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La fermeture de Radio M en Algérie et la réaction des médias mainstream français

L’arrestation du journaliste algérien El Kadi Ihsane, et la mise sous scellés des locaux de Radio M qu’il dirigeait depuis plusieurs années, s’inscrivent dans le cadre d’une offensive du régime autoritaire algérien contre toutes les voix qui dérangent.

Même si la radio n’a jamais été autorisée, comme l’a rappelé le procureur de la République près le tribunal de Sidi M’hamed (Alger) pour justifier le forfait, on ne comprend pas pourquoi le pouvoir a décidé en ce moment précis de fermer la radio. Idem en ce qui concerne les accusations officielles lancées par la Justice algérienne contre cette radio, à savoir la réception de fonds de l’étranger en vue de commettre des actes attentatoires à la sécurité de l’Etat.

L’étude réalisée par le chercheur algérien Ahmed Bensaada sur le financement international de plusieurs organisations algériennes et de plusieurs personnalités du Hirak algérien a montré que Radio M a été, dès 2014, retenue par Canal France International (CFI) pour un financement et accompagnement dans le programme du programme EBITICAR-MEDIA.

Pourquoi les autorités algériennes n’ont-elles pas réagi depuis cette date si cette radio était vraiment impliquée dans des activités subversives anti-algériennes ? Une question qui devrait susciter l’interrogation et le doute.

Par ailleurs, le fait que le directeur de la radio, El Kadi Ihsane, ait été arrêté à minuit à son domicile par des éléments de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et gardé à vue dans ses locaux durant six jours, sans qu’aucune information officielle n’ait été fournie, avant d’être présenté devant le procureur de la République, a constitué un motif d’inquiétude légitime.

A cet égard, la campagne de soutien lancée en Algérie et en France en faveur du journaliste El Kadi Ihsane est une réaction saine et bien à propos en faveur de la liberté de la presse, consacrée, par ailleurs, par la Constitution algérienne. On ne peut que se réjouir de la vitalité de la solidarité internationale en matière de défense des droits humains et des libertés fondamentales, surtout quand il s’agit de la solidarité internationale émanant des secteurs qui militent en faveur des droits sociaux, humains et démocratiques.

En revanche, la levée de bouclier des médias mainstream français à cette occasion a de quoi susciter l’étonnement et l’interrogation. L’esprit corporatiste et le souci de défendre la liberté de la presse ne sauraient tout expliquer.

Sinon comment interpréter le peu de cas fait par ces mêmes médias de l’arrestation et la condamnation à un an de prison, dont deux mois ferme, du journaliste du quotidien arabophone Echorouk, Belkacem Houam, pour avoir écrit un article sur l’interdiction d’entrée en territoire français d’une cargaison de dattes en raison de la découverte d’un pesticide interdit ?

Comment expliquer le traitement différent réservé par ces médias à l’exécution, le 12 mai 2022, de la journaliste palestinienne d’Al Jazeera, Shirine Abou Akleh, par l’armée d’occupation israélienne ? Comment expliquer le silence assourdissant de ces médias quand il s’agit du harcèlement et de la persécution des journalistes dans les pays de la région alliés des USA et de l’Europe, comme les pétromonarchies du Golfe, l’Egypte ou le Maroc ?

Comment expliquer que le harcèlement et les mesures d’interdiction, dont sont l’objet des associations et des mosquées en France sous prétexte de lutte contre le radicalisme, ne suscitent pas autant d’indignation et d’élan de solidarité ?

La politique du « deux poids, deux mesures », dans laquelle se complaisent les médias mainstream, est facile à comprendre. Derrière les prises de position dictées en apparence par le souci de défendre les libertés se cachent tout simplement des campagnes qui n’ont rien à voir avec les motifs démocratiques invoqués.

Si les médias mainstream exploitent n’importe quel évènement qui se produit dans des pays comme l’Iran et l’Algérie pour lancer des campagnes de désinformation et déstabilisation, c’est avant tout pour des raisons géopolitiques. L’objectif stratégique reste le renversement ou du moins l’affaiblissement des régimes autoritaires certes, mais dont le souverainisme dérange la politique de domination des puissances occidentales dans la région.

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Les médias mainstream, qui donnent régulièrement des leçons en matière de liberté de la presse, se dévoilent à cette occasion, et montrent à qui il reste des yeux pour voir leur vrai visage :  des médias au service de la stratégie belliciste des centres de l’Empire qui a fait de l’exportation de la démocratie son cheval de Troie pour assurer son hégémonie sur les pays récalcitrants ou qui seraient tentés de rechercher de nouvelles alliances internationales avec la Russie et la Chine.

A cet égard, force est de constater que si les médias iraniens ou algériens ne sont pas libres, au sens où l’entendent les nouveaux directeurs de conscience de notre époque, les médias mainstream français et européens en général ne le sont pas plus. Seuls diffèrent les moyens utilisés pour arriver au même but : formater l’opinion publique au gré des intérêts des pouvoirs établis.

Et si on a encore un doute à ce sujet, il suffit de regarder comment la France et d’autres pays membres de l’Union européenne ont eu recours à l’interdiction pure et simple, dans leur espace médiatique, des médias russes (RT et Sputnik) dans le sillage de la guerre en Ukraine. La conception que se font les pays européens de la liberté de la presse est donc à géométrie variable.

La liberté n’est admise que quand elle ne contredit pas les vérités officielles produites dans les laboratoires de l’Empire.  Rappelons-nous également comment lors de la pandémie de Covid-19 et face aux mesures liberticides édictées par les pouvoirs publics au nom des exigences de la santé publique, toutes les voix discordantes émanant de la société civile et des organisations de défense des droits humains ont été clouées au pilori, sous l’accusation fallacieuse de « complotisme » .

Pour revenir à l’affaire du journaliste algérien arrêté et à la fermeture de Radio M, il faut d’abord rappeler quelques positions de principe :

1. Un citoyen poursuivi par la Justice dans son pays reste innocent jusqu’à son jugement. Pour rappel, le procureur a décidé l’ouverture d’une information judiciaire. Rien ne dit que cette enquête aboutira à un procès. Et si tel sera le cas, rien ne dit qu’El Kadi Ihsane sera condamné. A cet égard, nous ne dénoncerons jamais assez les thuriféraires du régime qui ont condamné par avance le journaliste arrêté sur base des premiers éléments – très vagues- fournis par le procureur de la république.

2. La liberté et notamment la liberté de la presse ne valent que quand elles s’appliquent à ceux qui ne pensent pas comme nous. Le fait de défendre El Kadi Ihsane dans son épreuve actuelle ne signifie pas qu’on partage nécessairement ses engagements politiques.

Sans préjuger de la consistance des pièces constitutives du dossier judiciaire de l’affaire en question, par manque d’informations fiables à ce sujet, nous ne pouvons que rappeler la position de principe selon laquelle un combat démocratique qui se rabaisse à recourir à la coopération d’organismes publics ou privés américains et européens, qui ne sont en fait que des paravents commodes au service de la diplomatie parallèle de puissances étrangères, est un combat, politiquement et moralement, perdu d’avance.

Nous ne disons pas cela par chauvinisme. Ces organismes ne sont pas suspects parce qu’ils sont « étrangers ». Non, ils sont malfaisants parce que leurs activités, au regard de ce qui s’est passé réellement durant ces vingt dernières années dans plusieurs pays arabes, s’inscrivent concrètement dans le cadre de la stratégie américaine de l’ « anarchie créatrice » qui a fait des centaines de milliers de victimes en Irak, en Syrie et en Libye.

Au risque de provoquer le courroux des nouveaux samaritains qui veulent nous apporter la démocratie sur les blindés des armées de l’Otan, quand l’argent, les séminaires et les stages de Freedom House, de la NED, de la Fondation Anna Lindt, Canvas et Otpor ne suffiront plus, il faut avoir le courage politique de rappeler aujourd’hui que le combat légitime pour les libertés démocratiques en Algérie aura plus de chance de mobiliser la multitude populaire, s’il ne donne pas l’impression d’être un cheval de Troie en vue de se débarrasser d’un régime, certes autoritaire et paternaliste, mais qui n’en reste pas moins souverainiste et social, pour le remplacer par un régime vassal et néolibéral.

 

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