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La repentance et les femmes de l’homme barbu

« Je vais en finir avec la repentance qui est une forme de haine de soi et la concurrence des mémoires qui nourrit la haine des autres. »
« Une grande nation comme les Etats-Unis a le devoir de ne pas faire obstacle à la lutte contre le réchauffement climatique mais, au contraire, de prendre la tête de ce combat, parce que ce qui est en jeu c’est le sort de l’humanité toute entière. »
« À toutes les femmes martyrisées dans le monde, je veux leur dire que la fierté et le devoir de la France sera d’être à leur côté. […] La France n’abandonnera pas les femmes qu’on condamne à la burqa, la France n’abandonnera pas les femmes qui n’ont pas la liberté ».

Nicolas Sarkozy, 6 mai 2007

Avant de rejoindre le camp de Nicolas Sarkozy et d’y gagner un portefeuille ministériel, le socialiste Éric Besson avait décrit son adversaire électoral d’alors comme « un “néocon” américain à passeport français ». De fait, dès le soir de son élection, notre « néocon » a développé une très sélective vision de l’altérité.

Le thème de la sécurité a eu beau envahir la campagne électorale, les perspectives tracées sur ce terrain, dans et hors de l’hexagone, constituent autant de trompe l’œil qui risquent de nourrir les pires malentendus. Si demain la France ne devait plus disposer, pour communiquer avec les rives musulmanes de la Méditerranée, d’autre langage que celui de la confrontation, il faudrait se souvenir que l’aiguillage, ou l’engrenage, du 6 mai 2007 y aura été pour beaucoup.

« Halte à la repentance ! »

« Halte à la repentance », nous a d’entrée de jeu signifié le chef de l’État. Qu’est-ce à dire ? Que, quand bien même n’aurait-on pas encore fini de l’écrire, il faut dès aujourd’hui tourner la page de la colonisation. La colonisation, avait expliqué le candidat Sarkozy, a moins été en effet l’expression d’un « rêve de conquête » que celle d’ « un rêve de civilisation » [1].

De cette « repentance », on chercherait en vain la moindre trace dans les programmes scolaires, ou dans la mémoire législative de la France. Elle a pourtant, nous a dit le président élu, envahi la conscience nationale au point de nourrir la haine des « bons Français ».

Evoquer les crimes coloniaux ou seulement tenter de savoir pourquoi et comment, ici et là, la vieille fracture coloniale continue à travailler notre société et ses relations avec le monde [2] ? Masochisme, dévoiement de la conscience et auto-flagellation ! Nicolas Sarkozy – qui « parle Bruckner » [3] couramment – entend nous épargner ces « sanglots de l’homme blanc » accusés d’alimenter une intolérable « concurrence des mémoires ».

Rideau, donc, sur toute inscription de la lecture des tensions régionales dans un cadre historique qui intégrerait le précédent fondateur de l’actuel « choc des cultures ». Rideau sur toute tentative d’explication profane des bruyantes mais banales (ré)affirmations identitaires d’une rive Sud du monde longtemps privée de sa voix et son lexique. Et honte sur ceux qui, sur les deux rives, pour mieux regarder leur avenir, entendent poser leur regard sur les ombres autant que sur les lumières de leur histoire partagée.

En ce début de XXIème siècle, les multiples malentendus n’auraient donc rien à voir avec une quelconque volonté de résurgence des anciens dominés ou de leurs descendants ; et les défis que nous devons surmonter, rien à voir non plus avec notre difficulté à envisager la sortie du confort de l’hégémonie politique, économique et culturelle ancrée dans la relation coloniale. L’ « Halte à la repentance » signifie simplement que nos difficultés quotidiennes ne sauraient nullement s’ expliquer par nos erreurs passées ou présentes mais bien par celles des « autres » et par celles-là seulement.

Tout devient dès lors …si simple. Ce sont les colonisés qui nous ont trahis et non l’inverse ! Ce sont ces ingrats (et leurs enfants devenus Français) qui ont l’insolence de bouder aujourd’hui la Marianne généreuse qui a condescendu à les civiliser. Ce sont eux qui refusent de reconnaître les « Lumières » dans les halos médiatiques artificiels que braquent sur eux-mêmes nos (nouveaux) « philosophes » ! Qu’ils le fassent dans leurs nouvelles frontières, dans ce monde où rôdent les « intégristes » de tout poil, passe encore.

Mais, que dans nos propres cités, d’impertinents « indigènes » osent de plus en plus ouvertement rappeler à Marianne les plus criantes de ses contradictions, c’en est trop ! Tout s’enchaîne ensuite logiquement. Comme dans La Tyrannie de la pénitence, le refus de toute reconnaissance de l’histoire réelle sert surtout à annoncer le refrain qui, de Charlie-Hebdo à Philippe de Villiers et d’Alain Finkielkraut à Robert Redecker en passant par « l’immortel » Max Gallo, fédère aujourd’hui comme jamais les rangs du discours médiatique qui s’est substitué en France à celui de la pensée.

Notre mal-vivre, les malentendus qui surgissent ici et là avec le Sud musulman, voire avec quelques-uns de ces trublions de nos banlieues, n’auraient donc rien à voir avec nos égoïsmes ou nos propres crispations identitaires et …communautaristes. Ils n’auraient rien à voir avec les raccourcis que persistent à emprunter les politiques, sociale ou étrangère, de la France, de l’Europe ou de ces grands alliés que nous sommes plus que jamais invités à admirer. Pas question en effet, autre point fort du discours fondateur, de nous opposer moindrement aux Américains si ce n’est sur… le réchauffement de la banquise.

Rien à redire aux bombes avec lesquelles eux mêmes, leurs alliés ou autres protégés « réchauffent » l’Irak, le Liban, la Palestine ou l’Afghanistan. Rien à reprocher aux manipulations sectaires – quoi de mieux qu’un chiite pour nous débarrasser d’un sunnite ou qu’un Arabe pour nous débarrasser d’un Perse – dont leurs officines « contre-terroristes » font plus que jamais leur miel. Rien à redire au soutien aveugle accordé aux pires dérives des occupants israéliens : silence devant ceux qui, eux aussi, au nom de leur « sécurité », (en fait pour coloniser plus, encore et toujours), asphyxient en dressant murs et check-points, confisquent les ressources financières, kidnappent élus et ministres, assassinent les uns, affament les autres, ligotent tout un peuple qui a mal voté pour oser ensuite dénoncer impunément son incapacité à faire régner l’ordre ! Rien à promettre, donc, à aucun réfugié Palestinien, Irakien ou Afghan à aucun veuf, orphelin ou veuve de ces guerres là. Ceux-là… menaceraient notre identité nationale.

A l’origine de tous nos maux : le machisme du mâle musulman…

Si l’on comprend bien Nicolas Sarkozy, la vraie violence qu’il soit à la fois politiquement correct et rentable de dénoncer et de combattre, la seule à faire des victimes suffisamment nobles pour nous faire oublier nos sacro-saints quotas migratoires, ce n’est surtout pas celle de Guantanamo ou d’Abou Ghraïb, ni celle d’Hébron ou de Gaza : c’est le machisme des mâles musulmans contre leurs filles et leurs épouses !

Nous y voilà ! Tout le mal-vivre du monde ne vient que de l’insupportable culture de ces « Autres » qui ont moins le tort – inavouable – de nous résister que celui – impardonnable – d’avoir des épouses portant des vêtements d’une insupportable longueur. Seules ces victimes-là méritent notre volontarisme diplomatique. Elles seules pourront franchir les barrières ouvrant la félicité républicaine de la France magnanime. Avec nos encouragements tacites, l’Amérique de Georges Bush peut donc pérenniser la militarisation suicidaire de sa diplomatie pétrolière.

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A l’abri de tout risque d’ « ingérence humanitaire » de nos French Doctors, les geôliers maniaques du terrifiant ghetto de Gaza peuvent dormir sur leurs deux oreilles. Au Sud ou à l’Est de la Méditerranée, du « modernisateur » tunisien Ben Ali au « libéral » palestinien Abbas, les « Pinochets arabes » peuvent se réjouir à l’unisson de la clairvoyance réaffirmée de leurs partenaires occidentaux. Les généraux algériens qui, pour garder le contrôle de leurs pétrodollars, ont plongé depuis 1992 leur pays dans une terrifiante guerre civile, étaient du bon côté de l’histoire (c’est-à-dire, bien sûr, le nôtre).

Moubarak et ses homologues peuvent continuer à « benladeniser » les plus légalistes de leurs opposants et à brandir une explication « théologique » – luttons ensemble contre les fous de Dieu– occultant tout autant les ravages de leur autoritarisme que l’écrasante complicité de leurs sponsors et partenaires occidentaux.

De l’Afghanistan au gouvernement « Fillon 2 », tout s’enchaîne ! La vieille boucle coloniale se referme : comment osez vous vous plaindre, vous dont nous sommes en train de libérer les femmes ! Les fils de ceux que la République a importés par milliers pour assurer la croissance de l’après-guerre peuvent demeurer dans le rang, aussi soigneusement écartés des bancs du gouvernement que de ceux de l’Assemblée nationale.

Ceux là, pour sûr, porteraient atteinte à notre « identité nationale ». Pères, maris et fils peuvent moisir dans leurs banlieues. En Afghanistan ou en Irak, ou dans leurs bantoustans palestiniens, leurs cousins peuvent continuer à se passer de notre sollicitude. Comment ceux dont les épouses portent des vêtements d’une telle longueur oseraient-ils se plaindre d’une domination qui leur apporte les Lumières de la modernité ?

Bienvenue en revanche aux … femmes des hommes potentiellement barbus, et à elles seulement. Sans même nous montrer trop exigeant sur leur talent, nous sommes même prêts à leur confier des responsabilités gouvernementales… faites spécialement à leur mesure : c’est à elles qu’il revient désormais de nous protéger contre cette menace partagée que représentent, pour elles comme pour nous, leurs pères, leurs maris et leurs frères !

Méditerranée : quelle « union » ?

A bien y regarder, il existe deux bénéficiaires potentiels de cette « sécurité » dont on nous parle tant. Les premiers sont…les destinataires désignés et théoriques des politiques mises en œuvre en leur nom ; les seconds – titulaires de privilèges qu’ils sont peu enclins à céder – sont les auteurs et …les bénéficiaires réels de ces politiques « sécuritaires ». Lorsque ceux-là se proposent de veiller sur notre sécurité, c’est en fait… celle de leur élection ou de leur réélection qu’ils cultivent.

Pour la garantir, il leur suffit malheureusement de parler à nos tripes, de conforter nos peurs (face aux « égorgeurs de moutons » et autres amis de Ben Laden) de cultiver notre méconnaissance (de l’origine profane des violences qui déchirent le Proche-Orient et de la part de responsabilité essentielle qui nous en revient) bref…de creuser tous ces malentendus qui sont inexorablement en train de nous conduire vers la confrontation.

Protéger réellement notre sécurité couterait en fait bien trop cher …à leur carrière : Il plus bien plus dur et donc plus couteux politiquement de parler au cerveau d’un électeur qu’à ses tripes, plus ingrat de raisonner ses peurs que de s’en servir comme tremplin oratoire.

C’est ainsi qu’en 2007, d’un bout à l’autre de l’Europe, les politiques du gyrophare et les raccourcis criminalisants du « Karcher » viennent de marquer des points. Un succès électoral s’est construit sur la gestion cynique de nos penchants xénophobes. Cette victoire sucrée pourrait bien vite prendre un gout amer : celui des fausses routes qui se terminent dans l’impasse de vrais conflits – ceux que nos « néocons » à la française se targuent bruyamment de vouloir prévenir.

« Archives ouvertes de François BURGAT »

http://halshs.archives-ouvertes.fr/
export_listeperso_xml.php ?url_id=0000000001099

 


[1] « Le rêve européen a besoin du rêve méditerranée. Il s’est rétréci quand s’est brisé le rêve qui jeta jadis les chevaliers de toute l’Europe sur les routes de l’Orient, le rêve qui attira vers le sud tant d’empereurs du Saint Empire et tant de rois de France, le rêve qui fut le rêve de Bonaparte en Egypte, de Napoléon III en Algérie, de Lyautey au Maroc. Ce rêve ne fut pas tant un rêve de conquête qu’un rêve de civilisation. » Toulon 7 février 2007

[2] Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire (dir.), La Fracture coloniale. La société française au prisme de l’héritage colonial, La Découverte, Paris, 2005.

[3] Pascal Bruckner, La Tyrannie de la pénitence. Essai sur le masochisme en Occident, Grasset, Paris, 2006.

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