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Libye : le spectre de l’Espagne

Le spectre de la tragédie espagnole plane sur la Libye. Allons-nous, encore une fois, laisser volontairement mourir des centaines de milliers de Libyens comme cela a été le cas pour les Espagnols ? Une Libye mise au ban des nations et décrétée illégitime par la communauté internationale, un Kadhafi qui exulte et crie victoire et appelle à la purification de la Libye à Tripoli. Mais qui pense aux Libyens ? On ne peut faire l’économie de l’exemple de la tragédie espagnole car, dans les deux cas, les partisans de la liberté sont sacrifiés et trahis, le peuple subira plus de privations et de misère dans un pays en ruine.

Cet isolement diplomatique de la Libye n’annonce- t-il pas l’exclusion de la Libye par l’ONU comme le fût l’Espagne ? Ne porte t-il pas aussi les sanctions économiques futures qui s’abattront sur la Libye ? La « victoire » qui se profile des forces armées de Kadhafi annonce le désastre futur de la Libye. Allons-nous encore une fois trahir et tuer l’espoir qui s’est soulevé le 17 février en Libye ? Contrairement à l’Espagne, cette fois-ci, la responsabilité n’incombe pas uniquement aux « démocraties occidentales ».

La victoire militaire de Kadhafi, si elle se confirme, signe la victoire de la contre révolution. Ce qui n’a pas été possible en Tunisie et en Egypte, la Libye de Kadhafi est en train de l’accomplir : asséner un coup d’arrêt définitif à ce vent de révolte qui embrase la région et déséquilibre l’ordre du monde. Les premiers à en pâtir, en cas de victoire de Kadhafi, en dehors du peuple libyen, seront les Tunisiens et les Egyptiens qui ne pourront plus travailler en Libye, et la Tunisie et l’Egypte auront à supporter le flux des exilés libyens.

Ce scénario tout à fait plausible tend à asphyxier le printemps arabe. Une double victoire pour la communauté internationale : d’un côté elle écrase la voix de la liberté des peuples et sauvegarde les intérêts en place et,d’un autre côté, elle crée les conditions pour se débarrasser d’un Kadhafi condamné politiquement mais, qui est aussi, le symbole de son déshonneur car les valeurs du monde libre ont été piétinées au seuil de la tente de Kadhafi.

A l’instar de Franco qui, hier, ravivait l’esprit du 2 mai 1808 et la révolte des Espagnols contre les troupes de l’envahisseur Napoléon , suite à l’exclusion de l’Espagne en 1946 par l’ONU, Kadhafi mobilise ses troupes et promet aux envahisseurs une défaite inéluctable. Kadhafi, le paria, le fossoyeur de son peuple, se présente comme le défenseur de l’indépendance de la Libye et le protecteur de ses richesses.

Comme hier, les Républicains espagnols, armés seulement de leur enthousiasme, de leur soif de liberté, face à une armée soutenue et armée par les états totalitaires (l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste), les insurgés en Libye, dans une contestation pacifique, se sont trouvés engagés dans une véritable guerre contre un adversaire aguerri, sanguinaire et efficacement armé par les puissances de la communauté internationale.

Que peuvent faire les manifestants pacifiques transformés en insurgés contre un tyran aussi terriblement armé et prêt à régner même sur un désert ? Comment pouvons-nous admettre le triomphe militaire des forces de sécurité de Kadhafi en sachant que l’homme est mort politiquement ? Pouvons-nous accepter que celui-ci, unanimement proscrit, représentant un danger réel pour son peuple, puisse sortir victorieux d’un conflit armé ? N’est-ce pas une abdication en acte ? Qui en sera le bénéficiaire ? Dans tous les cas, ce ne sera pas le peuple libyen et les partisans de la liberté et de la dignité mais les défenseurs de l’ordre dominant.

Les Espagnols ont vécu dans leur chair le choc des deux Espagne. Les conséquences de la guerre civile espagnole ont été désastreuses pour les Espagnols restés en Espagne et pour ceux qui se sont exilés. Somme-nous devant le choc de deux Libye ? Certes, les deux drapeaux qui flottent sur Tripoli et Benghazi reflètent la présence de deux conceptions de la Libye. Le drapeau de Tripoli se résume à un homme : Kadhafi, lequel a réduit toute la Libye à sa dimension. La Libye n’existe que par et à travers lui et sa famille. Au-delà du culte du chef, la Libye d’Omar el Mokhtar, par la mégalomanie de son roi des rois africains, est en plein paganisme. Comment qualifier les forces fidèles à Kadhafi ? Du nom qui leur convient : des Kadhafistes.

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Pourrons-nous admettre, après avoir vu les ravages du Livre vert sur l’état d’un peuple, continuer à le laisser sévir encore davantage ? Le drapeau de Benghazi est celui de la Libye, alors que le drapeau de Tripoli est celui de Kadhafi. Benghazi veut fermer la parenthèse kadhafienne et avec elle le mythe de l’homme sauveur en képi ou en Gandoura autoproclamé chef et roi des peuples. Ce temps est révolu. C’est contre cet esprit du temps que s’insurgent les Libyens. Toute l’histoire moderne de la Libye se résume à cette équation : la Libye est-elle à l’image de Kadhafi ou du peuple en révolte ?

Le drapeau à lui seul signifie que les Libyens sont engagés dans une guerre d’indépendance. Ce processus n’a pas commencé le 17 février mais s’inscrit dans une lutte de libération nationale. Toutes les Révolutions arabes se sont distinguées par la mise en avant du drapeau national. Cela n’implique nullement un retour de l’exaltation du sentiment national mais l’enracinement de ces mouvements dans l’histoire de leur pays, car ces peuples qualifiés d’immatures, à la solde des agendas étrangers, attestent, drapeaux en mains, être au service de leurs pays.

Le mot d’ordre des républicains espagnols contre les fascistes était « No pasarán ! ». Qu’allons-nous dire à ces forces de Kadhafi qui progressent ? Allons-nous garder de cette insurrection uniquement l’espoir qu’elle a soulevé ? Les forces de sécurité de Kadhafi progressent car elles ont l’armada militaire, mais nous ne l’avons-nous pas anticipé depuis qu’on a cessé toute mobilisation populaire et avons misé sur la communauté internationale ? La communauté internationale, a –t-elle, à elle seule, fait triompher la cause d’un peuple, tout en sachant que les calculs et les intérêts guident la décision de ces pays ?

Le conflit d’intérêts entre ces pays aboutit à l’inaction. Médusés devant la progression médiatique des forces de sécurité de Kadhafi, nous avons commencé par intérioriser l’idée de la défaite militaire des insurgés. En relâchant le champ de la mobilisation et de la résistance après avoir cru que la communauté internationale réaliserait les promesses de la résistance populaire, nous avons commis une faute impardonnable en oubliant rapidement ladite communauté internationale était la garante et la protectrice de ces dictatures. Les forces de Kadhafi « progressent » car la communauté internationale travaille implicitement dans le sens de la victoire de Kadhafi.

L’effet immédiat de cette progression militaire de Kadhafi est la répression sanglante qui s’est abattue sur la contestation pacifique au Bahreïn et au Yemen. La victoire militaire des forces de sécurité de Kadhafi se présente comme une contre révolution en acte dont la finalité est de fermer la parenthèse de la Révolution arabe. Contre les forces de l’ordre ancien, les forces populaires doivent veiller à rester vigilantes en poursuivant leurs mobilisations de soutien au peuple libyen. Poursuivre la mobilisation c’est continuer à participer médiatiquement à la lutte de libération que mènent les insurgés sur le terrain en Libye.

La prolifération médiatique de Kadhafi et de son fils ces derniers jours tend à briser notre volonté et nous préparer à la défaite qui nous semble inéluctable. Même si tout semble concourir à cela, et malgré le surarmement des forces de sécurité de Kadhafi ainsi que l’inaction de la communauté internationale, notre foi dans la cause juste d’un peuple doit rester inébranlable. Aucune force au monde ne peut vaincre la détermination d’un peuple qui s’est soulevé pour exiger de vivre librement et dignement et d’être l’unique et le véritable acteur de son destin. Le peuple libyen mène une véritable guerre de libération nationale, le drapeau flottant sur Benghazi en est le symbole. Toute guerre menée pour réaliser cet idéal s’est soldée par une victoire. La victoire des insurgés libyens sonnera le glas définitif de l’ensemble des forces oppressives qui sévissent dans le monde arabe.

Au « No pasarán ! » des républicains contre les fascistes, notre « No pasarán ! » de la contre révolution des Kadhafistes. Cette fois-ci, à l’image du printemps qui s’annonce, l’espoir du 17 février sera plein de promesses. Crions, nous les peuples, dès maintenant Victoire ! Toute victoire du peuple est une avancée de l’humanité vers plus de liberté et de justice.

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