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Lettre ouverte aux musulmans qui promettent l’enfer aux autres musulmans

Répondant un jour a un Cheikh Salafiste qui faisait des Soufis l’un des groupes qui iront en enfer selon la parole du Prophète – sur lui la grâce et la paix – : « Ma communauté se divisera en soixante-dix et quelques groupes. Tous sont voués à l’enfer sauf un : c’est le groupe de ceux qui auront suivi cette voie qui est la mienne et celle de mes Compagnons. », le Cheikh Al Alawi eut la réponse suivante :

« Mais pourquoi donc ne cites tu pas le hadith qu’a rapporté l’Imam Ghazali dans son Fasl al-tafriqât ? Le Prophète a dit : « Ma communauté se séparera en soixante-dix et quelques groupes. Ils iront tous au paradis, excepté le groupe des hérétiques. » Bien sûr, ton regard n’est pas tombé sur ce hadith ! Il s’est arrêté à ce qui t’arrangeait pour promettre le feu au reste des Musulmans et vous réserver exclusivement le paradis, à tes semblables et à toi même. Dis : « Si la demeure dernière auprès de Dieu vous est réservée, à l’exclusion de tout autre, souhaitez donc la mort si vous êtes sincères ! » Mais ils ne la désireront jamais à cause des œuvres qu’ils ont accomplies. Dieu connaît bien les injustes. (Coran 2,94). J’imagine que tu dois te demander comment l’on peut concilier ces deux paroles du Prophète. Tu ne trouveras qu’un soufi pour résoudre cette difficulté ou d’autres du même ordre. Malheureusement tu ne pourras t’abaisser à le questionner, car la jalousie a clos en toi la porte de l’objectivité et t’empêche de reconnaître tes carences. Quoi qu’il en soit, je dirai ce que Dieu a révélé [à ce soufi] ; a supposer que n’en aies pas besoin, cela pourra toujours servir aux autres.

Ces deux paroles sont aisément conciliables. Il suffit pour cela de considérrer que le terme « communauté » désigne l’ensemble de ceux auxquels le message est prêché dans le premier hadith, et l’ensemble de ceux auxquels qui répondent à cet appel dans le second. Le sens s’éclaircit dès lors que l’on exploite la forme complète du hadith, qui est le suivante. Le Prophète a dit : « Les Juifs se sont séparés en 71 groupes et les Chrétiens en 72. Quant à ma communauté, elle se séparera en 73 groupes ; tous sont voués à l’enfer sauf un : c’est le groupe de ceux qui suivent cette voie qui est la mienne et celle de mes Compagnons. » La succession mentionnée met en évidence qu’il exitait 70 religions avant la venue de Moïse – sur lui la paix -, la sienne constituant la 71ème. Ces groupes sont voués à l’enfer, en dehors de ceux qui ont suivi cette voie qui était la sienne – sur lui la paix – et celle de ses Compagnons. L’ensemble des 71 groupes peut être appelé sa « communauté » parce qu’il était l’Envoyé de Dieu pour cette époque, et que sa prédication d’adressait donc à eux. Après la venue de Jésus – sur lui la paix -, qui complète le chiffre de 72, tous les groupes autre que ceux qui suivaient sa voie et celle de ses disciples sont destinés au feu. Ahmad – sur lui la grâce et la paix – fut par la suite envoyé avec la religion ahmadienne simple1 qui correpond au 73ème des groupes mentionnés ; tous sont voués à l’enfer sauf un : c’est le groupe de ceux qui suivent cette voie qui est la sienne et celle de ses Compagnons. Et là encore, le mot “communauté” désigne l’ensemble des gens auxquels sa prédication s’adresse ; il disait en effet – sur lui la grâce et la paix – : “Je suis l’Envoyé de Dieu pour tout homme vivant à mon époque2 ou né après moi”. Après lui, la religion ahmadienne s’est divisée, selon le deuxième hadith, en soixante-dix et quelques groupes ; ils représentent les différentes écoles et les approches divergentes, dont les partisans iront tous au paradis, à l’exclusion des hérétiques.

Voila ce qu’exigent la bonté Muhammadienne et la miséricorde divine ! S’il n’en était ainsi, c’est la presque totalité de la communauté qui serait perdue, puisque seule une partie sur soixante-dix et quelques serait sauvée ; d’ailleurs, en l’occurence, rien ne permet d’identifier clairement cette partie, et ce qui le prouve, c’est que chaque groupe prétend être l’heureux élu3. Quant à moi, j’affirme que Dieu – gloire à Lui – est conforme à la [bonne] opinion qu’ont de Sa Personne ceux qui croient en Lui, à Son Prophète et au Jour dernier, lorsqu’ils font un effort pour se rapprocher de Lui. S’ils tombent juste, deux récompenses leur échoient4, dans l’hypothèse inverse, ils en obtiennent au moins une. Il sont donc récompensés quoi qu’il arrive, que tu le veuilles ou non, car les créatures ne sont pas dans l’obligation d’être infaillibles ; elles sont simplement tenues d’essayer d’être dans le vrai, et cela s’explique par la “largesse” de la voie ahmadienne, à laquelle fait allusion ce verset : Il ne vous a imposé aucune gène dans la religion (Coran 22,78). En témoigne également le hadith marfû raporté par Tabarânî, selon lequel le Prophète a dit : “300 chemins (tarîqa) différentes mènent à ma loi (sharî’a). Il suffit de suivre l’un d’entre eux pour être sauvé.” Mais ce qui corrobore plus encore cette idée, c’est le hadith rapporté par Suyûtî dans son Jâmi’ al-saghîr, selon lequel le Prophète a dit : “Dans toute communauté, une partie des gens va au paradis tandis qu’une autre se retrouve dans le feu, sauf dans le cas de ma communauté qui, toute entière, ira au paradis.”5, et – s’il plait à Dieu – il en sera bien ainsi !

Notes de lecture

1. Allusion au hadith : “J’ai été envoyé avec la hanîfiyya samha” (la hanîfiyya désigne le monothéisme abrahamique pur), de ce fait l’Islam est une religion facile (samha), c’est à dire simple, conformément au verset coranique (22,78) : Il ne vous a imposé aucune gène dans la religion ; la religion de votre père Abraham. Ahmad est le nom “céleste” du Prophète

2. On pourrait s’étonner de trouver sous la plume du Shaykh al-Alawi un développement aussi exclusiviste à l’égard des non-musulmans et aussi tolérant pour la généralité des musulmans. En réalité, ce passage correspond surtout à ce qui pouvait être dit, compte tenu du contexte de l’Algérie de ce temps, de l’époque et, par dessus tout, des limitations des personnes auxquelles s’adressait cette épitre : lorsque l’on a déjà bien du mal à convaincre que les soufis n’iront pas nécessairement en enfer, on n’entreprend pas d’aller explicitement à contre courant des idées ayant cours parmi bon nombre de musulmans au sujet des chrétiens et des juifs, entre autres.

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Il faut donc souligner que l’interprétation du hadith comporte toujours plusieurs niveaux. Ici, le Shaykh opère une première transposition du sens du terme “communauté”, celle qui convient à son interlocuteur et à ses lecteurs, c’est à dire un public exclusivement musulman. Cependant d’autres interprétations plus universalistes des notions de “communauté” et de “voie” prophétique sont possibles. Signalons d’ailleurs que, selon M. Chodkiewicz, “[pour Ibn Arabi,] le statut ultime et totalisateur de la sharî’a dont le Prophète est porteur a pour effet de valider les législation précédentes, lorsque les communautés qui y restent attachées paient la jizya, la capitation : par là même, en effet, elles sont incluses dans la communauté muhammadienne.” Mais d’un certain point de vue – lorsque le Prophète est envisagé dans sa réalité spirituelle de Principe Prophétique, celle qui correspond au hadith rapporté par Tirmidhî (Kanz n°31917) : “J’étais Prophète alors qu’Adam se trouvait entre le corp et l’esprit” -, c’est l’humanité toute entière qui constitue sa “communauté”, et chaque révélation historique exprime alors un aspect de sa “voie”.

Rappelons enfin que l’Islam est explicitement universaliste, l’un des fondements scripturaires de cette ouverture étant le verset coranique (2,62) : En vérité les croyants, les juifs, les chrétiens, les sabéens, ceux qui croient en Dieu et au Jour dernier et agissent justement, voila ceux qui trouveront leur récompense auprès de leur Seigneur. Ils n’éprouveront alors plus aucune crainte et ne seront pas affligés. Le Shaykh al-Alawi en donne le commentaire suivant dans son Bahr al-masjûr : “Le fait de citer côte à côte ces différents groupes, et de ne pas distinguer les croyants [musulmans] des autres, doit nous conduire à ne considérer personne, musulman ou infidèle, pieux ou transgresseur, comme nous étant inférieur, et ce toute notre vie durant : en effet, notre destin nous est inconnu, et c’est l’état de notre foi au moment de la mort qui compte. Les hommes, du point de vue de la prédestination, sont tous à égalité […] Ce que j’ai compris de ce verset énigmatique, c’est que tous ces différents groupes ont un réel degré religieux…”

3. Référence au hadith suivant rapporté par Bukhâri et Muslim (Kanz n°1135 et 1136). Le Prophète a dit : “Dieu – exalté soit-il – a dit : “Je suis conforme à l’opinion que Mon Serviteur se fait de Moi…””. Dans d’autres variantes de ce hadith, le discours divin continue ainsi : “Alors qu’il pense de Mpo ce qu’il veut”, ou encore : “Alors qu’il ait une bonne opinion de Moi”.

4. C’est à dire l’une pour la sincérité de l’intention et l’autre pour le bon résultat : ce sont les termes d’un hadith rapporté par Muslim (n°4261) à propos de la fonction de juge

5. Kanz n°34484

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