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Le calvaire d’Arezki 14 ans, victime du racisme. Sa mère témoigne en exclusivité.

Du haut de ses quatorze ans, Arezki Benouali croquait la vie à pleines dents, sa nature enjouée et dynamique lui faisant entrevoir l’avenir sous un jour radieux, et peut-être même sous le signe du ballon rond, son sport de prédilection. Seul garçon très choyé d’une fratrie de quatre enfants, ce collégien en classe de 3ème, blond aux yeux bleus d’origine algérienne, était connu pour sa serviabilité notamment auprès des personnes âgées dont il faisait régulièrement les courses.

Bien dans sa peau, bien dans ses baskets, bien dans sa petite ville de Manosque de 28 000 âmes, où il faisait bon vivre dans la douceur du climat des Alpes-de-Haute-Provence, l’adolescent ne pouvait imaginer que son destin basculerait brutalement le 16 mars 2012, l’arrachant à l’insouciance de son jeune âge pour le faire plonger dans l’horreur du racisme.

Alors qu’il se dirigeait vers l’arrêt de bus pour regagner son domicile, après s’être rendu chez le coiffeur, Arezki Benouali, revêtu ce jour-là d’un T-shirt à l'effigie du drapeau algérien, a croisé le chemin de trois de ses amis, deux filles et un garçon, tous français de souche selon l’expression consacrée, au cœur de Manosque, sur l’emblématique place Saint-Sauveur, en l’occurrence la bien mal nommée qui ne lui fut d’aucun secours…

 
La place Saint-Sauveur

C’est près de la fontaine, et devant l’Eglise que s’est noué le drame, quand un couple de soixantenaires est passé à sa hauteur, l’homme d’une stature très imposante l’apostrophant soudainement en l’insultant comme s’il lui crachait au visage : « Con d’arabe ! ».

La suite de ce qui allait devenir un fait divers local étouffé par l’omerta politico-médiatique, et ses terribles répercussions, nous ont été relatées par Nadia Benouali, la mère très éprouvée d’Arezki, mais avant tout une mère courage qui, épaulée par son époux et ses filles, a décidé de se battre pour faire reconnaître le statut de victime de son fils et que justice lui soit rendue.

    

 Nadia Benouali et Soumya, l'une de ses filles, étudiante en droit

– Nadia Benouali, après cette première insulte raciste, quel a été l’enchaînement des événements ?

Son agresseur ne se contrôlait plus et l’a injurié de plus belle. « T’as pas honte de porter ce T-shirt, mais si tu l’aimes tant ton Algérie, t’as qu’à y retourner ! ». Mon fils, interloqué, lui a alors répondu : « Mais pourquoi vous me dites ça, je ne vous connais pas ? », et l’homme de 68 ans de rétorquer : « Tu vas apprendre à me connaître », tout en giflant violemment Arezki avec ses deux mains. Les amis de mon fils ont réagi en criant « sale raciste, tu n’as pas honte ! ». Mais rien ne pouvait arrêter ce forcené qui a fait tomber mon garçon, et lui a donné plusieurs coups de pied. C’est sa femme qui lui a dit d’arrêter, mais sans pour autant venir en aide à mon fils. D’ailleurs personne, parmi les gens qui étaient sur la place au moment de l’agression, ne s’est interposé pour le secourir.

– Les amis d’Arezki ont suivi le couple, qui a été clairement identifié, votre beau-frère a appelé la police qui est arrivée sur les lieux, mais l’individu n'a pas été interpellé. Que s’est-il réellement passé ?

La police s’est contentée de prendre les coordonnées de l’agresseur, lequel a reconnu les faits, mais en le laissant tranquillement repartir chez lui, sans le placer en garde à vue, en nous disant qu’il ne s’envolerait pas… Nous étions atterrés. J'ai fait d'ailleurs un malaise et j'ai été hospitalisée. Le pire restait à venir, lorsque nous avons porté plainte au commissariat. Nous avons eu droit à un accueil déplorable de la part de l’inspecteur de police, qui manifestement ne portait pas les arabes dans son cœur. Dur, méchant, méprisant, il a exercé des pressions inacceptables sur mon fils, alors sous le choc de l’agression, pour qu’il reconnaisse une part de responsabilité dans les faits. "T'as pas fait un bras d'honneur ?" répétait-il. De victime, Arezki était devenu le coupable idéal. Je me suis plainte auprès du Préfet des agissements de ce policier, et ce dernier a été rétrogradé. Il n’était pas à son coup d’essai.

– Votre fils a été gravement blessé à la jambe, mais là encore, après la police, l’hôpital traite son cas avec mépris et une incroyable désinvolture.

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Arezki a même été humilié par la femme médecin légiste (un comble !) vers qui on m’a orientée, qui l’a fait mettre tout nu, contre sa volonté et la mienne, alors qu’il souffrait de la jambe et qu'il était griffé au cou. Elle prenait plaisir à minimiser sa douleur et ne lui a prescrit que 2 jours d’ITT. C’est mon médecin de famille que j’ai consulté par la suite, très inquiète de voir mon fils boiter de plus en plus, qui nous a dit la réalité sur son état et nous a conseillé de voir un chirurgien.

A un stade critique, l’état de mon fils nécessitait une opération urgente de la hanche. Le 3 juillet, Arezki a subi une intervention chirurgicale délicate, son fémur s’était déplacé, et il risquait la prothèse plastique à 14 ans ! Il a passé l’été dans un fauteuil roulant, avec l’interdiction de poser le pied pendant 45 jours, ses journées se déroulant entre des soins infirmiers et le kiné. Traumatisé, ayant peur de représailles, d’une grande nervosité, il a dormi pendant plus de deux mois dans notre chambre.

– Le 24 mars, vous décidez d'organiser une manifestation pacifique pour dénoncer l’agression de votre fils. Mais vous en avez été dissuadée. Par qui et comment ?

Oui, effectivement. Les affiches étaient prêtes, ma famille, nos amis, les camarades de m
on fils, tout le monde se mobilisait. Je suis née à Manosque, mes parents y sont arrivés en 1950, et nous sommes parfaitement intégrés localement. Mais j'ai été convoquée à la mairie de Manosque, en présence du maire UMP, du sous-préfet, du commissaire de police, et là, après un accueil compatissant, on m’a fait comprendre que le moment était mal choisi pour manifester. « Manosque à feu et à sang », « Faites confiance à la justice française», sans oublier une allusion à l’affaire Merah, on m'incitait ni plus ni moins à me taire et à me faire discrète.

– Vous venez de faire appel du jugement particulièrement clément qui a condamné l’agresseur d’Arezki à seulement 6 mois de prison avec sursis et à verser des dédommagements.

Oui, ce jugement est indigne, et pourtant il y avait 5 chefs d’inculpation dont « violences aggravées sur mineur de moins de 15 ans et agression physique, verbale, à caractère raciste ». Le procureur en septembre avait même lancé à l’agresseur « Vous faite honte à la nation ». L’acte est gravissime, l’argent on s’en moque, ce que l’on espérait c’est que la justice, dont nous attendions tant, rende justice à Arezki, qui est une fois de plus nié et humilié par ce verdict.

Lui qui était si gai a perdu sa naïveté d’enfant, il est très marqué par cette épreuve douloureuse, tant psychologiquement que physiquement. Il a enfin quitté son fauteuil roulant, pour marcher à l’aide de béquilles, fort heureusement il est bien entouré par ses camarades de classe qui l’aident beaucoup, et la direction du collège lui a réservé le meilleur accueil à la rentrée.

Le plus triste dans tout cela, c’est qu’Arezki a pris conscience de sa différence et se sent désormais étranger en France. On l’a renvoyé à ses origines de manière violente et il en portera les stigmates à vie. Même sa petite sœur de 7 ans m’a dit l’autre jour : « Maman, je croyais que j’étais française ».

– Vous êtes vous-même profondément perturbée par ce drame, mais une bonne nouvelle a dû vous réconforter : le soutien de poids du Consul algérien en poste à Nice. Qu’en est-il exactement ?

Je suis diabétique, et ce drame familial et le racisme ambiant qu’il a révélé m’ont terriblement affectée. Je suis actuellement sous anti-dépresseurs. Effectivement, le soutien du Consul algérien est précieux, notamment sur le plan juridique et financier, puisqu’il considère que l’affaire a pris une tournure politique qui nécessite son intervention. Un avocat mandaté par le Consulat va suivre notre affaire. Toute la famille était effondrée à l'issue du verdict, mais nous sommes plus que jamais déterminés à nous battre pour Arezki.

C’était en mars dernier, dans le sud de la France, au cœur d’une si jolie petite cité méditerranéenne, où la douceur de vivre a été polluée par des rhétoriques frontistes et populistes indignes de la patrie des droits de l’Homme, rivalisant d'inconséquence pour conquérir l'Elysée. C’était à la fin de cinq années d’un mandat Sarkozyste de tous les dangers, qui n’a cessé de souffler sur les braises de la stigmatisation des Français issus de l’immigration post-coloniale et de l’islam, éclairant les valeurs républicaines non plus à la lueur de l’humanisme mais de la haine.

Propos recueillis par la rédaction.

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