivent tout faire pour isoler Rachid Ghannouchi et ses partisans, en trouvant un terrain d'entente avec la proposition de Hamadi Jebali qui est allé au-delà de leurs demandes au sujet de la composition du gouvernement.

Ils doivent, en même temps, maintenir la pression pour les autres demandes concernant un calendrier clair pour aller vers les prochaines élections, l'accélération du travail de l'ANC ou sa dissolution, la révision de toutes les nominations partisanes dans les administrations et les corps de l'Etat (dont celles des gouverneurs, des délégués, des membres des conseils municipaux, à la tête des médias publics, etc.), la réunion d'un congrès national regroupant les partis et les acteurs de la société civile, dont les syndicats, pour déterminer la feuille de route pour la fin de la transition démocratique et veiller à son application,  la dissolution des ligues dites de protection de la révolution et de toutes les milices et groupes armés, l'arrestation des auteurs d'actes de violence pour les juger et sortir le pays de la violence politique dans laquelle ces groupes veulent le conduire.

Chokri Belaïd est tombé sous les balles des ennemis de la démocratie protégés et entretenus par l’aile dure d’Ennahda et en premier lieu par Rachid Ghannouchi. Que sa mort soit le début de la fin politique de ceux qui représentent le principal obstacle à la réussite de la transition démocratique. 

 

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