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Le capital contre l’Islam (1/2)

L’adjonction de l’Islam et du lexique islamique au vocabulaire marchand s’est accélérée ces dernières années. Nous avons vu l’apparition de produits comme les sodas, les agences de voyages, les fast-foods, les assurances, les vêtements, avec des marques de streetwear dites «islamiques» , les banques, les bonbons, tous estampillés du sceaux de l’Islam. On a même vu de l’eau estampillée « halal » et agréé par telle ou telle mosquée.

Ces temples dédiés à la consommation que sont les grandes surfaces possèdent bien souvent un rayon « halal » pour attirer le consommateur musulman. Le mois de ramadan est l’occasion, pour ces sanctuaires du marché, d’organiser des semaines « spéciales », alliant un folklore orientaliste à une « islamité » consumériste et superficielle, permettant de dégager des profits subsidiaires. Tout devient prétexte à un démarchage « islamique ».

L’Islam est ainsi transformé en argument publicitaire et s’apparente à un produit, une griffe, donnant une valeur ajoutée à des produits de consommation. Intégré par la civilisation capitaliste dans sa logique marchande, l’Islam est utilisé pour créer de nouveaux marchés et attirer une nouvelle clientèle, puisqu’il est dans la logique du capital de générer sans cesse de nouveaux « besoins ».

Cette utilisation de l’Islam comme un « argument publicitaire », permettant de promouvoir un produit et de lui donner une plus value, pose le problème de la réification, telle que le philosophe hongrois Georg Lukacs l’a expliqué dans Histoire et conscience de classe, c’est-à-dire la transformation, par le capitalisme, de tous les rapports sociaux et de toutes les formes culturelles en choses et en rapports « chosifiés ». Ce que Karl Marx appelait le « fétichisme inhérent au monde marchand ».

Ainsi, le capitalisme transforme les Hommes, et les rapports entre les Hommes, les cultures, les spiritualités en marchandise. Pour Georg Lukacs, toutes les relations et toutes les pensées dans la civilisation capitaliste deviennent inéluctablement des rapports marchands.

Par ces rapports marchands, les Hommes, les cultures et les spiritualités, dans notre cas l’Islam, sont intégrés à la dynamique du capitalisme. Les Hommes, les cultures et les spiritualités sont asservies à l’idéologie de la marchandise et c’est pourquoi il devient facile de convaincre les individus de consommer.

La création d’une gamme de produits estampillés « islamiques » permet au marché de trouver de nouveaux débouchés et au capital d’étendre sa sphère de contrôle, participant ainsi à la réification de l’Islam qui devient un argument commercial. Ainsi, lorsque les capitalistes parlent de la vie, des Hommes, des cultures ou des spiritualités, et dans notre cas d’Islam, c’est un euphémisme pour évoquer le marché.

Ce matérialisme, bassement consumériste, inhérent à la civilisation capitaliste, et aux logiques qui la sous-tendent, ne peut aboutir qu’à la dissolution de toutes formes de spiritualité. De l’Islam ne sont préservés qu’une forme purement juridique et les aspects formels, au détriment de sa dynamique spirituelle dont les effets directs sont la transformation de l’Homme et de la société.

La civilisation capitaliste se définissant par une dynamique d’accumulation par dépossession, ne peut que s’étendre à l’ensemble du globe et à tous les secteurs de l’existence humaine en détruisant tout ce qui risque d’entraver la logique du capital, comme les spiritualités et les cultures non-marchandes.

Décrivant ce système Georg Lukacs écrivait : « l’évolution du capitalisme moderne ne transforme pas seulement les rapports de production selon ses besoins, mais intègre aussi dans l’ensemble de son système les formes du capitalisme primitif qui, dans les sociétés pré-capitalistes, menaient une existence isolée et séparée de la production, et en fait des membres du processus désormais unifié de capitalisation radicale de toute la société […].

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Ces formes du capital sont certes objectivement soumises au processus vital propre au capital, à l’extorsion de la plus-value dans la production même ; elles ne peuvent donc être comprises qu’à partir de l’essence du capitalisme industriel, mais elles apparaissent, dans la conscience de l’homme de la société bourgeoise, comme les formes pures, authentiques et non falsifiées du capital.

Précisément parce qu’en elles les relations, cachées dans la relation marchande immédiate, des hommes entre eux et avec les objets réels destinés à la satisfaction réelle de leurs besoins, s’estompent jusqu’à devenir complètement imperceptibles et inconnaissables, elles doivent nécessairement devenir pour la conscience réifiée les véritables représentantes de sa vie sociale »[1].

Par ce processus de réification, le capital prend le pas sur les impératifs humains, culturels et spirituels non-marchands. Dans cette logique, l’Islam doit être transformé en une valeur marchande quantifiable. L’Islam est soumis au règne de la marchandise qui asservit l’Homme en le rendant étranger à lui même.

Au sein de la civilisation capitaliste, la marchandise, et donc cet « Islam » qui a été transformé en objet marchand, ne vaut que par l’argent. L’argent est l’équivalent général qui voile la nature réelle des échanges auxquels il est utile. Dans la civilisation capitaliste, la loi suprême est celle du profit, légitimée par une anthropologie faisant de l’individu, l’Homo oeconomicus, un être visant uniquement son intérêt personnel.

La soumission progressive de tous les aspects de la vie humaine aux exigences de cette logique du capital déstructure les rapports humains, le lien social. Elle produit une civilisation purement marchande. Dans cette civilisation, les Hommes ne sont plus perçus qu’au travers de données statistiques, quantifiables et économiques, comme leurs pouvoirs d’achat, leurs capacités à engendrer du profit et leurs aptitudes à produire, à travailler et à consommer.
Comme l’écrivait Karl Marx dans cette civilisation « l’homme n’est plus rien »[2].

Cette civilisation capitaliste tend à créer un monde sans « extérieur » oùtout est soumis au capital. A ce propos, Georg Lukacs écrivait que « les « lois naturelles » de la production capitaliste ont embrassé l’ensemble des manifestations vitales de la société et que – pour la première fois dans l’histoire – toute la société est soumise (ou tend au moins à être soumise) à un processus économique formant une unité, que le destin de tous les membres de la société est mû par des lois formant une unité »[3].

Selon le philosophe hongrois, « le monde réifié apparaît désormais de manière définitive – et s’exprime philosophiquement, à la seconde puissance, dans l’éclairage « critique » – comme le seul monde possible, le seul qui soit conceptuellement saisissable et compréhensible et qui soit donné à nous, les hommes »[4].

Face à cette civilisation capitaliste sans « extérieur », Georg Lukacs pensait qu’une modification radicale du point de vue était possible sur le terrain de la société bourgeoise. Dans le cas qui nous intéresse, comment est-il possible de lutter radicalement, c’est-à-dire en prenant le problème à la racine, contre la réification de l’Islam, contre sa transformation en valeur marchande ? A suivre…

 

[1] Lukacs Georg, Histoire et conscience de la classe,Ed. de Minuit, Paris, 1960, page 94
[2] Marx Karl, Misère de la Philosophie, Ed. Costes, Paris, 1950, page 57
[3] Lukacs Georg, Histoire et conscience de la classe,op. cit., page 93
[4] Ibid., page 107

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Un commentaire

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  1. Créer des besoins, donc une demande, n’est pas vraiment le problème. Chacun est libre.
    Le problème reste le ribaa dans sa définition la plus large.

    Vendre est un acte réel, la marchandise doit exister , donc on voit la marchandise. le vendeur touche son argent et l’acheteur prend sa marchandise.

    Quand on vend une marchandise plusieurs fois, sans que cette marchandise ne change de lieu, ni même la voir, cet acte est tout sauf un capital. C’est le ribaa personnifié.

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