Au cours du dernier demi-siècle, la Ligue arabe, l’Organisation de la Conférence Islamique et d’autres institutions similaires ont présenté à leurs Etats membres plus d’une demi-douzaine de propositions dans le but de développer un calendrier islamique commun. Bien que ces propositions n’aient jamais abouti, jusqu’ici, les efforts continuent dans cette voie, à la recherche d’une solution acceptable pour toutes les parties concernées.
Le calendrier recherché devrait à la fois satisfaire toutes les exigences techniques, et être susceptible de recueillir un maximum d’adhésions de la part des Etats Islamiques et des communautés musulmanes à travers le monde.
En effet, l’objectif recherché, c’est l’élaboration d’un calendrier lunaire musulman « universel » qui réponde parfaitement aux besoins quotidiens de tous les musulmans, où qu’ils soient. La méthode choisie doit ainsi faire débuter le mois lunaire le même jour sur toute la Terre, comme le spécifiait le cadi Ahmad Muhammad Shakir dans son opinion juridique de 1939.
Le calendrier lunaire basé sur le calcul, élaboré par les observatoires astronomiques internationaux :
Sur le plan technique, ce calendrier répondrait parfaitement à un tel cahier des charges. Il satisferait le vœu de Shakir de faire débuter le mois lunaire le même jour partout dans le monde. Ce serait le candidat N° 1 dans un classement.
Mais, de plus, la communauté musulmane cherche, aujourd’hui, à associer avec subtilité des critères relevant de l’observation (même virtuelle) de la nouvelle lune aux calculs astronomiques.
Les modèles suivants répondent, aujourd’hui, à ces spécifications :
Le calendrier saoudien d’Umm al Qura :
L’Arabie Saoudite utilise depuis plusieurs décennies, à des fins administratives, un calendrier annuel, basé sur le calcul, connu sous le nom de « calendrier d’Umm al Qura. » Il tient compte à la fois de la “conjonction” et des horaires de coucher du soleil et de la lune aux coordonnées de La Mecque, le soir du 29è j de chaque mois. La conjonction doit avoir lieu avant le coucher du soleil à La Mecque et la lune doit se coucher après le soleil. Dans le cas contraire, le mois en cours aura une durée de 30 jours.
Mais, d’après les autorités saoudiennes, ce calendrier doit uniquement servir à des fins administratives et budgétaires. Il fait périodiquement l’objet d’ « ajustements » de la part des autorités saoudiennes (dates avancées ou reculées d’un jour). Il ne peut, de ce fait, répondre aux besoins des populations musulmanes du monde entier, lesquelles ont besoin d’un calendrier dont les données sont stables, prévisibles et établies des années à l’avance.
La proposition du Conseil du Fiqh d’Amérique du Nord (CFAN)
Le Conseil du Fiqh d’Amérique du Nord (CFAN), qui s’est senti depuis des années interpelé par cette question, a annoncé au mois d’août 2006 sa décision mûrement réfléchie d’adopter désormais un calendrier islamique basé sur le calcul, en prenant en considération la visibilité de la nouvelle lune où que ce soit sur Terre.
Utilisant comme point de référence conventionnel, pour l’établissement du calendrier islamique, la ligne de datation internationale (Greenwich Mean Time (GMT)), il déclare que désormais, en ce qui le concerne, le nouveau mois lunaire islamique en Amérique du Nord commencera au coucher du soleil du jour où la conjonction se produit avant 12 : 00 GMT. Si elle se produit après 12 : 00 GMT, alors le mois commencera au coucher du soleil du jour suivant.
La décision du CFAN est d’un grand intérêt, parce qu’elle conjugue avec une grande subtilité les exigences théologiques des oulémas avec les données de l’astronomie. Le CFAN retient le principe de l’unicité des matali’e (horizons), qui affirme qu’il suffit que la nouvelle lune soit observée où que ce soit sur Terre, pour déterminer le début du nouveau mois pour tous les pays de la planète. Après avoir minutieusement étudié les cartes de visibilité du croissant lunaire en différentes régions du globe, il débouche sur la conclusion suivante :
Si la conjonction se produit avant 12 : 00 GMT, cela donne un temps suffisant pour qu’il soit possible d’observer la nouvelle lune en de nombreux points de la Terre où le coucher du soleil intervient longtemps avant le coucher du soleil en Amérique du Nord. Étant donné que les critères de visibilité de la nouvelle lune seront réunis en ces endroits, on pourra considérer qu’elle y sera observée (ou qu’elle aurait pu l’être si les conditions de visibilité avaient été bonnes), et ce bien avant le coucher du soleil en Amérique du Nord.
Par conséquent, sur ces bases, les stipulations d’observation de la nouvelle lune seront respectées, comme le prescrit l’interprétation traditionnelle de la charia, et le nouveau mois lunaire islamique débutera en Amérique du Nord au coucher du soleil du même jour. Si la conjonction se produit après 12 : 00 GMT, alors le mois commencera en Amérique du Nord au coucher du soleil du jour suivant.
La décision de 2006 du Conseil du Fiqh d’Amérique du Nord (CFAN) a suscité de l’intérêt dans de nombreux pays musulmans, dans la mesure où elle tient compte des exigences de l’interprétation traditionnelle de la charia, tout en permettant d’établir à l’avance un calendrier islamique annuel, qui peut en fait s’appliquer à l’ensemble du monde musulman. Le début des mois de ce calendrier serait programmé sur la base du moment (parfaitement prévisible, longtemps à l’avance) auquel la conjonction se produira chaque mois.
Des astronomes d’une dizaine de pays se sont ainsi réunis au Maroc, en novembre 2006, en vue de discuter de la possibilité d’adoption d’un calendrier islamique universel. D’après un rapport publié par Moonsighting.com en décembre 2006, à une très forte majorité, comprenant l’Arabie Saoudite, l’Egypte et l’Iran, les astronomes ont estimé que le calendrier adopté par le Conseil du Fiqh d’Amérique du Nord pouvait être utilisé comme calendrier islamique universel.
Un calendrier lunaire basé sur le calcul, à vocation « universelle » aux paramètres de la Mecque
En 2007, le CFAN modifia sa position pour s’aligner sur une décision du Conseil Européen pour la Fatwa et la Recherche (CEFR), dont le siège se trouve à Dublin, et qui utilisait à l’époque les paramètres du calendrier saoudien d’Umm al Qura pour déterminer le début des mois islamiques (la « conjonction » se produisant « avant le coucher du soleil aux coordonnées de la Mecque », et “le coucher de la lune ayant lieu après celui du soleil” aux mêmes coordonnées.)
Le CFAN et le CEFR décidèrent d’utiliser leur propre calendrier, au lieu de celui d’Umm al Qura, du fait que ce dernier faisait parfois l’objet d'”ajustements” pour faire coïncider certaines dates avec celles retenues par les autorités saoudiennes pour des célébrations à caractère religieux (telles que le début et la fin du ramadan et la date du hajj en particulier). Mais, ils substituèrent les paramètres de la Mecque à ceux retenus par le CFAN en 2006 dans le but de favoriser le développement d’un consensus des musulmans à travers le monde sur cette question.
D’après le CFAN, les données du calendrier ainsi établi ne diffèrent que de manière marginale de celles obtenues par l’application de sa méthodologie d’août 2006, même si cette dernière reste la version préférée des astronomes concernés par cette question.
Les décisions du CFAN et du CEFR ont eu les retombées importantes suivantes, sur le plan institutionnel :
Le principe d’utilisation du calendrier basé sur le calcul est officiellement parrainé par des leaders religieux connus et respectés de la communauté musulmane ;
Il est adopté officiellement par des organisations islamiques dont nul ne conteste la légitimité ;
De nombreuses communautés musulmanes d’Europe et d’Amérique l’utilisent pour la détermination du début de tous les mois, y compris ceux associés à des occasions à caractère religieux.
Les paramètres révisés du calendrier astronomique du CEFR :
Il y a quelques années, le Conseil Européen pour la Fatwa et la Recherche (CEFR), a décidé de prendre ses distances vis-a-vis du calendrier d’Umm al Qura et a révisé en conséquence les paramètres qu’il utilise dans l’établissement de son calendrier. Ce dernier est désormais « fondé sur des critères de calcul postulant qu’il doit y avoir la possibilité d’observer le croissant à l’oeil nu ou à l’aide d’un télescope en un endroit quelconque de la Terre. Pour que cette possibilité d’observation du croissant dans un quelconque endroit de la Terre puisse être vérifiée, les conditions suivantes (similaires à celles de la Turquie) doivent être réunies :
a) La lune doit se coucher après le coucher du soleil au site où cette observation doit être possible ;
b) L’altitude de la lune au coucher du soleil doit être d’au moins 5 degrés ; et
c) L’élongation (distance angulaire apparente entre les centres du Soleil et de la Lune) doit être d’au moins 8 degrés. »
En France, le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) a annoncé le 9 mai 2013 sa décision d’utiliser désormais un calendrier musulman basé sur le calcul astronomique en substitution aux méthodes utilisées jusque-là, qui se basaient sur l’observation de la nouvelle lune soit en France, soit dans les pays du Maghreb ou du Moyen Orient. Ce calendrier basé sur le calcul tient compte de la possibilité d’observation de la nouvelle lune où que ce soit sur Terre, au soir du 29è jour du mois lunaire. Mais, cette décision n’a toujours pas été appliquée à l’occasion des mois de ramadan 1434, 1435 et 1436 (correspondant à 2013, 2014 et 2015).
Le calendrier musulman de Turquie :
Au niveau des pays pratiquant l’islam sunnite, la Turquie a franchi le pas d’utilisation du calendrier basé sur le calcul depuis plusieurs décennies. Ainsi, depuis 1 Muharram 1400 AH (21 Novembre 1979), la présidence turque des affaires religieuses (Diyanet Isleri Baskanligi) prépare périodiquement un « calendrier lunaire turc » basé sur la règle suivante: « Le mois lunaire est supposé commencer le soir où, quelque part sur Terre, le centre calculé de la nouvelle lune au coucher du soleil local est de plus de 5 ° au-dessus de l’horizon et l’élongation de plus de 8 °. »
Ce calendrier postule dans ses spécifications qu’il doit y avoir la possibilité d’observer la nouvelle lune à l’oeil nu ou à l’aide d’un télescope en un endroit quelconque de la Terre. Il est calculé des années à l’avance (actuellement jusqu’à 1437 AH/2015 CE.). Depuis octobre 2014, la règle a été modifiée et « le croissant lunaire doit se situer au-dessus de l’horizon local d’Ankara au coucher du soleil ».
Comparaison des différents modèles de calendrier
La comparaison des résultats donnés par les calendriers d’Umm al Qura, de Turquie, du CEFR et du CFAN sur une période de 5 ans montre que les différences sont négligeables (1 ou 2 résultats différents par modèle de calendrier, par rapport aux autres, sur 60 observations).
Le critère décisif de sélection parmi les quatre modèles n’est donc pas à caractère technique, mais purement stratégique et politique. Lequel de ces modèles est le plus susceptible de recueillir un maximum d’adhésions de la part des Etats islamiques et des communautés musulmanes à travers le monde ?
Procédons par élimination. Le calendrier d’Umm al Qura et celui du CFAN utilisent les mêmes critères techniques. Mais la crédibilité du calendrier d’Umm al Qura souffre des manipulations dont il fait l’objet de la part des autorités saoudiennes. Le modèle a plus de chances de recueillir des adhésions quand il est parrainé par le CFAN, qui en garantit l’intégrité.
Le calendrier musulman de Turquie et celui du CEFR utilisent, eux aussi, les mêmes critères techniques, mais le modèle a plus de chances de recueillir les adhésions quand il est parrainé par le CEFR que par la seule Turquie.
On peut donc considérer que les deux modèles restant en lice sont ceux du CFAN et du CEFR. Les deux propositions étant également valables sur le plan technique, le choix doit se faire sur la base de considérations purement stratégiques et politiques.
Si toutes les communautés musulmanes d’Europe adoptaient le modèle du CEFR, cela constituerait un très grand progrès dans la situation, débouchant sur un ensemble de poids dans le monde musulman.
Il en serait de même si toutes les communautés musulmanes d’Amérique du Nord et du Sud adoptaient le modèle du CFAN. De tels ensembles constitueraient des modèles pour les autres communautés musulmanes d’Afrique, d’Asie, etc., ce qui faciliterait la convergence vers un modèle unique, à terme.
Une fois qu’une communauté décide d’adopter un calendrier lunaire basé sur le calcul, le modèle retenu importe peu, en vérité, parmi la panoplie étudiée ci-dessus. Même s’il existe un jour de décalage entre une communauté musulmane et l’autre dans la célébration d’une grande occasion religieuse, cela est de peu de conséquences.
L’essentiel, c’est qu’au sein de chaque communauté, les musulmans s’habituent, sur le plan culturel et social, à disposer de calendriers élaborés des années à l’avance, de manière stable, répondant à tous leurs besoins et leur permettant de gérer toutes leurs activités dans la plus grande sérénité. Les calendriers préparés par les observatoires astronomiques internationaux, ou ceux du CFAN et du CEFR, par exemple, permettent tous d’atteindre cet objectif.
Mais, avant de pouvoir profiter des avantages offerts par le calendrier basé sur le calcul, les communautés musulmanes doivent d’abord être rassurées qu’il est d’un usage parfaitement licite. La question reste posée pour l’immense majorité des musulmans, en ce début du 21è siècle.
Comme il a été noté, Muhammad Abduh, Grand Mufti d’Egypte, et Ahmad Muhammad Shakir, Président de la Cour Suprême de la Charia d’Egypte, ont défendu des points de vue juridiques opposés sur cette question, bien qu’ils aient été tous les deux des réformistes convaincus. Seules, les autorités politiques et religieuses des différents Etats et communautés musulmanes, à travers le monde, peuvent donc apporter la réponse qui convient à cette question, dans un sens ou dans l’autre, dans chaque communauté prise séparément.
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