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L’Algérie, à l’heure de l’autopsie sociale de deux crimes atroces

Crime barbare, abominable, ignoble, aucun mot ne sera assez fort pour décrire la macabre découverte qui a saisi d’effroi, mardi, les habitants d’Ali-Mendjeli, l’immense cité dortoir située dans la banlieue constantinoise, et qui ne cesse de hanter les esprits, profondément accablés et révoltés.  

Comment l’horreur insoutenable a-t-elle pu se produire à deux pas de chez soi ? La question, obsédante, tourmente la population locale, en proie à une affliction incommensurable depuis que les deux petits corps sans vie et atrocement mutilés de Haroun (10 ans) et Ibrahim (9 ans)  ont été retrouvés dans deux sacs plastiques.

Dans cette poudrière au bord de l’implosion, connue de tous et notamment des autorités, qu’est la ville sans âme d’Ali-Mendjeli, la monstruosité de ce double meurtre pourrait être l’étincelle sociale qui embrase des administrés désespérés et aujourd’hui traumatisés, en butte à l’inertie coupable de ceux qui les gouvernent.

L’innommable signe-t-il la chronique d’un drame annoncé, après avoir été maintes fois dénoncé par les premiers concernés et grands laissés-pour-compte de l’Etat algérien : les habitants d'Ali-Mendjeli eux-mêmes ?

Sourds aux cris de détresse de leurs concitoyens mais aussi aux mises en garde d’experts, alarmés par l’absence de réflexion sociologique qui a présidé à l’éradication des bidonvilles, les ministres et autres élus algériens ont jusqu’ici brillé par leur autisme, fermant les yeux sur une politique urbanistique désastreuse, qui a favorisé l’éclosion de milliers de Ali-Mendjeli, à Alger, Oran, ou encore à Sidi Bel Abbès.

Des cités plus déshumanisées les unes que les autres ont poussé comme des champignons dans le paysage national, véritables melting-pots sans espaces verts, sans stade, sans salle de cinéma, sans théâtre, sur le terreau tristement fertile de la corruption, de l’anarchie et du grand banditisme.

Alors qu’Ali-Mendjeli, en deuil, vit un cauchemar éveillé, des voix s’élèvent au-dessus de la colère sourde qui gronde pour fustiger les graves manquements de ceux qui ont accaparé tous les pouvoirs, tristes sires de la politique de l’autruche. "Cela fait des années que nous avertissons les autorités sur les graves conséquences de l’état d’abandon dont souffre cette ville anarchique», condamnent  certains, comme l’a relayé le site Algeriepatriotique, tandis que les milliers d’habitants qui ont assisté à l’enterrement des deux enfants sauvagement assassinés ont laissé éclater leur indignation : "Ce qui vient de se passer est trop grave pour que nous puissions revenir à une vie normale comme si de rien n’était".

A l’heure où le châtiment suprême, la peine de mort, est réclamé contre les monstres qui ont commis l’irréparable, le sociologue Nacer Djabi apporte un éclairage édifiant sur une société algérienne sans horizon, assombrie par la perspective du chômage endémique et minée par la triple misère, sociale, économique et sexuelle, source de tous les maux. Une société où la désespérance est une torche fatale, comme ailleurs au Maghreb, se transformant soit en torche humaine (les immolations), soit en brasier incandescent dans lequel des étudiants, désoeuvrés et abattus, jettent leurs précieux diplômes au feu.

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Dans un entretien accordé au quotidien Tout sur l’Algérie, le sociologue, même s’il comprend le désir de vengeance qui anime la population ébranlée d’Ali-Mendjeli, déconseille vivement d’y succomber : "C’est la mauvaise solution et la plus facile, quand on est sous le choc. La solution pour eux serait donc d’éliminer les deux tueurs et qu’on n’en parle plus. Au fond, si on cherche bien, ces deux présumés assassins pourraient aussi être des victimes. Des personnes qui étaient peut-être au chômage, qui vivaient dans des conditions socioéconomiques catastrophiques, qui consommaient de la drogue et qui vivaient une misère sexuelle extraordinaire. La question qu’on doit se poser est comment ces choses-là arrivent. Pourquoi des jeunes et des moins jeunes arrivent au stade de kidnapper et de tuer des enfants", analyse-t-il.

A l’évocation de la violence, lâche et insupportable, qui, depuis plusieurs mois, s’attaque aux plus vulnérables d’entre les Algériens, à savoir les enfants, Nacer Djabi reste convaincu qu’elle n’est pas la marque d’une société plus violente que les autres, aussi déplorable et choquante soit-elle.

Comme beaucoup d’autres phénomènes qui existaient en Algérie, avant que la médiatisation ne les répercute à grande échelle, le phénomène de la violence contre les enfants a sévi de tout temps, mais pas plus qu’ailleurs : "Il y a beaucoup de phénomènes qu’on ne connaissait pas et dont on ne parlait pas avant. Cela ne veut pas dire qu’ils n’existaient pas. L’Algérie a connu, de tout temps, comme d’autres pays, ce genre de phénomènes, comme la pédophilie et les rapts d’enfants. Ce sont la presse, les médias et les réseaux sociaux qui font que ces phénomènes soient aujourd’hui connus du grand public. Ça devient très médiatisé grâce à ce qu’on a comme moyens de communication. Et les gens l’acceptent moins qu’avant. Les familles les dénoncent et les enfants en parlent".

Pour le sociologue, il est indéniable que "ce sont les conditions de vie qui font des Algériens ce qu’ils sont aujourd’hui". Dans sa hiérarchisation des causes principales qui mettent en péril l’équilibre de la société algérienne, le taux de chômage record, le fléau de la drogue, la frustration sexuelle, la paupérisation, et la gestion catastrophique des villes caracolent tristement en tête.

"Le premier point est la drogue. L’Algérie était une société de transit, qui en consommait très peu. Aujourd’hui, ça s’est généralisé de manière extraordinaire. Et s’il y a une peine capitale à appliquer, ça devrait être contre les barons de la drogue. Le deuxième est la misère sexuelle des Algériens. Il ne faut pas se voiler la face. L’Algérie
n n’arrive plus à se marier et à satisfaire ses besoins sexuels dans un cadre plus ou moins légitime. Donc, la perversion se manifeste de plusieurs manières, dont la méchanceté et l’agression contre les femmes. On vit dans une société où les gens qui n’ont pas d’argent, de voitures ou d’appartements vivent une misère sexuelle extraordinaire. Le troisième point est la gestion de nos villes. 67% des Algériens y vivent et sont devenus donc des « citadins ». Mais de quelles villes s’agit-il ?
", commente-t-il.

La tragédie d’Ali-Mendjeli a révélé une barbarie à visage humain que personne ne soupçonnait. Si sa forte onde de choc émotionnelle a exacerbé un vif ressentiment populaire contre le pouvoir en place, fera-t-elle pour autant tomber les œillères des Bouteflika et consorts, et les poussera-t-elle à sortir de leur torpeur irresponsable ?

Tout repose en effet sur un impérieux et urgent sursaut politique, seul capable d’extraire l’Algérie, ce pays de cocagne aux formidables potentialités sauf pour les Algériens eux-mêmes, de l’impasse funeste dans laquelle ses dirigeants la conduisent inexorablement : "D’abord, il faut avoir une politique claire contre la drogue. Car, avec la drogue, le voleur devient assassin. Ensuite, il faut régler le problème sexuel des Algériens. Et enfin, humaniser ces quartiers qu’on construit. Ces nouveaux quartiers qui ressemblent aux ghettos de l’Afrique du Sud, avec leur lot de prostitution, de violence, de drogue et de chômage. Nos responsables vivent dans les quartiers chics ou à Club des pins. Ça fait au moins la deuxième génération qui y vit"préconise avec force Nacer Djabi.

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