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Le Québec aurait-il peur de ses musulmans ?

Les derniers mois furent difficiles pour les musulmans du Québec. En effet, les médias se sont fait l’écho de plusieurs positions à l’endroit de l’islam et des musulmans qui laissent perplexe. Que visent donc ces voix de l’observation objective et du témoignage professionnel ? Quelle est leur responsabilité, s’il en est, dans l’accentuation du déficit de confiance dans la société québécoise par rapport aux concitoyens de confession musulmane  ? Quels interlocuteurs privilégient-ils lorsqu’ils souhaitent s’adresser aux musulmans ou parler d’eux ?

Lors des deux apparitions d’Irshad Manji sur l’écran des Francs-tireurs de Télé-Québec (lors de la sortie de la version originale de son livre puis de sa traduction française), et surtout celle d’Amir Khadir, Benoît Dutrizac se laisse aller à formuler ses ressentiments personnels à l’égard de l’islam « religion stupide » et de certaines de ses pratiques (jeûne du ramadan). Des mesures ont été prises, suite à une plainte déposée par le CRARR (Centre de recherche-action sur les relations raciales) au CRTC, puisque le journaliste a été finalement « remercié ». Faisant mine de ne pas connaître la raison de son congédiement, il évoque un conflit larvé avec la présidente de Télé-Québec qui aurait fini par éclater à l’occasion de cet incident…

Un peu plus tôt cette année, Pierre Reid, alors ministre de l’Education, annonçait la subvention à 100% des écoles privées juives. Les réactions ne se sont pas faites attendre. Dans un climat social de contestation des politiques économiques du gouvernement du Premier ministre Charest, les médias se sont fait l’écho d’un mécontentement généralisé de la part des citoyens québécois. Comment pouvait-on non seulement subventionner des écoles privées en totalité ou partie, mais encore subventionner des écoles confessionnelles dans un contexte laïc ? La place du religieux dans l’espace public était évidemment en cause. Mais pas seulement, puisque le réflexe de Radio-Canada fut de s’inquiéter de ce que les musulmans pouvaient en penser, au cas où il leur venait à l’idée de vouloir profiter des largesses du gouvernement québécois. C’est ainsi que l’on prit contact avec le directeur d’une école musulmane pour lui faire « avouer » ses intentions…

Alors que les débats sont au plus fort de leur intensité en Ontario autour de la demande déposée par un groupe de la communauté musulmane locale de recourir au droit familial musulman, au mois de décembre dernier, paraît le fameux rapport de l’ancienne procureur Marion Boyd qui arrive à la conclusion, que la loi ontarienne sur l’arbitrage doit continuer de permettre l’arbitrage religieux dans des causes de droit de la famille et de succession. Bien que l’enjeu soit confiné dans le cadre de la province voisine, il reste que la levée de bouclier au Québec fut pour le moins impressionnante. « Non à l’introduction de la charia au Québec ! » « L’opposition du Québec à la charia  » « La charia au Canada : pour ou contre ? »… Malgré l’inconstitutionnalité des tribunaux d’arbitrage au Québec, l’expression de l’hostilité envers l’islam et les musulmans n’a pas fini de s’atténuer que la députée Fatima Houda-Pépin s’érige en spécialiste du droit musulman et fait une présentation au début du mois mars à l’Assemblée nationale pour « montrer le danger » que constitue l’implantation de la charia dans le droit canadien. L’émotion fut évidemment à la hauteur de la peur qu’un tel discours peut susciter. Et voilà que Mme Monique Gagnon-Tremblay, ministre des Relations internationales du Québec, « exhorte tous les partis politiques fédéraux et provinciaux à clamer leur opposition à la charia. [Elle] pense même que le Québec devrait rejeter toute demande d’immigration d’une personne qui adhère à la loi islamique. » Plutôt grave, mais surtout confinant à l’absurde, puisque pratiquer la prière rituelle, c’est adhérer à la charia, alors tous les citoyens musulmans accomplissant la prière sont en infraction…

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Mais la députée libérale de La Pinière n’est pas en reste puisqu’elle fait adopter le 26 mai dernier, une motion par l’Assemblée nationale « contre l’implantation de tribunaux islamiques au Québec et au Canada » s’érigeant ainsi en tutrice de la communauté musulmane désormais infantilisée contre « une mouvance islamiste minoritaire mais agissante, qui cherche à imposer son système de valeurs, au nom d’une certaine idée de Dieu. » Or, il ne suffit pas de prendre acte du soutien de l’Assemblée à une motion peu amène à l’endroit de l’islam et de ses fidèles, il faut encore que le porte-voix radiophonique et télévisuel de l’intelligentsia bien-pensante du Québec, ainsi que la presse locale fassent tous les honneurs à la députée pourfendeuse des islamistes imaginaires, qui ne distingue pas entre charia, jurisprudence musulmane et ses multiples sous-catégories.

Non seulement la motion est discriminatoire à l’endroit des musulmans – puisqu’au nom d’une minorité inventée (pas un nom d’individu ou d’organisme au Québec n’a été mis en cause), elle les stigmatise dans leur ensemble – mais parce qu’en raison de l’opposition que l’on exprime à ce qui se passe en Ontario elle distingue l’islam des autres religions en présence. De plus, alors même que le recours à l’arbitrage religieux n’est pas permis par les lois du Québec, la motion enfonce deux portes ouvertes : la première est entendue puisqu’il n’y a pas lieu d’interdire pour les uns ce qui est déjà interdit pour tout le monde. La seconde en revanche consiste à interdire ce qui n’a jamais été réclamé, ni pour le seul aspect du droit familial, ni pour l’ensemble de la charia (incluant le code pénal), comme le laissent entendre la motion et la plupart des reportages médiatiques de ces derniers mois.

Ainsi, est-il manifeste que les réactions et les prises de position à l’endroit des citoyens musulmans de cette province, à la fois relayées, suscitées et appuyées par les médias québécois, ne constituent pas l’expression la plus « accueillante » pour les concitoyens musulmans qui, au mieux de leurs moyens, tentent d’intégrer positivement la société québécoise tout en restant musulmans. De fait, il est bien étrange que dans le Québec interculturel, souvent présenté comme modèle, la survivance d’un certain orientalisme, voire d’un ethnocentrisme post-européen, continuent à susciter des efforts aussi importants de la part d’une partie de la population pour faire valoir auprès d’une société d’immigration le droit à l’égalité (dont le traitement médiatique). Il serait peut-être temps que les consciences promouvant les valeurs universelles de justice et d’égalité se mobilisent pour retrouver un Québec ouvert, juste et serein, au-delà des complots des marchands de la peur et de la méfiance.

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