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Maroc-Algérie : cœurs ouverts, frontières fermées

Samedi 4 juin 2011, les voisins du Maghreb se sont affrontés dans un match comptant pour la CAN 2012. Premier grand rassemblement populaire à Marrakech un peu plus d’un mois après l’attentat du café Argana, place Jama’a El Fna qui a couté la vie à 17 personnes (dont 8 Français et 2 marocains…).

Les Marocains avaient détourné le slogan du printemps arabe : « Al-cha‘b yourid isqat al-nidham ! » (« Le peuple veut la chute du régime ! »), qui s’est transformé l’espace d’une soirée en « Al-cha‘b yourid thalatha-zero » (« Le peuple veut un 3-0 ! »). Les joueurs de leur sélection nationale n’auront pas respecté cette requête populaire : ils en ont mis 4 aux Fennecs.

Dans les rues de Rabat, quelques jours plus tôt, un groupe de jeunes Algériens agitent leur drapeau vert et blanc, sous le regard amusé des habitants marocains. Une grand-mère va à leur rencontre en leur indiquant qu’elle aussi est algérienne. Effusion, respectueuses embrassades sur le front. Une autre dame passe à côté de la scène en leur disant « Marocains, Algériens nous sommes tous frères ! ». Elle ne s’attendait pas à recevoir le même traitement que la vieille dame algérienne. Voilà le genre de scènes peu communes auxquelles on pouvait assister à l’approche du match Maroc-Algérie, qui s’est joué samedi à Marrakech. Peu communes puisque que les frontières terrestres sont fermées entre les deux voisins depuis 1994. Des bruits persistants de réouverture courraient à l’occasion du match, mais il n’en fut rien, officiellement du moins, car en réalité les frontières ont vu passer de nombreux supporters algériens…

Tensions politiques

Au milieu des années 90, en effet, le roi Hassan II (père de l’actuel roi Mohammed VI) et ses services de sécurité, épaulés par les français, craignaient le débordement transfrontalier du radicalisme qui frappait l’Algérie. Cette crainte s’est matérialisée avec l’attentat contre l’hôtel Hasni de Marrakech, justement, en 1994. Depuis décembre 1991 et l’interruption du processus électoral par l’armée, qui voyait se dessiner une victoire du Front Islamique du Salut (FIS), l’Algérie voisine était en effet engagée dans une guerre civile.

Pour ne rien arranger, le conflit du « Sahara Occidental » est progressivement devenu le point noir des relations bilatérales. Le Front du Polisario réclame en effet l’indépendance d’une importante zone saharienne qui commence au sud de Dakhla. Or l’Algérie soutient plus ou moins ouvertement ce mouvement. Position qui n’outrage pas que le pouvoir chérifien. Hier, un autre slogan scandé tout au long de l’avenue qui mène au stade était : « Oooh ooh oh, wa al-Sahra maghribiyya ! » (« Oooh ooh oh, le Sahara est marocain ! »). Rencontre sportive, slogan géopolitique… Dans les tribunes l’observateur non maghrébin pouvait également être surpris d’entendre le nom du président algérien être scandé. Abdelaziz Bouteflika a beaucoup utilisé le football pour canaliser les mécontentements de la jeune population algérienne. En novembre 2009, il a même affrété des avions militaires pour transporter les Algériens désireux de soutenir leur équipe lors du match contre l’Egypte, à Khartoum.

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Plus récemment un conflit politico-religieux s’est ajouté. Les deux pays se disputent la paternité d’une importante confrérie soufie : la Tijania. Son fondateur est né en Algérie, mais il est enterré à Fès, d’où son mouvement très populaire qui s’est répandu au Maroc, en Algérie et jusqu’aux confins du Sénégal, acquérant par là-même un rôle quasi-officiel dans la diplomatie régionale. Le président algérien Abdelaziz Bouteflika la voit comme une possibilité de contenir le wahhabisme (que l’on nomme peut-être abusivement « salafisme ») dans son pays, ce qui est relativement le cas au Maroc.

Représentations populaires

Ces tensions existent aussi, dans une certaine mesure, à l’échelle des peuples. Ainsi ai-je pu constater, depuis le début de ma présence au Maroc, qu’une jeune femme de 23 ans travaillant dans un centre d'appel à Casablanca, un ingénieur à la retraite vivant dans un quartier bourgeois de Rabat, un enseignant de la langue arabe ou encore un ex-joueur de rugby marocain, considèrent à des degrés divers que l’« Algérien » est trop promptement enclin à la violence, quand le marocain serait, lui, plus sociable. Cette réputation, ici, colle à la peau du voisin.

Certains craignaient donc quelques affrontements. Mais l’heure était à la fête, le week-end dernier, à Marrakech, cinq semaines après l’attentat du 27 février, dont la place célèbre Jama‘a al-Fna porte encore les stigmates, et qui rappelle de mauvais souvenirs aux Algériens.

Après le troisième but marocain, on a cru un moment aux débordements. Dépités, une partie des supporters algériens (au côté desquels je me trouvais en tribune Est) a jeté des bouteilles de plastique dans la tribune en contrebas, allumé des fumigènes qu’ils ont également jetés aux abords du terrain. Un siège a également volé… Puis ils ont commencé à quitter le stade avant la fin du match, quand les Marocains, eux, célébraient déjà la victoire. Quelques heures plus tard, dans Marrakech, il n’était pas rare de voir les perdants féliciter les vainqueurs et ceux-ci remercier ceux-là pour leur déplacement. Début du réapprentissage d’un modus vivendi ? Les cœurs semblent plus prompts à s’ouvrir que les frontières…

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