L’homme aime transmettre, en proportion de sa souffrance, le legs de souvenirs, comme héritage universel, sans y asseoir une idée nationale. La commémoration, expression identitaire dans le processus d’auto-construction, est la manifestation de la mémoire d’une communauté d’intérêts. Elle devient pour certains, une valeur refuge, et pour d’autres un pilier qui relie l’être à l’histoire, et ancre, symboliquement, des repères temporels et spatiaux.
Cependant, lorsque la commémoration devient un instrument de propagande officielle, manipulant le présent, elle utilise un fait réfracté à travers un prisme idéologique, pour en faire un événement unique et exclusif, comme un point culminant de la souffrance d’un peuple. Cette mesure de rétorsion est une forme de terrorisme intellectuel. C’est là, un des piliers de la littérature politique américaine ou israélienne, face au lot de violence que ces pays engendrent dans le monde, pour endoctriner les masses par quelques faits de l’histoire. Ils sèment la mort, et ne font que ressusciter le passé, politisant ainsi une mémoire. Démagogues, ils sacralisent l’unicité de l’événement et surfent sur son caractère victimaire.
A l’heure où se commémore la 10ème année du 11 septembre, les cérémonies se multiplient à travers le monde. En faire le symbole de la mémoire américaine, est un alibi moral, qui décharge les Etats-Unis de leur responsabilité, en dénonçant les crimes des autres et oubliant les leurs, lorsqu’ils embarquent les escadrons de la mort au Vietnam. Ces politiques politiciennes façonnent les apologistes des crimes contre l’humanité, en éveillant en le citoyen, une identité mémorielle exclusive. Ces protagonistes ont des agendas précis, justifiant l’armement au nom de la lutte contre le terrorisme, par un « terrorisme d’Etat », qui frappe aveuglément, tel celui des USA en Afghanistan, en Irak, ou celui d’Israël en Palestine.
Ainsi, la politique américaine ne cesse de se définir en relation avec le 11 septembre, comme celle d’Israël avec l’holocauste. Ce nouveau dogme idéologique en fait l’héritière et la productrice de victimes, tout en agissant par un mouvement d’exploitation des morts et de rédemption des péchés. L’engagement militaire est défini et conceptualisé en fonction et dans les termes liés aux attentats. Ces pays se dotent ainsi d’une aura de sacralité qui les rend imperméables à toute critique de leur politique internationale, et toute expression d’un doute face aux certitudes avancées par ces logiques du tout sécuritaire, ressort du négationnisme, arme brandie pour discréditer celui qui reste critique et vigilant.
Leur construction de la mémoire collective devient alors, une culture de la mort. La perception dominante de l’unicité d’un événement, est une perspective d’entretien de la mémoire dans le conscient collectif, et de son usage dans le discours existentiel de l’Etat, engendrant l’angoisse pensant que l’on est la seule victime, et que le monde est contre nous. Cette manipulation de la mémoire sur commande comme un présent éternel, fait de l’histoire une arme destructrice qui justifie les lancements d’attaques préventives dans le monde.
Qu’en est-il des génocides perpétrés dans l’histoire de l’humanité ? Du Rwanda à celui des Tsiganes, des Arméniens à la Palestine, de Srebrenica à l’hécatombe du Congo, ce sont là, des holocaustes oubliés. En fait, la mémoire sélective est le produit d’un conscient qui construit un mythe national, dont les acteurs font l’histoire et la représentent en conformité avec leurs aspirations. Etre sélectif, c’est faire l’éloge de l’oubli, et avoir un esprit « mémoricide » de la paix. Il nous faut donc, déconstruire l’argumentaire de légitimation de la commémoration sélective. Ce privilège duquel bénéficient certaines mémoires, fait des événements un avènement de racisme, et crée un clivage entre les composantes de la société civile.
Toute entreprise systématique de mémoire sélective, n’est qu’une forme de victimisation entretenue par la pensée unidimensionnelle de la logique belliciste, sous une rhétorique liberticide qui justifie la théorie du choc des civilisations. Refuser cette logique revient à bannir l’idéologie du génocide. Interdire la promotion de la haine s’impose alors, par le fait d’instaurer un lieu de réflexion qui ose interroger les erreurs du passé, afin de surmonter ce traumatisme. Le devoir de mémoire invite nos consciences à la culture du rappel, consacrée à une réflexion sur le génocide, et à une façon concrète de le prévenir, car nous n’avons pas le droit d’oublier n’importe laquelle des victimes, loin de toute amnésie historique, dans l’espoir d’un avenir réformé.
Il est primordial que nos sociétés s’engagent dans un travail de responsabilisation des citoyens, évitant de forger ainsi le creuset de l’insécurité, en refusant les décharges émotives, les propos démesurés, et en exigeant une quête de sens, une spiritualité éveillée qui décrypte la confusion. Notre résistance est une arme, celle du devoir de mémoire, au nom des valeurs universelles, qui nous aidera à dépasser les crispations, la logique de la peur, et de l’identité sclérosée, portant la voix de la justice, et étant la conscience éveillée des opprimés.
Si le discernement est notre souci, et la lucidité notre outil, la créativité du vivre ensemble en sera le résultat, dans l’humilité. Enfin, la logique militariste est un ingrédient du terrorisme, par contre, la résolution du conflit tant en Irak, qu’en Afghanistan, ou encore en Palestine, doit être la pierre angulaire de toute tentative de paix dans le monde, et de lutte contre le terrorisme. Sans verrouiller la mémoire, libérons-nous d’un tabou, car « l’avenir n’est pas, comme le souligne Roger Garaudy, ce qui sera, mais ce qui a déjà commencé », à la manière de l’Imam Sadek Charaf, sainteté sur son âme, considérant que « le trépassement des jours entre les hommes, est le laboratoire de la foi ».
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