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L’Algérie : pays des simulacres

De « Tahia El Djazaïr–Vive l’Algérie » en 1962 à « Pauvre Algérie » en 1999… Quelle image nous donne alors le présent de « l’Algérie de Bouteflika » en 2008 ? Une image d’un pays phagocyté ! L’image d’une Algérie mutante : la « Frankenstein » des régimes politiques modernes. Le régime algérien est le seul régime devant lequel tous les qualifiants restent muets : aucun n’est à sa mesure.

Comment expliquer que ce pays, présenté hier comme le modèle type de la décolonisation, ne renvoie plus qu’à l’image de la monstruosité, de la honte, de la corruption, de la spoliation, de l’avidité et de l’arrogance. Comment expliquer aussi qu’un peuple, présenté comme le modèle du sacrifice, un peuple assoiffé de justice et de liberté, en a été réduit à remettre en doute l’idée même de son existence : nous ne sommes pas un peuple ! 

De ce qui était l’endroit de l’Algérie en 1962, nous avons récolté l’envers de celle-ci en 2008. Comment en sommes nous arrivés à faire de cette belle nuit étoilée de juillet 1962 ce désastre de novembre 2008 ?D’où la question que la révision constitutionnelle impose : ya-t-il encore un peuple en Algérie ?

« Voici ce qu’il ya chez nous : des lois, beaucoup de lois, mais ni justice ni vérité  »[1].« Le divorce est donc considérable entre la classe politique au pouvoir à Alger et l’Algérie réelle. Le jeu compliqué opposant les différents clans pour le pouvoir n’est pas compris par la population qui compare le gouvernement général à un théâtre de marionnettes aux changements d’équipe fréquents et inexplicables » [2].

Ces mots décrivant la réalité coloniale font corps, et, d’une façon plus parlante, à celle d’aujourd’hui. Les époques s’imbriquent et le présent mime son passé le plus proche. De la culture coloniale à la culture militaire. Celle-ci trouve sa source dans les assises du nouveau pouvoir naissant en Algérie : l’Armée. Anti-intellectualiste dans son essence, elle cultive la brutalité, la spoliation, la corruption, la manipulation et la culture du mystère et du complot.

Cette culture, par la suite, ne s’est pas limitée à son corps géniteur qu’est l’Armée, mais a distillé son poison dans tout le corps social et l’a gangrénée. Elle fabrique l’opinion, nomme ses porte-paroles dans toutes les sphères institutionnelles (Présidence, Gouvernement, Parlement, Partis, Syndicats, Médias…). Le même esprit et la même volonté animent le pouvoir militaire et son prolongement civil : assiéger la société pour maintenir sa servitude.

Le ver était déjà dans le fruit. Boumediene s’était étonné d’entendre qualifier son action de coup d’état militaire. 1965 n’était pas un putsch inaugural. Puisque, selon lui, les mêmes forces qui ont institué Ben Bella l’ont destitué. C’est la même force qui déploie sa propre logique : la conquête du pouvoir absolu.

En faillite de légitimité car n’étant pas un chef de région militaire durant la guerre et n’ayant joué aucun rôle historique dans la libération, Boumediene s’adonnera à une tâche machiavélique qui reste son œuvre ultime : la fabrication d’un peuple. Le totalitarisme, ère de fabrication, selon Hanna Arendt, a trouvé en la personne de Boumediene un véritable démiurge.

Boumediene, en guerre contre l’histoire et la mémoire, pour liquider l’héroïsme, fait du peuple le seul héros de l’histoire. Non pour respecter en lui le sujet de l’histoire mais pour le traiter en masse anonyme, abstraite et le réduire en une poussière d’individus qui s’agitent sous le souffle de son verbe magique.

En 1999, Bouteflika, le ressuscité d’un long coma politique de vingt ans, ce fils légitime de Boumediene, gonflé de certitudes, pour accréditer sa menace de nous laisser dans notre médiocrité, annonce au peuple algérien qu’il est orphelin depuis vingt ans : il se veut le souvenir vivant de Boumediene, « le père des Algériens ». Le fils prodige est de retour.

Le spectre de Boumediene hante inlassablement les Algériens. On a fait de son règne un moment nostalgique qui évoque le mythe d’une Algérie glorieuse. Une Algérie fabriquée à l’image de son maître, quand l’évocation de son seul nom inspirait crainte et obéissance. En infantilisant le peuple, Boumediene a confiné le peuple dans une forme d’immaturité et de peur constantes qui l’ont mis depuis 1962 sous tutelle, attendant toujours la venue d’un sauveur (Zorro).

L’Algérie nouvelle est une Algérie fabriquée. Le peuple est devenu selon le langage commun « chaab taa el houkouma », à traduire littéralement par le peuple est la  propriété du gouvernement. Boumediene a dépossédé le peuple de son histoire, de sa mémoire, de sa volonté et l’a gonflé de vide. Il lui a donné l’illusion de vivre dans la grandeur alors qu’il l’a réellement castré.

Trois règnes (Boumediene, Chadli, Bouteflika) caractérisent l’Algérie indépendante. Trois règnes qui, en réalité, se complètent. Car chacune a apporté sa contribution pour aboutir à ce désastre. L’ère de la fabrication d’un peuple par treize ans d’endoctrinement (65-78), inaugurée par Boumediene a glorifié la force et l’esprit rigoriste. L’Algérien, à l’image de son père bienfaiteur, se vantait même d’avoir une tête dure, d’où les expressions florissantes de l’époque (Maaza oulao tarate– une chèvre même si elle vole-, manafhamche oua manhabche nafhame– je ne comprends pas et je ne veux pas comprendre-).

L’intelligence et le génie ont déserté cette terre pour livrer le peuple modelé par treize ans d’endoctrinement à toutes les manœuvres des apprentis-sorciers et l’exposer à toutes les aventures possibles.C’est pour cette raison que, quand Zeroual (Président de 1995-1999) et Bouteflika sur ses traces, accusent Chadli d’être à l’origine de tous les malheurs de l’Algérie, le bon sens s’insurge pour dénoncer cette stratégie du bouc émissaire qui cherche une légitimité en déployant le burnous de Boumediene.

 Car si un homme comme Chadli est arrivé à la magistrature suprême, c’est bien parce qu’il était présidentiable vu qu’il était membre du Conseil de la révolution (1965-1978). Et qui a fait de lui un homme présidentiable si ce n’est Boumediene dont on chante tant l’épopée ?

« Pour réussir il faut être médiocre ». C’est l’expression clé qui caractérise le règne de Chadli. Quand on associe à la force la médiocrité que le règne de Chadli symbolise, l’Algérie était grosse de toutes les aventures possibles. La décennie rouge de 1992 n’est que l’aboutissement du mixage de la force et de la médiocrité.

L’islamisme, dans sa finalité, n’a fait que renforcer la dictature en dotant l’Armée d’un maquillage républicain. De la peur des années 70 à la terreur des années 1990. La finalité est d’extirper du corps social l’idée même de la résistance.

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Du simulacre de l’indépendance au simulacre de la république. Deux simulacres sur lesquels la culture militaire fonde sa légitimité. De la fondation de l’Etat algérien au fondement de la République.

Boumediene n’a pas fondé un Etat puisque celui-ci n’existe pas. En Algérie n’existent que des pouvoirs qui font et défont la société au prix même de s’entredévorer mais sans jamais s’anéantir. Quant au terme de République, nous ferions mieux de fermer le dictionnaire.

En fabriquant un peuple, Boumediene a défiguré l’Algérien ? Qu’est devenu l’Algérien d’hier, assoiffé de justice, de vérité et d’égalité ?

C’est la rue algérienne qui a sculpté sa propre représentation à travers le concept qui résume toute sa déchéance : « El Hogra ». El Hogra est la quintessence politique de la culture militaire. Ce mot, dont la généalogie remonte à la période coloniale, résume, à lui seul, l’état d’une population asservie, méprisée, humiliée et paupérisée.

 Ce terme, qu’aucune forme ne peut réellement contenir, si chargé de sens, à l’image du Cri de Munch, intraduisible, signifie l’institutionnalisation de la servitude ; ce terme d’émanation populaire éventre le tréfond du peuple qui exprime tout son martyr, sa rage et son désespoir. A travers ce mot, c’est le peuple qui revendique son statut de victime. Le simulacre de l’Indépendance qui a pris la forme d’une colonisation intérieure dure depuis 1962.

De quoi le règne de Bouteflika est-il le simulacre ? Celui de la concorde et de l’unité nationale.

« Il ne suffit pas d’être riche mais très riche ». C’est l’expression maîtresse de l’Algérie de Bouteflika. L’argent, dernière pierre ajoutée à l’édifice de la culture militaire, a fini par métamorphoser la société algérienne. Pareille à une course de rats dans un tunnel, la société algérienne dans une avidité frénétique n’a pour unique devise et valeur que celle du Dinar et de sa convertibilité en Euros.

Profondément attachée à la vie, à n’importe quelle vie, vivre à tout prix, sans honneur et sans dignité, l’Algérie de Bouteflika est à vendre au plus offrant. Le peuple manque. Cruellement.

Si Boumediene a fait du peuple sa propriété, son œuvre, Bouteflika, en revanche, pour parachever l’œuvre de son idole, veut faire de l’Algérie sa propriété. Puisque, à l’image de Créon dans l’Antigone de Sophocle, Hémon en s’adressant à son père Créon,  l’accuse de dictateur capable de régner même sur un désert. Bouteflika ne peut admettre que de cette masse informe qu’est devenu le peuple quelqu’un puisse lui succéder. Il ne peut admettre qu’une seule mort. Une mort sur le trône. Des obsèques nationales. A l’image de son discours lors de l’oraison funèbre de Boumediene.

Trois règnes. Trois morsures venimeuses. Le tryptique est achevé. Le panneau central est celui de Boumediene auquel s’ajoutent les deux volets de Chadli et de Bouteflika. La Force mariée à l’Ignorance et l’Argent. C’est le Désastre.

Même si je suis pris dans l’étau, entre l’Occident le traître et mon frère le sot , « ni abdiquer ni se taire »[3]. Les silences face à l’histoire sont des silences coupables. Ils finissent toujours par ressurgir sous une forme qui défigure le présent.

Que nos voix, associées à d’autres, qui sont l’expression d’une rage intérieure dévorante, se transforment en graines et ensemencent le sol d’un rêve. A l’instar d’une passion : une Autre Algérie est possible.



[1] Mohammed Dib, « Le Compagnon », in Au café, Actes du Sud, 1996.

[2] Annie Rey-Goldzeiguer, Aux origines de la guerre d’Algérie 1940-1945, La Découverte, 2002, p .118.

[3] Voir l’article de Rachid Benyellès, Algérie : non à la présidence à vie !, le Monde, 10 novembre 2008.

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