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La conception musulmane de l’immanence et de la transcendance est moins éloignée de celle du christianisme que ne le pense le pape.

Nous avons, dans nos deux entretiens précédents avec Rochdy Alili, tenté de situer le texte de la fin du Moyen-âge sur lequel Benoit XVI s’est appuyé pour engager sa réflexion sur foi et raison à l’université de Ratisbonne. Nous avons clairement placé cette référence dans une histoire qui produisit, tenant compte d’événements bien précis, un premier regain d’idéologie anti musulmane, une idéologie dont les thématiques se répètent ajourd’hui encore et tentent de perpétuer à propos de l’islam des fantasmes toujours vivants et destructeurs. Puis nous avons tenté de faire justice d’inexactitudes dans certaines des affirmations de ce texte, et avons aussi resitué ce qui nous a semblé une imprécision du pape lui-même à propos de l’affirmation coranique « point de contrainte en religion ». Nous continuons aujourd’hui à recueillir les réflexions de notre interlocuteur, en suivant le cours du développement de la leçon de Benoit XVI.

Rochdy Alili, vous nous permettrez de continuer notre lecture du discours du pape et de proposer à votre commentaire les questions qui nécessitent, de notre point de vue, un examen un peu approfondi. Je note ainsi que Benoit XVI poursuit donc en relevant, dans la citation de Manuel II, une phrase sur laquelle il va construire la suite de sa démonstration : « ne pas agir selon la raison contredit la nature de Dieu »

Il enchaîne ensuite avec un commentaire de l’éditeur du texte de Manuel II, le père Adel Théodore Khoury, qui remarque : « pour un Byzantin, nourri de la philosophie grecque, ce principe est évident. Pour la doctrine musulmane, Dieu est absolument transcendant, sa volonté n’est liée par aucune de nos catégories, fût-elle celle du raisonnable. » Lequel Théodore Khoury appuie cette affirmation par une citation de l’islamologue français Roger Arnaldez lui-même évoquant Ibn Hazm, qui décrétait : « « Dieu n’est pas tenu par sa propre parole et rien ne l’oblige à nous révéler la vérité : s’Il le voulait, l’homme devrait être idolâtre »

Bien. Nous avons là un locuteur, le pape, citant un autre locuteur, Manuel II, dont les propos font l’objet de commentaires d’un troisième locuteur, Théodore Khoury, qui cite à son tour un quatrième locuteur, Roger Arnaldez1 évoquant un cinquième locuteur Ibn Hazm.

Avant d’entrer dans le commentaire proprement dit des phrases que vous citez, je dois faire remarquer que l’on évolue dans ce paragraphe encore plus qu’auparavant, dans un univers mental assez peu soucieux de l’histoire, contrairement à ce qui peut apparaître, et fortement enclin à comprendre le monde et poser les question de manière ontologique.

L’on raisonne ainsi comme si tous les phénomènes découlaient nécessairement d’une nature fondamentale, d’une essence, d’un en-soi, qui les porteraient, par le fait d’une logique interne, à prendre des formes, à se manifester, à fonctionner et s’articuler entre eux selon une nécessité dictée seulement par le caractère foncier de principes de base détachés de la contingence historique et de la volonté humaine.

Et toute la rhétorique qui se met en place clairement à ce moment du discours où ce n’est plus Manuel II qui parle, mais son éditeur, cette rhétorique s’inscrit parfaitement dans cet univers mental en affectant de nous situer dans l’histoire.

Mais le pape, lui, ne prétend pas entrer dans l’histoire lorsqu’il reprend l’affirmation de Manuel II : « ne pas agir raisonnablement contredit la nature de Dieu » et qu’il en fait le départ de sa méditation. Il est dans la théologie, sa pratique intellectuelle.

Pas encore, effectivement. Mais nous atteignons ici les limites de la théologie parce qu’il s’agit en effet d’action, de choix humain dont la compréhension requiert d’autres outils que la seule théologie. Et, s’il est nécessaire et raisonnable de s’interroger sur Dieu avec la raison, comme le dit Benoit XVI, nous aurions aimé connaître le raisonnement qui a mené le théologien cité, (parce que Manuel II fut théologien), à cette affirmation. Nous aimerions surtout savoir ce qui lui permet d’être si péremptoire sur la nature de Dieu.

Je songe ici à Ghazali (1058-1111), théologien lui-même, se rendant compte des insuffisances de sa pratique intellectuelle et partant sur les routes parce qu’il s’était rendu compte que la connaissance vraie du Divin ne venait pas « de preuves et de paroles mais de la lumière que Dieu avait mise dans son cœur ». Je crois qu’ici encore l’approche de l’homme existant et croyant, si importante pour une catégorie de penseurs, dans le christianisme et dans l’islam, comme Ghazali, nous fait mieux approcher le cœur des choses que le jeu rhétorique du pape à partir de concepts purs, peu en lien avec une réalité saisissable.

D’ailleurs, si je tente de comprendre la phrase, je suis face à un certaine perplexité. Son sens le plus évident serait que l’homme qui n’agit pas raisonnablement contredirait la nature, (la volonté ?) de Dieu ? Faut-il plutôt comprendre que Dieu, par nature, ne peut dicter un comportement absurde, comme celui de vouloir user de contrainte en matière de religion ? ce qui ferait que le musulman imposant sa religion par l’épée ne serait pas en conformité avec le souhait divin ? Nous ne sommes pas dans l’argumentation, nous sommes dans la pure rhétorique et des esprits critiques pourraient se demander si toute la théologie ne serait pas au fond que de la rhétorique.

De toutes manières le musulman a toujours tout faux dans les deux interprétations, c’est ce qui importe dans la démonstration, ne croyez vous pas ?

J’ai peur que vous n’ayez raison puisque la citation du père Khoury rappelle que :

pour la doctrine musulmane, Dieu est absolument transcendant, sa volonté n’est liée par aucune de nos catégories, fût-elle celle du raisonnable.

Cela veut dire que les musulmans, autre poncif, sont tellement obnubilés par le caractère transcendant du Divin, qu’ils en oublient de relever aussi son caractère immanent. Cela est un stéréotype s’ajoutant à ceux qui ont précédé dans le discours et sur lesquels nous avons déjà donné notre point de vue de musulmans.

De la sorte, si l’on reprend ce que dit le père Khoury, nous nous voyons dans l’obligation de procéder à des remarques et des précisions à chaque groupe de mots.

Pour la première selon la doctrine musulmane, j’aimerais, si l’on parle de doctrine, que l’on me dise laquelle. Il y a le Coran, il y a la Sunna, il y a les positions des théologiens, il y a aussi, à une certaine époque moins productive en réflexion, les professions de foi de certains religieux, il y a les expressions de la mystique dont l’influence sur l’islam populaire a été et demeure capitale et tant d’autres domaines où la foi musulmane a pu s’exprimer depuis presque un millénaire et demi.

Dès lors, parler de « doctrine » musulmane est très imprécis. C’est un placage de la réalité catholique, laquelle dispose du « symbole de Nicée » qui constitue un Credo, laquelle dispose d’institutions collectives hiérarchisées et reconnues, capables précisément de fournir et contrôler la doctrine, comme le pape actuel s’en est, il me semble, parfaitement occupé dans des fonctions antécédantes.

Faut-il s’en réjouir ou le regretter ; il n’y a rien de tel en islam et aucune instance, fonctionnant de manière reconnue, efficace et incontestable, n’a été instaurée dans le long terme pour réprimer les déviances dogmatiques, ni même pour dire le dogme.

Cela n’empêche pas bien entendu, des juridictions inféodées aux pouvoirs politiques ou auto proclamées, des groupes populaires manipulés ou de simples individus pourvus de charisme et de sens de la communication, de décréter ce qui est licite et illicite, juste et injuste, conforme ou non au dogme Aussi, même si une orthodoxie a pu se dégager dans la durée, dans des conditions historiques données, dont j’ai parlé ici même, à oumma.com, dans mes articles sur « une orthodoxie inoxydable », il faut être bien plus précis lorsque l’on parle de « doctrine » en islam.

Nous sommes donc à cet égard dans un flou qui permet précisément de prendre n’importe quelle référence marginale et de la faire passer pour le dogme dominant, comme celle à Ibn Hazm, sur qui nous reviendrons plus tard.

Il serait donc préférable que nos amis catholiques, à commencer par le pape, soient plus rigoureux sur ce genre de point.

Bien, pour continuer à suivre le texte, le groupe de mots suivant de la citation de Théodore Khoury est : « Dieu est absolument transcendant, »

Oui, d’abord je ne vois pas ce qu’il y aurait d’inadmissible et d’inacceptable pour un croyant d’affirmer avec force que Dieu est transcendant. Oui, Dieu est absolument transcendant, sinon Il n’est pas Dieu. Et Dieu est absolument tout ce qu’Il est, et donc Il est transcendant de manière absolue. Cela paraît tout à fait simple.

Les musulmans auraient donc à se sentir à part du fait qu’ils affirment la transcendance de Dieu ? Et cette vision de la transcendance les rendraient incapables de saisir les innombrables et mutiples modalités de Son immanence ? Et cela les mènerait à ne pas agir selon la raison ?

Il faut vraiment éviter ce genre de procès d’intention, parce que chacun devrait savoir combien les musulmans sont sensibles à l’immanence du Divin, qui irrigue toute leur vie, qui se manifeste d’abord par le Coran, acte à leurs yeux de présence, de miséricorde et de sollicitude de Dieu, descendu, comme nous ne pouvons pas ne pas nous en souvenir en ce mois de ramadan qui commence ; « dans la Nuit grandiose » en qui «  font leur descente les anges et l’Esprit, sur permission de leur Seigneur » (XCVII).

Et dans le Coran, lui-même acte d’immanence, est rappelée l’immanence de Dieu par l’importance de l’Esprit (ruh) et du Souffle (rawh), assurément inconnaissables en tant que tels à l’homme, assurément ressortissant au Divin, mais émanant de Lui pour aller vers la créature.

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Elle est rappelée encore, cette immanence, dans la sourate XVI verset 2 ; « Lui qui fait descendre des anges avec l’Esprit, de Sa sphère sur celui qu’Il veut parmi Ses adorateurs ». Et le texte sacré, tout en contestant la vision chrétienne trinitaire va jusqu’à dire que « le Messie Jésus, fils de Marie, était l’envoyé de Dieu, et Sa Parole, projetée en Marie, et un Esprit venu de Lui » (IV, 171).

Ainsi Dieu « projette », selon la traduction de Jacques Berque, Sa Parole. L’idée se retrouve dans le verset 15 de la sourate XL, où Dieu, depuis Sa Transcendance, projette son Esprit sur ses adorateurs pour avertir les hommes : « Maître des hauts degrés, le titulaire du Trône, de Sa sphère projette l’esprit sur quiconque Il veut d’entre Ses adorateurs, afin que ce dernier donne l’alarme quant au Jour de confrontation ». Parmi ces adorateurs Jésus est encore évoqué indirectement, dans un verset qui décrit l’Annonciation : « Nous lui (Marie) envoyâmes Notre Esprit, qui revêtit pour elle la semblance d’un humain parfait » (XIX, 17), puis dans un autre où la Vierge réapparaît encore, avec un statut éminent ; « Et celle qui préserva son sexe, et en qui Nous insufflâmes Notre Esprit, et de qui Nous fîmes, ainsi que de son fils, un signe pour les univers… » (XXI, 91).

Par ailleurs en de multiples occasions, est rappelée encore l’immanence de cet Esprit, de ce Souffle : « ne désespérez pas du souffle apaisant de Dieu » (XII, 87) ; « l’Esprit de sainteté le fait descendre de ton Seigneur avec le Vrai » (il s’agit de verset du Coran XVI, 102). Et je ne parle pas de tellement d’autres occurrences symboliques islamiques comme les quatre vingt dix neuf noms de Dieu, qui marquent tous les qualités par lequel Il est Présent pour Sa créature.

Peut être faudrait –il donc, lorsque l’on parle de dialogue selon la raison, choisir ses références dans d’autres contextes et relever ce qui rapproche plutôt que ce qui sépare

Dans la mesure où il y a séparation, puisque vous montrez qu’en réalité, la conception musulmane de l’immanence et de la transcendance est moins éloignée de celle du christianisme que ne le pense le pape.

Bien sûr, car cette allusion à la conception de la transcendance selon la « doctrine » de l’islam est du domaine du cliché classique. On retrouve ce cliché des dizaines de fois, dans des écrits qui n’ont rien d’hostile mais n’entrent pas dans la réalité vraie, riche, contradictoire et paradoxale de l’islam. Essayons alors de ne pas nous regarder les uns les autres à partir de définitions essentialistes et caricaturales, en ratiocinant sur nos contradictions, mais en étant mutuellement attentifs aux êtres existants et paradoxaux que nous sommes tous, Dieu merci.

Que l’on cesse donc de construire ces beaux édifices à la fois schématiques et ontologiques qui masquent plus la réalité des choses qu’elles ne la révèlent. Revenons à l’histoire telle que nous pouvons la retracer, alors les affirmations du type Sa volonté n’est liée par aucune de nos catégories nous seraient épargnées.

Pour moi, si nous nous reconnaissons créatures, et il serait curieux de la part de croyants de ne pas se reconnaître créatures, il est clair que « nos catégories » positives sont en nous par la volonté de Dieu et qu’Il a voulu qu’elles fussent en nous pour être exercées. J’avoue être assez désarçonné par l’idée que la raison s’exercerait, aurait droit de cité dans la vie de l’homme parce que Dieu pourrait être « lié » par certaines de « nos » catégories, dont cette fameuse raison. Dans la mesure où il faut éventuellement, mais je ne le pense pas, comprendre la proposition dans un autre sens, parce qu’une certaine obscurité persiste, je suis encore plus désarçonné par celle qui consiste à dire que Dieu doit intervenir avec raison dans l’univers parce qu’il serait « lié » à une « catégorie » humaine née sans sa volonté dans la créature humaine. Je ne pense pas que Théodore Khoury a voulu dire une chose pareille, mais cette assertion hâtive me paraît semer plus de confusion qu’elle n’apporte d’éclaircissements

Cette affirmation curieuse procède en réalité à mon avis d’un registre particulier, où l’ontologique se substitue à l’existant et à l’historique pour constituer un échaffaudage rhétorique visant à démontrer que l’islam, même s’il produit des hommes de raison, ne porte pas par son essence à un exercice nécessaire de la raison découlant de la vision de Dieu qu’il propose.

Le problème c’est qu’à ce moment de ce qui se veut une démonstration et qui n’est qu’une apologie, la rhétorique dérape vraiment, ne convainc que des adeptes peu éclairés de la question traitée. Et il convient pour moi de rappeler ici, pour sortir du théologique et entrer dans l’historique, que l’usage de la raison ne se déduit pas de la conception que l’homme se fait de Dieu, de ce qu’il est plus ou moins sensible à son caractère transcendant ou à son caractère immanent. Il se déduit de conditions matérielles ; économiques, sociale, culturelles, institutionnelles, du niveau d’organisation de toutes les instances et des hiérarchies stucturant les organismes.

Pour en finir avec cette courte partie du discours du pape faisant rapidement allusion à l’islam, il faudrait que vous nous expliquiez qui est Ibn Hazm dont la pensée est requise par Benoit XVI à travers une citation, pour appuyer encore sur le caractère aberrant de la conception musulmane de la transcendance.

Très volontier, mais si vous le permettez, je voudrais commenter quelque chose qui ne concerne pas l’islam, mais qui me paraît une inexactitude. Il s’agit des mots un Byzantin, nourri de la philosophie grecque. Je ne sais pas exactement comment il faut comprendre cela, mais il me semble, pour clarifier la situation historique, pour éviter tout malentendu, nécessaire de rappeler qu’il n’y a pas de relation de cause à effet entre la qualité de byzantin et le fait d’être nourri dans la philosophie grecque. Peut être Manuel II, lettré et curieux a-t-il lui-même, à une époque de relative renaissance de l’hellénisme avec Gémiste Pléthon, (vers 1355, 1360-1452 ; nous en avons parlé dans nos précédents entretiens), bénéficié de cette renaissance, mais rien n’est moins sûr pour moi.

Ce qui demeure, c’est que l’empire romain d’orient a oublié depuis longtemps la philosophie grecque dans le cadre d’une christianisation progressive des institutions et des idées, commencée depuis l’œuvre de l’empereur Constantin 1er (306-323-331)2, qui fait du christianisme la religion d’Etat en 324, jusqu’à celle de Justinien (527-565), qui fera fermer, en 529, l’école de philosophie d’Athènes, dont les membres se rendront dans l’empire Perse, conquis un siècle plus tard par les musulmans.

Entre temps, cette œuvre avait été momentanément interrompue par Julien l’Apostat (361-363), qui réussit en dix huit mois à retourner au paganisme, à fermer les églises et interdire l’enseignement chrétien tout en rouvrant les temples païens. Le processus de christianisation n’en est pas interrompu et progresse sans faillir, sous l’impulsion entre autres de personnalités comme Ambroise de Milan (évêque de 374 à 397), ou l’empereur Théodose (379-392-395) qui confirme fermement en 380 le christianisme comme religion d’Etat de l’empire.

C’est donc un mouvement long et déterminé, à peine interrompu, qui mène en deux siècles à une deshellénisation efficace du monde romain, occidental et oriental, par le christianisme triomphant, bien avant celles qu’évoque le pape. Induire donc systématiquement qu’un Grec était adepte de l’hellénisme parce que Grec, pourrait paraître une évidence ; il n’en est rien et l’Eglise byzantine médiévale récuse le plus souvent cet héritage.

Si l’on évoque d’ailleurs la renaissance de l’hellénisme avec Gemiste Pléthon, elle n’est pas née de génération spontanée dans un terreau par nature hellénique. En effet, Gémisthe Pléthon avait passé deux décennies à la cour du sultan ottoman et avait été formé à la pensée d’Averroès et de Maïmonide dans des cours musulmanes où il s’était instruit sous la direction de juifs encore en contact avec leurs coreligionnaire du royaume de Grenade, de même que de savants orientaux qui l’introduisirent à la connaissance de religions comme le brahmanisme et le mazdéisme.

Merci de préciser ce point. Nous sommes peut être encore ici dans ce type de raisonnement essentialiste qui fait inférer d’une nature donnée des conséquences nécessaires ; vous êtes musulman, vous êtes un adepte du jihad violent. Vous êtes musulman vous insistez sur la transcendance de Dieu et vous n’êtes pas sensible à son immanence. Vous êtes musulman vous n’êtes pas rationnel. Vous êtes byzantin, vous êtes « nourri de la philosophie grecque ».

Encore une fois, vous dites les choses sans ambage, mais il y a beaucoup de cela dans la rhétorique de ce discours. Cela s’appelle des préjugés. Il faut les pardonner s’ils sont exprimés à partir d’une connaissance imprécise des problèmes que nous abordons, et s’ils sont dépassés un jour. Mais tout de même, lorsque l’on exerce des responsabilités spirituelles et morales aussi importantes, lorsque l’on a une influence politique aussi notable, même sans force militaire et depuis un territoire exigu, il faut se décider à entrer dans le siècle où l’on vit, malgré ses nostalgies et prendre la mesure réelle des choses, à commencer par l’existence visible et marquante des musulmans sur la planète. Nous verrons comment les positions regrettables qui ont été prises évolueront dans les temps qui viennent.

Pour Ibn Hazm, je dirai tout simplement que c’est un misanthrope et un beau misanthrope. Il est né en 994 et il est mort en 1063. Il naît à la fin de la dynastie umayyade de Cordoue, dans cette ancienne capitale de souverains venus de Syrie en 756, d’abord émirs, puis auto proclamés califes en 929. L’époque de sa naissance est celle où le calife, Hicham II (976-1009), ne règne plus mais concède le pouvoir à son chambellan, le puissant al-Mansur Ibn Abi Amir (978-1002, connu par l’Europe chrétienne comme Almanzor).

Le père d’Ibn Hazm est vizir de ce chambellan et l’enfant vit une existence aristocratique et studieuse jusqu’à la mort d’al-Mansur, celle de son père et du calife, après qui la dynastie umayyade de Cordoue va bientôt disparaître et l’Espagne musulmane se diviser et reculer face aux chrétiens. Il se met au service de divers princes qui obtiennent le pouvoir de manière éphémère dans le contexte de désordre et de décadence qui prévaut à Cordoue et dans l’Andalousie musulmane démembrée. Il ne manque pas de se faire des ennemis et il entre, à peine trentenaire, dans une vie bien moins brillante que celle de ses débuts.

Son œuvre se ressent de ces épreuves mais il reste un personnage d’une rigueur morale et intellectuelle sans faille, adepte d’une école de l’islam alors marginale, le zahirisme, qui ne reste d’ailleurs dans le souvenir que grâce à lui, ou presque. Il récuse les circonlocutions intellectuelles des Trissotins de l’époque, il n’en a jamais manqué nulle part. Il se méfie d’une logique qui conduit à des absurdités, préférant à l’approche ésotérique la lettre pure et il déploie une sorte de sens aigu des êtres et des choses, qu’il illustre dans son œuvre la plus connue ; « le collier de la colombe » où il aborde la question de l’amour avec une pénétration psychologique étonnante. Parmi d’autres œuvres, il produit aussi une analyse critique des religions et courants de pensée de son époque, sans concession et bien documenté.

Le type de raisonnement que rapporte Roger Arnaldez est donc à inscrire dans ce contexte et cette personnalité, assez peu encline à l’indulgence pour ses semblables, qu’il connaissait bien.

Et si des théologiens ont pu dire comme Ibn Hazm que « Dieu n’est pas tenu par Sa propre parole, et que rien ne L’oblige à nous révéler la vérité », toute la sensibilité de l’islam dit bien à chaque instant que le Créateur est miséricorde, en particulier Ibn Arabi, qui parmi tant d’autres surprenantes visions de l’immanence divine, nous rappelle que « l’univers n’est rien d’autre que Ses paroles ».

C’est le Logos ?

C’est vous qui le dites, je n’en sais rien.

Propos recueillis par la rédaction

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