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La « résistance » irakienne

Dans cet article, notre correspondant en Irak répertorie les principaux groupes armés qui chaque jour combattent l’armée américaine. Jean-Claude Renet nous propose également une interview exclusive d’un combattant de Falouja. Un entretien qui offre un éclairage singulier sur le processus psychologique conduisant un homme à s’engager dans la lutte armée. Cette rencontre s’est déroulée dans une maison de la périphérie de Bagdad gr&aciirc;ce à un intermédiaire proche de la résistance.

Les élections législatives prévues le 30 janvier 2005 sont les premières élections libres depuis 50 ans pour le peuple irakien. Cependant le déroulement de ce vote est menacé par la flambée de violence qui secoue actuellement l’Irak. Les forces de sécurité irakiennes subissent des pertes quotidiennes. Les autorités politiques qui participent de prés ou de loin à ce scrutin sont menacées de mort. Plusieurs candidats et membres de la commission électorale ont déjà payé de leur vie cet engagement. Les attaques à la voiture piégée sont devenues courantes et presque banales. Les tirs de mortiers et les explosions en tous genres se sont également intensifiés ces derniers jours. Le premier ministre Iyad allaoui a dû prolonger d’un mois l’état d’urgence.

Tir de roquette artisanale sur Faloujah

On connaît pourtant mal les acteurs de ce chaos. Ces derniers agissent généralement loin des caméras de télévision et des micros des journalistes. Qui sont les hommes mettant en échec l’armée US, la plus puissante au monde, et terrorisant la nation irakienne toute entière ? Qualifiés parfois de résistants, d’insurgés ou de terroristes par les différents commentateurs de la situation irakienne, les hommes qui se cachent derrière ces opérations sont admirés, critiqués mais le plus souvent redoutés. Il apparaît indispensable de faire le point sur ce mouvement insurrectionnel pour mieux comprendre la situation irakienne, à trois semaines des élections du 30 janvier. Les déclarations exclusives de l’un de ces combattants apportent ainsi un éclairage particulier sur les motivations qui poussent parfois un homme à s’engager dans ce type d’action au mépris même de sa propre vie.

La résistance armée sunnite

La milice chiite du Jaish al Mahdi, le groupe armé de Moqtada al Sadr a déposé les armes à la fin de l’été 2004. La résistance armée à l’occupation américaine est donc désormais essentiellement le fait de la communauté sunnite. Cette résistance est composée d’une multitude de petits groupes plus ou moins fédérés en armées ou brigades. Les plus connues sont « l’Armée Islamique en Irak » responsable notamment de l’enlèvement des journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot, le groupe « Ansar Al Sunna » et le groupe « Tawhid Wal Djihad » du jordanien Abu Moussab Al Zarqawi dont Oussama Ben Laden est le leader spirituel. Les effectifs de cette résistance sont mal connus et difficiles à apprécier. Un spécialiste des services de sécurité irakiens estime le volume des insurgés à 200 000 combattants et sympathisants.

La communauté arabe sunnite représente environ 20% de la population irakienne. La résistance est donc surtout active dans les provinces où celle-ci est majoritaire. Ainsi l’Anbar à l’ouest du pays, Dyala au nord de Bagdad et la province de Ninive au nord du pays sont les principaux foyers de l’insurrection. Mais la ville de Bagdad qui regroupe toutes les instances politiques de décision attire bien sur les foudres de la résistance. Malgré le déploiement impressionnant de forces de sécurités et de troupes militaires irakiennes et américaines, les terroristes se déplacent et agissent de jour comme de nuit sur les objectifs de leur choix.

Falouja, ville martyre

La ville de Falouja est devenue le symbole et le noeud central de la résistance irakienne aux troupes d’occupation. Ces dernières ont lancé au cours de l’automne 2004 une vaste opération visant à briser la résistance et les groupes insurgés retranchés à l’intérieur même de la ville. Cette opération a contraint la majeure partie des 300 000 habitants de Falouja à se réfugier dans les villages de la région et dans les quartiers ouest de Bagdad. L’armée américaine a bombardé et détruit une bonne partie de la ville avant de s’aventurer dans les rues de celle-ci. Cependant certains quartiers sont encore aujourd’hui aux mains des insurgés et les combats continuent. Certains Moudjahidin ont pu s’enfuir pour poursuivre le combat dans d’autres régions de l’Irak et notamment dans la région de Mossoul et Dyala. D’autres Moudjahidin au contraire sont venus en renfort et bombardent à leur tour les troupes américaines au coeur de la ville à l’aide de roquettes artisanales à la précision incertaine. Falouja est devenue en quelques semaines le symbole de la résistance irakienne.

Irak, nouvel Afghanistan ?

L’armée américaine a envahi l’Irak pour plusieurs raisons, certaines officielles, d’autres plus inavouables. Une des principales raisons invoquée reposait sur la lutte contre le terrorisme et les liens supposés entre Al Quaida et Saddam Hussein. Ces liens, n’ont jamais pu être prouvés et certains représentants de la CIA reconnaissent qu’il n’existe aucun élément permettant de l’affirmer. Le paradoxe de cette opération aventureuse apparaît aujourd’hui car les troupes américaines « fabriquent » chaque jour plus de combattants qu’ils ne pourront jamais en arrêter. L’Irak est devenue une terre de Djihad qui focalise l’attention des Moudjahidin du monde entier à l’image de l’Afghanistan dans les années 1980 puis de la Bosnie au début des années 1990 et plus récemment de la Tchétchénie. Mais l’ampleur du mouvement est loin d’atteindre l’importance de la mobilisation en faveur de l’Afghanistan. Les experts estiment que 300 à 400 combattants étrangers sont venus en Irak lutter contre les forces d’occupation américaines.

Tir de roquette sur Faloujah

Vers une guerre civile

La résistance irakienne s’est coupée du soutien d’une grande partie de la population car ses opérations violentes frappent aveuglement et touchent de nombreux civils innocents. Les forces de sécurité du gouvernement irakien sont actuellement les principales victimes de la résistance.

En outre, de nombreux leaders politiques et religieux chiites ont été assassinés depuis quelques mois. Certains attentats ont directement visé la communauté Chiite comme à Nadjaf et Karbala il y a trois semaines où des voitures piégées ont entraîné plus de 60 morts et 200 blessés. Les chiites qui représentent 60% de la population irakienne sont convaincus de leur victoire prochaine aux élections législatives du 30 janvier 2005 et ne répondent pas à ces provocations. La communauté chiite suit ainsi pour l’instant les recommandation pacifiques de ses leaders religieux.

Mais la patience des plus jeunes a des limites. La milice du Jaish Al Mahdi de Moqtada Sadr qui a officiellement déposé les armes accepte de plus en plus mal les provocations de l’armée américaine d’une part et les attaques terroristes qui visent la communauté Chiite d’autre part. La principale question à l’heure actuelle demeure : Quelle est l’attaque ou la provocation qui fera basculer la situation vers une guerre civile ouverte entre les deux communautés ?

Interview exclusive d’ Abu Amar, Mudjahidin de Falouja

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Cette interview exclusive, loin de vouloir faire l’apologie de la violence, offre un éclairage singulier sur le processus psychologique conduisant un homme à s’engager dans la lutte armée. Cette rencontre s’est déroulée dans une maison de la périphérie de Bagdad grâce à un intermédiaire proche de la résistance.

Quel est votre parcours personnel ?

Je suis citoyen Irakien, mais avant tout musulman. J’ai reçu une certaine éducation et j’ai étudié les beaux arts. Ma famille appartient à la tribu des Al Doulaimi et je suis né dans la province de Al Anbar à l’ouest de Bagdad. J’ai grandi dans une petite ville, mais mes racines sont rurales. A la chute de Bagdad, j’ai pris mes responsabilités en tant que Musulman et citoyen irakien. Quel être humain peut-il accepter que son pays, sa maison soit détruite par des gens qui ne respectent rien ? Ces personnes n’ont aucune motivation, excepté des intérêts matériels. Les membres de l’ex Conseil de Gouvernement sont venus sur les chars américains, violant les lieux saints, blessant l’honneur du peuple et sa dignité, entraînant de nombreux morts.

Comment s’est déroulée la bataille de Falouja ?

Peu après la chute de Bagdad en avril 2003, les américains ont occupé l’école de Falouja. Il y a eu des manifestations pacifiques pour demander leur départ. Les américains ont alors tiré sur les manifestants : 18 adolescents ont été fauchés par les feux américains. Nous avons alors compris qu’ils n’étaient pas des libérateurs mais des meurtriers. Nous nous sommes soulevés et les opérations militaires ont commencé, visant leurs bases : attaque des patrouilles, barrages des routes, attaque des convois de ravitaillement, etc.

Ma première opération a été l’attaque d’un char bradley devant la mairie de Falouja. Au début nous avons commencé avec un petit groupe parce que chaque membre en raison de ses actes pouvait être arrêté, mis en prison ou tué. Mais nous étions entraînés militairement à manier les armes et à combattre. Cependant notre principale force reposait sur notre religion…

Quels sont les principes qui animent les Mudjahidins ?

Les Moudjahidin portent dans leur coeur l’objectif de mettre en place un gouvernement islamique basé sur la justice, les droits individuels, l’amour, la paix et la sécurité. Notre islam est libre et porteur de paix. L’Islam respecte la religion chrétienne et nous croyons également en Jésus. Notre Islam nous demande de croire en Dieu et en ses prophètes, au livre saint et à tous les messagers. Notre religion est la dernière des religions et notre Prophète, le dernier des prophètes.

Quel avenir envisagez vous pour l’Irak ?

Nous voulons un régime Islamique pour l’Irak. Ce régime aura de bonnes relations avec les autres pays. Mais nous ne laisserons pas violer les principes islamiques. Ce gouvernement ne sera pas composé de religieux. Seuls des hommes de science peuvent occuper ces positions. Cependant, le gouvernement doit s’inspirer de la religion pour établir ses lois selon les principes de la Charia.

Quel est votre point de vue sur les élections du 30 janvier ?

Nos leaders religieux ont déclaré que nous ne pouvions pas voter dans ces conditions. Tous les candidats sont venus en Irak sur les tanks américains. Ce sont tous des collaborateurs. Nous ne sommes pas contre les élections mais ce n’est pas le moment. Nous considérons qu’il n’est pas possible de voter. Nous allons lutter « furieusement » contre ces élections. Nous ne souhaitons pas la mort de nos frères irakiens. Ce sont les américains qui sont responsables de ces morts. Ils veulent ternir la réputation de la résistance pour nous diviser et nous couper de la population.

Pourquoi avoir accepter de répondre aux questions d’un journaliste ?

Les Moudjahidin ne sont pas contre les journalistes. Nous sommes fiers de ce que nous faisons. Je suis fier car je porte le courage que les autres n’ont pas. Mon collègue voulait être martyr avant moi. Cela est devenu une évidence devant Dieu. J’ai fait ma promesse parmi les nôtres de porter le drapeau. Si je tombe, un frère le portera à ma place.

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