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Le Sénégal, terre de mission pour les Wahhabites et les Frères musulmans

 

À l’aube des indépendances africaines, le Sénégal, pays qui compte 94 % de musulmans, élisait à la magistrature suprême un chrétien, Léopold Sedar Senghor, indice d’une grande maturité politique et d’esprit de tolérance.

60 ans après, sous couvert de religion, le pays est devenu terre de mission pour les islamistes rigoristes venus d’Egypte et de la Péninsule arabique. Les Frères musulmans et les divers mouvements de réislamisation wahhabite y étendent désormais leur tentacule au grand dam de l’islam confrérique tolérant.

Pour faire face à cette vague venue de loin, les confréries sont tentées par la radicalisation de peur d’être balayées. L’islam confrérique n’est plus désormais à l’abri de certaines dérives. Ainsi, les Mourides, la plus puissante des confréries du Sénégal, ont constitué un véritable État dans l’État à Touba, leur ville sainte qui compte près d’un million d’habitants.

Dans cette «cité radieuse», les cinémas sont interdits, ainsi que la musique non religieuse. Les écoles de la République de ce pays officiellement laïc sont elles aussi interdites. Le football n’a pas davantage droit de cité.

I – GENÈSE D’UNE DÉRIVE

À l’indépendance, le pouvoir post colonial, sur l’incitation de son ancien tuteur français, a favorisé un rapprochement avec les pétromonarchies du Golfe pour faire barrage au marxisme à l’apogée de la guerre froide soviéto-américaine. Une politique amorcée dans la foulée de la 3ème guerre israélo-arabe d’octobre 1973, dans le prolongement du boom pétrolier et de la rupture collective des relations entre l’Afrique et Israël.

Sous l’effet du mirage pétrolier et des conseils de la firme pétrolière française ELF, Bernard Albert Bongo est ainsi devenu Omar Bongo et le Gabon francophone s’est mué en grande oreille de la France au sein de l’OPEP, le cartel anglophone des pays producteurs de pétrole, (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole).

À son tour, la Finance islamique fait son apparition sur le marché africain pour suppléer la France en phase de chômage structurel et de «charter de la honte», avec son cortège de Madrassas, de banques islamiques et de prosélytisme religieux, selon le rite wahhabite.

Une vingtaine de dirigeants de la Confrérie des Frères Musulmans, dont Ayman al Zawahiri, qui deviendra le successeur d’Oussama Ben Laden à la tête d’Al Qaida, bénéficiaient à cette époque d’un droit de cité dans les principales villes européennes.

La ré-islamisation des communautés immigrées d’Europe occidentale, -politique connue sous le nom pudique de «réappropriation de la culture d’origine»-, a été menée directement par l’Arabie saoudite, de concert avec le pacte atlantiste, afin de faire barrage à la propagation du communisme dans les franges immigrées de la population expatriée, de l’ordre de 12 millions de personnes à l’époque, et de freiner leur insertion dans les partis et mouvements syndicaux contestataires de l’ordre capitaliste et atlantiste (Parti communiste, CGT).

La décapitation des dirigeants emblématiques du continent, la neutralisation des représentants authentiques de l’islam noir a privé l’Afrique d’anti-corps en mesure de doter le continent d’un système immunitaire efficace face à la subversion téléguidée à distance et attisée par la gangrène locale.

II – LE LABORATOIRE SÉNÉGALAIS

Les Frères Musulmans, le plus ancien parti transnational du Monde arabe, ont entrepris de s’implanter au Sénégal, plaque tournante de l’Afrique occidentale francophone, en vue de s’aménager une base de repli face à une Europe gagnée par l’islamophobie et de compenser ainsi leurs déboires en Egypte, en Arabie saoudite et en Tunisie.

A dire vrai, l’influence des Frères Musulmans au Sénégal– alliés à cette époque du royaume wahhabite ennemi déclaré du nassérisme et des régimes nationalistes dans le monde arabe – remonte à la décennie 1970, où la confrérie a bénéficié du boom pétrolier consécutif à l’usage par les Arabes de l’arme du pétrole contre les alliés occidentaux d’Israël dans la guerre d’octobre 1973.

Deux autres facteurs ont joué dans la propagation de l’islamisme en Afrique noire: le parrainage saoudien de la confrérie ainsi que la rupture des relations collectives entre l’Afrique et Israël qui s’est ensuivie, de même que l’instrumentalisation de l’Islam comme arme de combat contre l’athéisme de l’Union soviétique et de ses alliés régionaux ou locaux.

Depuis cette date, l’influence des FM s’est propagée de manière diffuse, par l’entremise d’associations de bienfaisance ou via des mouvements étudiants qui leur sont proches idéologiquement, tels l’association des Élèves et Étudiants Musulmans du Sénégal (AEEMS) créée en 1993 ou l’Association des Étudiants de l’Université de Dakar (AEMUD), formée entre 1984 et 1986.

Point de passage vers l’Amérique latine, le Sénégal est un territoire stratégique en Afrique de l’ouest. Indépendant depuis 1960, il occupe une place importante dans l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) ; du fait de ses relations étroites avec la France et une place majeure au sein de l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI) ; aux côtés de l’Arabie Saoudite et du Qatar. L’islam est arrivé au Sénégal au XIème siècle.

Rompant avec cette tradition de discrétion, une délégation de la confrérie a effectué, en février 2014, une visite officielle au Sénégal. Cette première visite officielle des FM a paru répondre à une logique de légitimation de l’organisation, alors que la confrérie venait d’être frappée d’ostracisme par son ancien parrain, l’Arabie saoudite.

L’islamisation de la société sénégalaise à l’époque contemporaine a été favorisée en outre par le déploiement des banques islamiques dans une société en voie de paupérisation croissante tant du fait de la sécheresse que des gros scandales de corruption.

Le Qatar, parrain de substitution aux Frères Musulmans, a constitué un puissant vecteur au déploiement de la confrérie, notamment via les finances islamiques et leur chaîne vedette Al-Jazeera, un de ses instruments de pénétration écon
omique et idéologique. Le Qatar a souhaité implanter une antenne francophone de la chaîne de télévision à Dakar, mais le président sénégalais y aurait opposé son veto à ce projet, privilégiant la chaîne française France24.

En dépit de ce camouflet, le Qatar a continué de témoigner d’un intérêt persistant pour le Sénégal, qui s’est récemment traduit d’ailleurs par sa contribution à la libération le 24 juin 2016, à la veille de la fin du Ramadan de Karim Wade, le fils de l’ancien président Karim Wade, incarcéré dans son pays pour fait de corruption. Karim Wade est arrivé à Doha, à bord de l’avion privé du procureur général du Qatar, en une caution indirecte de la principauté à l’affairisme de son protégé.

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La stratégie rampante des FM n’a pas l’heur de plaire à tout le monde. L’un des plus virulents censeurs de la confrérie est un enseignant-chercheur de l’Université à Saint-Louis, Bakary Sambe, qui n’a cessé de mettre en garde contre l’islamisation de la société sénégalaise. Dans une polémique restée célèbre, qui l’a opposée l’été 2013, à Tariq Ramadan, Bakary Sambe a accusé notamment le petit fils du fondateur de la confrérie «de vouloir faire de l’Afrique francophone sa nouvelle zone d’influence pour régler ses comptes avec l’Occident».

Au delà de la polémique et sans se prononcer sur le bien fondé des arguments de l’un comme de l’autre, l’universitaire sénégalais gagnerait en objectivité s’il portait les mêmes accusations à l’égard de l’entrisme feutré israélien au Sénégal et au delà en Afrique, dont l’objectif sous jacent est de cogérer le pré carré africain de la France en tandem franco israélien. Selon le bout de la lorgnette, la vue varie.

III – LIAISONS DANGEREUSES

La soumission des pouvoirs sénégalais successifs à la stratégie globale saoudienne était présentée comme un investissement à même de contribuer au développement économique du pays.

Le «socialiste» Abdou Diouf avait envoyé en 1990 l’armée sénégalaise participer à la Tempête du désert pour, disait-il, «défendre les lieux saints de l’islam». 93 soldats sénégalais périront dans le crash d’un avion militaire. En récompense de cet engagement militaire mercenaire, l’Arabie saoudite confiera au Sénégal l’organisation deux sommets islamiques en 1992 et 2008 grassement financés par la Banque islamique du développement dont Riyad est le principal bailleur. Une sorte de bakchich dont une bonne partie servira à renflouer les comptes bancaires de certains membres de la nomenklatura sénégalaise.

Rebelote quinze plus tard. En avril 2015, le Sénégal de Macky Sall accède à la demande du nouveau roi Salmane et décide, «dans l’intérêt bien compris des deux pays», de jeter 2100 militaires dans la fournaise yéménite (sic)! Soit trois fois plus qu’il n’a envoyé combattre les terroristes au Mali tout proche.

Le risque n’est pas seulement d’essuyer de grosses pertes parmi ses soldats, mais surtout de les voir revenir au pays contaminés par l’idéologie wahhabite à l’origine de la création d’Al-Qaïda et de Daech.

Droit de réponse à l'article de René Naba: Monsieur René Naba, l’Islam, comme la Négritude, fait, aussi, partie intégrante de mon héritage sénégalais

Dans votre article publié par Oumma.com et intitulé « Le Sénégal, terre de mission pour les Wahhabites et les Frères musulmans » vous vous êtes penchés sur un sujet intéressant avec des développements pertinents mis à part mes sérieuses réserves sur certains points dont on discutera à l’occasion. En tout cas, je vous félicité de votre transversalité et de vos efforts reconnus dans le cadre de la recherche en géopolitique. Je viens simplement apporter, amicalement, quelques précisions sur trois points qui m’ont directement concerné dans votre article :

1- vous m’avez présenté comme « l’un des plus virulents censeurs de la confrérie- des Frères musulmans (ndlr) : Laissez-moi vous préciser que je ne suis censeur d’aucune confrérie ou courant de pensée particulier à part le fait de jeter un regard d’observateur critique au sens scientifique– certes engagé par moments- du champ islamique sénégalais et africain que j’étudie, en tant que chercheur, indépendant et libre de toute influence, depuis bientôt vingt ans, souvent, hors des sentiers battus par l’orientalisme et de l’africanisme, pratiqués en France. Ce qui m’a valu, d’ailleurs, dans le passé, de nombreux problèmes d’intégration dans le système universitaire en France, pays où je compte de nombreux collègues et amis à qui je rappelle constamment la nécessité de faire évoluer les paradigmes.

A vrai dire, je n’ai pas une fixation sur cette confrérie des Frères Musulmans mais que j’explique, simplement, depuis 2003, la manière dont elle développe une stratégie de pénétration en Afrique francophone –là je vous rejoins ! –par plusieurs moyens dont la récupération des cadres organisationnels existants au sein des communautés musulmanes. Par ailleurs, en tant que musulman, issu de l’école coranique, de la Zawiya Tijâniyya comme de « l’Ecole nouvelle », – appellation donnée jadis à l’école française au Sénégal –, j’ai toujours considéré que la religion était sacrée et la politique profane. 

Du coup, de la même manière que certains penchent pour une politisation opportuniste de notre sacré collectif, je continue, en toute liberté, de croire que politiser ma religion, c’est la profaner ! Voilà, entre autres, ce qui me différencie des Frères Musulmans sur le plan idéologique et auxquels je reconnais, aussi, le droit d’être différents et de penser différemment.

2- Vous affirmez aussi que je n’ai « cessé de mettre en garde contre l’islamisation de la société sénégalaise » : De ce que je sais de vous, peut-être que vous l’utilisez sans arrière-pensée, mais le terme « islamisation » a pris, ces derniers temps, un sens tellement orienté notamment dans le débat politique français que je me méfie qu’on puisse affirmer que je mette « en garde contre » un processus qui serait de nature à « islamiser » telle ou autre sociét&
eacute;. 

De plus, malgré mes oppositions claires à toutes les volontés d’aliénation imposées d’Orient comme d’Occident, (lâ sharqiyya wa lâ gharbiyya), mes positions claires demandant, par exemple, à Monsieur Tariq Ramadan – que vous avez-vous-mêmes cité – de dénoncer le « paternalisme arabe » au même titre que l’« impérialisme français » au Sud du Sahara, je ne récuse pas le fait que l’Islam soit une partie intégrante de mes héritages culturels conjugués. D’ailleurs, je n’ai jamais porté de jugement de valeurs sur son développement au Sénégal ou en Afrique sauf lorsqu’il sert d’alibi à certains pays ou groupes pour nier un autre versant de notre héritage, la négritude, l’africanité auxquels Senghor avait même ajouté la francophonie. 

La destruction des mausolées de Tombouctou a tellement laissé des séquelles chez moi, dans le sens de la négation de l’apport de l’Afrique à la civilisation de l’Islam, que je n’ai pas pu supporter l’instrumentalisation de crise malienne par certains venus régler des comptes personnels sous couvert de da’wah et d’une prétendue « conscience musulmane » ! 

Loin de moi, donc, tout essentialisme selon lequel on devrait compartimenter les identités et rendre schizophréniques nos mémoires toujours hybrides. Par contre, je suis bien conscient, comme vous, des manipulations des symboles religieux pour des motifs politiques auxquelles s’adonnent toutes les idéologies se fondant sur une récupération du sacré collectif pour en faire des mots d’ordre politiques ou égoïstement électoralistes et malléables à l’infini. Cela a toujours été le fait de certains usurpateurs usant de la Torah, de la Bible comme du Coran pour asseoir soit une domination politique sur une population ou une légitimité historique sur un territoire.

3- Vous suggérez à l’universitaire sénégalais –seulement et pas à Tariq Ramadan que vous citez-vous mêmes- de « gagner en objectivité » en « portant les mêmes accusations à l’entrisme feutré israélien au Sénégal et, au-delà, en Afrique » : D’accord je n’accuse personne, je me suffis d’analyser ! Je crois, aussi, qu’une meilleure connaissance du Sénégal dont vous analysez, en expert, l’évolution religieuse dans cet article vous permettrait de vite saisir que ce pays n’avait de leçon à prendre en matière de soutien des revendications justes légitimes du peuple palestinien ami et frère. Au plus fort de l’après 1973, lorsque nombre de dirigeants de pays arabes fuyaient Arafat, le Sénégal était l’un des rares au monde à accueillir un bureau de l’OLP à Dakar. Son mandat est constamment renouvelé depuis environ 30 ans à la tête du Comité Al-Quds pour l’exercice des droits inaliénable du peuple palestinien aux Nations Unies. C’est dans cette ambiance et cette conscience politique que j’ai grandi et qui m’a permis très tôt de m’élever contre toutes les formes d’injustice et de manière principielle loin des querelles de « collusion » ou de « complots » qui marquent le débat en France au grand détriment d’ailleurs de cette cause qui n’en avait pas besoin.

Ce débat orienté et quelque peu malsain ne m’intéresse pas du tout ! Il est vrai, je ne suis pas spécialiste de la politique africaine d'Israël comme vous qui m’apprenez beaucoup de choses sur les « visées » de ce pays en Afrique. Mais, soyez en rassuré, en politiste comparatiste passionné, le jour où je disposerais d’éléments factuels suffisants me permettant de construire une argumentation scientifiquement fondée sur une telle thématique, je m’exprimerais clairement sans parti pris ni pression aucune à propos d’une telle donne géopolitique qui m’intéresserait au plus haut point.

Pour rappel, et pour que vous gagniez aussi en objectivité me concernant et par rapport à mes travaux dont certains vous sont inspiré, ma thèse de science politique soutenue à l’IEP de Lyon portait bien sur « l’islam dans les relations arabo-africaines » et je n’avais pas trouvé, à l’époque, la pertinence du « rôle israélien » dans le cadre d’un tel sujet de recherche. Si vraiment, cher Monsieur Naba, vous en trouvez, je serais toujours amicalement preneur de vos suggestions toujours si stimulantes.

Bakary Sambe, Directeur du Timbuktu Institute – African Center for Peace Studies, Enseignant-chercheur au Centre d’Etude des Religions de l’Université Gaston Berger de Saint- Louis (Sénégal)

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