Ce texte a été ma contribution au colloque sur « les mécaniques de l’extrémisme violent », qui s’est tenu à la Bourse du Travail de Bobigny, les 3 et 4 juillet derniers.
J’utilise les mots « extrémisme », « radicalisme », « djihadisme », « terrorisme », sachant que ces termes sont des concepts déterminés par les dominants, et il y a besoin de les débattre, mais ce n’est pas le but de ce texte de le faire.
Dans ce texte je ne parle pas à partir de mon expérience comme clinicienne, psychiatre, psychothérapeute, mais comme Palestinienne de confession musulmane préoccupée par les droits humains et la Justice.
Abstract
L’engagement en faveur de la Palestine lie de nombreux arabes et musulmans ainsi que d’autres minorités marginalisées de l’Occident, générant un fort soutien émotionnel, idéologique et politique. La nature de ce lien va souvent au-delà des questions de parenté ou de lien religieux, pour impliquer une expérience sous-jacente et commune d’aliénation politique.
Les groupes djihadistes radicaux ont toutefois exploité la cause palestinienne à leurs propres fins. Dans ce contexte contradictoire, le gouvernement français a récemment pris des mesures pour sanctionner l’expression de critiques non violentes à l’encontre du sionisme et pour persécuter les militants soutenant le mouvement pour le Boycott, le Désinvestissement et les Sanctions contre Israël; ces mesures entravent l’exercice des droits fondamentaux de l’homme et contribuent à la « radicalisation » extrémiste.
Cet exposé démontre que la liberté d’expression relative à l’occupation israélienne de la Palestine peut contribuer à renforcer la résilience des communautés marginalisées en France et à contrecarrer l’antisémitisme, et d’autres formes de « radicalisation ».
Introduction
Le présent document n’a pas pour objet de passer en revue toute la littérature qui vaille d’être relevée sur ce sujet, telle que les biographies de dirigeants djihadistes salafistes, ou de décrire l’impact de la question de Palestine sur la trajectoire historique du djihadisme transnational. Les opinions exprimées ici sont néanmoins basées sur le peu de matériel de recherche disponible sur le sujet et sur les déclarations et vidéos les plus importantes faisant référence à la Palestine, qui ont été produites par les dirigeants d’Al-Qaïda et de Daesh (ou, comme on l’appelle parfois, ISIS).
De plus, je ne peux pas prétendre à une objectivité absolue, car je ne suis pas indifférente à la Palestine ou à l’islam. Permettez-moi de dire, en effet, que les recherches sur ce sujet m’ont été particulièrement pénibles en raison des grandes similitudes que je trouve entre la propagande et la conduite traumatisantes de Daech aujourd’hui et le sionisme des années 1940.
Le concept du djihad
Il y a de grandes différences dans la conceptualisation du djihad, comme dans beaucoup d’autres idées qui sont mal exploitées au bénéfice d’une idéologie. Dans la compréhension musulmane traditionnelle, le djihad peut être compris comme une lutte à l’intérieur de soi, contre son ego et son égoïsme; c’est ce qu’on appelle le djihad majeur dans la littérature islamique. D’autre part, il est du devoir de défendre les gens contre l’oppression – c’est ce qu’on appelle le djihad mineur.
Le Coran stipule (4:75) :
« Et vous, que vivez-vous pour la cause d’Allah et pour les opprimés parmi les hommes, les femmes et les enfants qui disent: ‘Notre Seigneur, porte-nous en dehors de cette ville de gens oppressifs et désigne pour nous un protecteur et désigne aussi pour nous une aide ?’»
La perspective salafiste jihadiste se démarque toutefois de ces concepts musulmans dominants. Alors qu’Al-Qaïda a pris la peine de manipuler les écritures coraniques pour légitimer ses actes violents en tant que djihad, Daesh ne prend même pas la peine de fournir une telle justification.
Mais la compréhension principale de la relation avec « l’autre » dans l’Islam vient du Coran (60″8) :
« Allah ne vous interdit pas de traiter avec bonté et justice ceux qui ne vous ont jamais combattus ni chassés de chez vous. Allah aime ceux qui sont justes. »
Sur une telle base, des penseurs islamistes influents tels qu’Al-Qaradawi, Malek Bennabi et al Ghnoushi ont affirmé que le pluralisme et la démocratie ne sont pas en contradiction avec l’Islam. La notion traditionnelle du djihad islamique n’implique pas de conflit avec la démocratie.
Fusionner la résistance palestinienne et le djihadisme transnational
Fusionner la résistance palestinienne avec des groupes djihadiste transnationaux est un objectif commun à de multiples acteurs, chacun propulsé par des motivations différentes : le but d’Israël ici est de s’identifier aux États-Unis et à l’Europe en tant que victime d’attaques terroristes, se positionnant ainsi comme l’expert du combat contre le « terrorisme » et exportant par voie de conséquence son industrie militaire vers le monde entier.
En Égypte, des allégations non fondées, selon lesquelles le Hamas coopérerait avec des groupes djihadistes du Sinaï, auraient été exploitées pour incriminer des opposants politiques, les Frères musulmans. Même l’Autorité palestinienne s’est impliquée dans une campagne de diffamation contre le Hamas, avec un hashtag Hamas=Daesh, pour inciter les gens à se révolter contre leurs opposants politiques.
Les revendications d’Israël
Israël ne rate jamais une occasion de lier la résistance des Palestiniens à l’occupation au djihadisme et au terrorisme mondial, alors que ces liens sont totalement inexistants.
En janvier 2017, par exemple, la police [de l’occupant] a abattu l’éducateur Yaaqub Abu al-Qian et a blessé plusieurs autres personnes au cours d’une campagne de démolition dans le village bédouin d’Oumm al-Hiran. Les médias israéliens ont publié des informations le décrivant comme un militant de Daesh qui aurait frappé un policier avec son véhicule – en contradiction avec tous les témoignages directs qui ont rapporté qu’il avait quitté sa maison afin d’éviter de la voir démolie.
Ce n’est que plus tard qu’une vidéo révélant le mensonge israélien a été rendue publique : le choc avec le véhicule s’est produit parce que le conducteur avait perdu le contrôle du véhicule, après avoir été abattu.
Dans un discours prononcé aux Nations Unies en 2014, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré: « Le Hamas est ISIS et ISIS est le Hamas. » Il a fait cette déclaration, alors que ces deux organisations sont très différentes au point de s’affronter dans la doctrine, la juridiction, et la pratique.
Au cours de la même année, un rapport de la UN Disengagement Observer Force (FNUOD) a révélé qu’Israël avait collaboré avec des groupes djihadistes salafistes sur les hauteurs du Golan; cette collaboration ne se limitait pas à offrir une aide médicale aux blessés de Jabhat AlNusra. Bien au contraire, des reportages auraient fait état de transferts de matériels non spécifiés d’Israël aux Syriens de Jabhat AlNusra, ainsi que d’incidents où des soldats israéliens auraient laissé le passage à des Syriens de Jabhat AlNusra qui n’étaient pas blessés.
Encore plus frappant dans ses implications, en avril 2017, Bogie Yaalon, ancien ministre de la Défense israélien, a même évoqué une possible collaboration avec ISIS. Il a déclaré: « Les tirs proviennent parfois de régions sous le contrôle du régime syrien. Mais quand il arrive que le tir se produise depuis des positions de l’Etat islamique, celui-ci s’est immédiatement excusé.»
On ne s’excuse pas auprès d’un ennemi supposé. Nous nous demandons donc si ISIS ne considère pas Israël comme son ami.
Discours transjihadiste sur la Palestine
Des groupes comme Al-Qaïda et Daesh, qui utilisent la terreur au nom de l’islam, sont également généreux dans l’utilisation de la Palestine dans leur rhétorique. Ces groupes ont rarement un sentiment authentique à l’égard de la Palestine; ils l’invoquent en raison de la légitimité de la cause palestinienne et de sa popularité parmi ceux qui sont la cible de la propagande du djihad transnational.
Selon le récit de Lawrence Wright sur l’ascension d’Oussama ben Laden, sa mère a observé qu’Oussama avait cessé de regarder des films occidentaux à l’âge de 14 ans. Elle l’a décrit comme inquiet, triste et frustré par la situation en Palestine, devant la télévision et les reportages.
Thomas Hegghammer et Joas Wagemakers, auteurs d’une étude réalisée en 2013 et intitulée «L’effet de la Palestine dans le mouvement du djihad transnational» ont révélé que les Palestiniens ne sont pas surreprésentés dans Al-Qaïda, ni au niveau de leurs dirigeants, ni au niveau de leurs partisans. Abdallah Azzam est le seul, sur les trois idéologues « djihadistes » palestiniens existants dans Al Qaida, à se concentrer sur la Palestine.
Les autres, Al-Maqdisi et Al Falastini, considèrent que le nationalisme palestinien est antagoniste avec l’objectif de créer un État islamique. Dans la déclaration fondatrice «Le Front islamique pour le djihad contre les juifs et les croisés» (février 1998), la Palestine était mentionnée comme le troisième problème justifiant le djihad transnational contre les Américains, après la question de la présence militaire américaine en Arabie saoudite et les sanctions contre l’Irak. La déclaration met en avant un intérêt religieux, plutôt qu’humaniste, pour la Palestine, déclarant: « Si les objectifs des Américains dans ces guerres [du Moyen-Orient] sont religieux et économiques, ils servent alors les intérêts de l’État juif et détournent l’attention de son occupation de Bayt al-maqdis (le nom musulman de Jérusalem) et de ses meurtres de musulmans ».
La Palestine n’est que l’une des nombreuses questions soulevées pour convaincre les musulmans de se joindre au djihad, ce qui en général est provoqué par les atrocités bien connues et les tensions politiques dans les territoires occupés. La cause palestinienne a été évoquée non seulement pour condamner l’oppression israélienne, mais aussi pour critiquer la politique palestinienne – en particulier lorsque le Hamas a décidé de se joindre aux élections palestiniennes en 2006. Par exemple, en 2006, Al Zawahiri, chef d’Al Qaïda a déclaré: « La Palestine est sous l’occupation et sa constitution est faite de main d’homme et païenne, et l’islam n’a rien à voir avec cela », reprochant au Hamas d’avoir participé aux élections palestiniennes. En mars 2007, il a réitéré ses critiques, affirmant que « les dirigeants du Hamas ont vendu la Palestine et qu’ils l’avaient vendue précédemment, en refusant de se référer à la charia comme source de juridiction ».
La Palestine dans le discours de Daech
Le discours de Daesh sur la Palestine est moins élaboré que celui d’Al Qaeda. Sont souvent utilisées des images représentant les mosquées Al-Aqsa et du Dôme du Rocher dans leurs vidéos, en particulier dans un contexte d’affirmations de plus en plus fréquentes parmi une fausse élite intellectuelle pro-régime de divers pays arabes qui soulève des doutes quant à la revendication musulmane de Jérusalem. Daesh peut aussi attribuer à ses dirigeants des pseudonymes tels qu’Al-Maqdisi ou Al-Falastiny, suggérant une origine littérale ou un lien émotionnel avec Jérusalem et la Palestine.
En octobre 2015, Daesh a publié des vidéos sur les attaques au couteau et suggérant aux Palestiniens de leur expliquer comment le faire plus efficacement. Comme les Israéliens, ils font également de fausses déclarations sur les attaques de « loups solitaires » par des adolescents Palestiniens, contre toute évidence. Comme Al-Qaïda, ils s’en prennent à la manière dont leur cause est défendue par les Palestiniens: «Votre lutte ne concerne pas la terre, mais le juste contre le faux. C’est une question de religion ». Ils publient des vidéos où l’on voit brûler le drapeau palestinien.
La réaction de Daesh à la décision de Trump de déplacer l’ambassade américaine à Jérusalem a été tardive et dénuée de pertinence; dans un éditorial paru dans la lettre d’information d’Al-Naba, ils ont profité de l’occasion pour reprocher à d’autres groupes islamistes leurs « déclarations hypocrites et égoïstes ».
La dimension universelle de la cause palestinienne
L’historien britannique Arnold Toynbee a déclaré: « La tragédie en Palestine n’est pas seulement locale; elle est une tragédie pour le monde, car c’est une injustice qui menace la paix du monde ».
La cause palestinienne a effectivement des échos universels, non seulement à cause de la valeur religieuse de la Terre sainte, mais aussi parce que la Palestine est le lieu d’un conflit actuel, concret et prolongé entre l’Occident, l’impérialisme dominant et le Sud et l’ « Orient ».
Le rapport de force qui se manifeste dans l’occupation militaire de la Palestine est une partie importante de la structure psychologique et sociale de nombreuses personnes sur la planète, et la signification symbolique de la résistance palestinienne à l’occupation pourrait potentiellement libérer de nombreux peuples de leur oppression immédiate chez eux.
Dans le contexte de cette prise de conscience mondiale, il est peut-être inévitable qu’il y ait toujours eu une fausse représentation, dangereuse et violente, de la détresse palestinienne, de l’Armée rouge japonaise (1970) aux groupes djihadistes.
La réaction palestinienne et arabe aux revendications djihadistes
Les groupes djihadistes mondiaux n’ont absolument rien apporté à la résistance palestinienne légitime face à l’occupation. La raison de cette incompatibilité est que les griefs, le récit et la résistance des Palestiniens sont entièrement humains, fondés sur des droits de l’homme universellement reconnus, et émergent d’une réalité politique brutale – et non d’une promesse reçue de Dieu.
Il n’est pas surprenant que les groupes djihadistes reçoivent peu de soutien populaire en Palestine et parmi les Arabes en général. Les Palestiniens ne partagent pas leur idéologie politique et ne pratiquent pas leurs tactiques de guerre, car elles impliquent de graves violations des droits de l’homme. Le sondage d’opinion publique palestinien, réalisé en 2015 par le Centre palestinien pour la recherche en politiques et enquêtes (PSR) en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, a montré qu’une écrasante majorité (91%) pense que l’État islamique est un groupe radical qui ne représente pas le véritable islam.
En 2018, l’Arab Opinion Index publié par le Centre arabe pour la recherche et les politiques à Doha (Qatar) a révélé les résultats suivants: presque tous les répondants (98%) ont indiqué connaître l’existence de l’État islamique et une majorité écrasante (92%) en avaient une vision négative, 2% exprimant une vision « positive ». Fait intéressant, dans l’optique favorable, les réponses n’avaient pas trait à la religion: les répondants qui s’identifiaient comme «non religieux » étaient tout aussi susceptibles d’avoir une opinion favorable de Daesh que ceux qui s’identifiaient comme « très religieux! ».
Les chercheurs ont conclu que les attitudes publiques par rapport à Daech dépendent de considérations politiques actuelles et ne sont pas motivées par la religion. Lorsqu’on leur a demandé de déterminer quels facteurs pourraient amener les citoyens des pays arabes à rejoindre Daech, 42% d’entre eux ont déclaré l’instabilité politique dans leur pays d’origine, 24% la situation économique et 6% des situations sociales telles que l’inégalité, la marginalisation et l’exclusion sociale. Un autre segment de 18% a cité le «lavage de cerveau» et la «propagande», tandis que 6% ont décrit la possibilité de combattre des puissances étrangères et / ou des milices sectaires en Syrie et en Irak. 29% des personnes interrogées pensent que l’existence de ce groupe résulte de conflits internes au Moyen-Orient, contre 59% qui l’attribuent aux politiques de puissances étrangères.
Lorsqu’on leur a demandé de suggérer le meilleur moyen de lutter contre Daesh, la résolution du conflit palestinien s’est classée en troisième position parmi les cinq réponses les plus fréquemment citées: les moyens militaires (18%), la fin de l’intervention étrangère dans les pays arabes (17%), la résolution du conflit palestinien (13 %), le soutien aux transitions démocratiques (12%) et la solution des problèmes économiques (9%).
Au début de 2018, Daesh a publié une vidéo de 22 minutes décrivant la guerre contre le Hamas et traitant ses combattants comme des « apostats ». À la fin de la vidéo, Hamza Zamli, un combattant de Daesh, a demandé à un autre combattant masqué d’exécuter un prisonnier du Hamas à genoux, Musa Abu Zamt. La vidéo met en lumière une féroce hostilité entre Daesh et le Hamas; le public palestinien a généralement compris que Daesh n’était qu’un outil de plus pour réprimer la résistance palestinienne.
Le Hamas se distingue également des djihadistes salafistes. Après l’assassinat – dans un attentat-suicide salafiste – de Nidal Ja’afri, membre de l’aile militaire du Hamas à la frontière égyptienne en août 2017, le Hamas a qualifié les vues salafi-djihadistes d’ « idéologie perverse » et « d’implant étranger ».
Le Hamas se voit faisant face à au moins deux adversaires: Israël et le djihad salafiste, ce dernier essayant « de déplacer la boussole du saint djihad contre les occupants sionistes ». L’État islamique a accusé le Hamas d’avoir abandonné la voie islamique, de capituler devant la tyrannie et de se concentrer exclusivement sur la bande de Gaza, abandonnant ainsi le reste de la Palestine. L’État islamique est même allé jusqu’à appeler ses partisans à agir contre le Hamas et ses soutiens, une déclaration appuyée par le Mufti de l’organisation du Sinaï, Qazem al-Azawi.
Les points communs entre l’État juif et l’État islamique
On peut s’attendre à ce que les Palestiniens éprouvent de la répulsion à l’égard de Daech, en raison de la similitude des objectifs et des méthodes entre Daesh et l’État exclusivement juif créé en 1948.
J’avais fait cette comparaison dans un précédent article « In the Aftermath of Paris, the Israeli Way is Not the Answer » : « Daesh et ‘l’État juif’ ont tous deux été créés à la suite d’horribles massacres, laissant derrière eux une population de réfugiés. Les deux affichent des ambitions expansionnistes. La stratégie de Daesh est d’attaquer l’Occident dans le but de provoquer une discrimination supplémentaire à l’égard des musulmans occidentaux afin de les faire sortir de la ‘zone grise’. Le Mossad d’Israël était derrière des attaques terroristes contre des Juifs en Irak, en Égypte et au Maroc dans le but de les inciter à s’installer en Israël. De même, l’opération Sushana, au cours de laquelle des espions israéliens ont planifié des attentats à la bombe contre des juifs égyptiens; l’attaque israélienne délibérée et soutenue par des avions et vedettes à moteur contre l’USS Liberty, qui a coûté la vie à 34 membres d’équipage et en a blessé 171 autres, ainsi que diverses opérations menées sous faux pavillon dans le monde entier sont d’autres exemples de crimes odieux commis par des Israéliens et qui ont été dénoncés par ailleurs. »
Et pourtant, les djihadistes salafistes partagent avec les sionistes d’aujourd’hui la délégitimation du récit nationaliste palestinien et le ciblage des combattants de la résistance palestinienne. Tous deux défendent la suprématie religieuse sur les valeurs fondamentales de la société, les principes de la démocratie et les droits de l’homme universels.
Combattre le psychologique et le contextuel
L’engagement envers le djihadisme salafiste est un processus individuel de développement de convictions, de croyances, d’émotions et de comportements extrémistes, mais il ne se développe pas uniquement dans l’univers mental. Il est influencé par un contexte sociopolitique. La recherche et les interventions sont jusqu’à présent centrées sur « l’esprit des djihadistes ». Discrimination, crises socioéconomiques, répression politique et blocage des changements politiques et sociaux voulus par des moyens non violents ébranlent les convictions des gens en matière de droits de l’homme et de démocratie. Ces pressions créent une ouverture pour certaines personnes vulnérables et réceptives, pour s’engager dans une pensée binaire, absolutiste et une perception de supériorité du groupe. Ces distorsions cognitives servent à résoudre leurs sentiments personnels d’incertitude, d’absence de sens, de manque d’objectifs dans la vie et le sentiment subjectif d’une vision du monde fragmentée.
Nous ne pouvons sous-estimer l’effet de l’attaque sur les organisations politiques islamiques modérées telles que les Frères musulmans, pour comprendre la radicalisation de certaines personnes au sein de notre jeunesse musulmane. C’est à ces moments de vulnérabilité maximale que le djihadisme salafiste lance un appel aux personnes privées d’identité pour leur proposer une « solution différente ». L’identification dans un groupe résout le problème de l’incertitude et du doute de soi, décrit par Tajfel (1979).
À l’instar de quelques autres pays occidentaux qui soutiennent également les régimes arabes oppressifs et diabolisent les groupes islamistes modérés, la France s’efforce aussi de son côté de délégitimer les efforts pour défier le sionisme de manière idéologique. Deux mois après avoir prêté serment, le président français a déclaré: « Nous ne céderons pas à l’antisionisme, car il s’agit d’une forme d’antisémitisme réinventée ». En février dernier, le président français a déclaré qu’il envisageait de faire avancer un projet de loi assimilant l’antisionisme au crime d’antisémitisme. L’ex-Premier ministre Manuel Valls a ajouté: « Il existe au coeur même de l’Islam cette maladie qui dévore l’islam, qui est l’antisémitisme, la haine d’Israël »!
La France a également utilisé la loi Lellouche, qui interdit la « discrimination » fondée sur l’origine nationale, pour restreindre le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions), une organisation de la société civile internationale dirigée par des Palestiniens et qui s’emploie à mettre fin au soutien international à l’oppression israélienne, et à faire pression sur Israël pour qu’il se conforme au droit international.
En janvier dernier, Paul Furia, porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, a déclaré que « l’appel au boycott d’Israël est illégal en France ». Plusieurs décisions de la plus haute juridiction pénale (la Cour de cassation) ont confirmé que l’appel au boycott enfreignait la loi et constituait une incitation à la discrimination ou à la haine fondée sur l’origine nationale ou la religion. Mais ce n’était pas la position du gouvernement français concernant le boycott de la Russie à cause de l’Ukraine.
Comme exclure les islamistes modérés de la vie politique dans le monde arabe, délégitimer la solidarité avec la Palestine en France et répandre l’islamophobie entraînent le danger de pousser les gens vers le radicalisme. Toutes ces erreurs aboutissent entre les mains des groupes djihadistes. Le manifeste de 2005 de l’idéologue djihadiste Abu Musab al-Suri (L’appel à la résistance islamique mondiale) affirmait que mener des attaques sur le sol européen, le « sous-ventre mou de l’Occident », mettraient en évidence les politiques ultra-droites et convaincraient les musulmans européens que la coexistence dans un continent raciste et xénophobe est impossible.
La responsabilité morale des Palestiniens
Les personnes impliquées dans la résistance palestinienne ont un profil psychologique différent de celles impliquées dans les groupes djihadistes transnationaux: contrairement à ces derniers, ce ne sont pas d’ex-criminels coupables de crimes civils et ils ne sont pas motivés par des théories de suprématie, une pensée dichotomique ou de prétendues promesses de Dieu. La résistance palestinienne accepte la démocratie, le pluralisme, la responsabilité politique et le concept d’un Etat civil.
En Palestine occupée, la résistance palestinienne s’efforce de demander des comptes aux responsables de leur oppression politique, et de ne pas nuire à la tierce partie innocente.
La résistance palestinienne a pour objectif de minimiser les occasions d’offense, d’émettre une réaction mesurée aux attaques lancées contre eux et de rechercher des occasions de résolution des problèmes et de décréter des trêves. Le Hamas n’a ni ciblé ni réclamé de cibler une entité autre que l’occupant israélien. Ils sont intervenus pour mettre fin à toute agression contre des étrangers, comme dans le cas du journaliste britannique Alan Johnston, et ont su éviter tout mauvais traitement à des prisonniers israéliens tels que Gilad Shalit.
Les Palestiniens ont la responsabilité morale de se préoccuper de la façon dont leur cause est exploitée en dehors de la Palestine.
Les événements en Palestine ont suscité chez des non-Palestiniens des griefs fondés sur la solidarité et qui les incitent à être des agents du changement. Les Palestiniens ont inventé des lieux et des opportunités de résistance globale au sionisme et de solidarité avec les Palestiniens, qui ne sont en conflit ni avec les droits de l’homme universels ni avec la culture de la démocratie, telle que stipulée par le Conseil de l’Europe en 2016. Certains de ces mouvements de résistance sont le BDS, We Are All Mary, et les réseaux de Santé mentale.
Les Palestiniens peuvent fournir une clarification conceptuelle et un militantisme alternatif, faisant face à des décisions injustes mais par des voies pacifiques d’engagement civique à l’extérieur de la Palestine. Cet activisme englobe les décisions politiques qui empêchent la radicalisation et permettent une véritable acceptation de soi et de l’autre. Cette forme d’activisme a pour effet d’augmenter, plutôt que de diminuer, le sentiment d’appartenance à un groupe humain plus large de citoyens socialement et moralement responsables.
Samah Jabr est psychiatre et psychothérapeute à Jérusalem, et Professeur adjoint de clinique, Université George Washington. Elle milite pour le bien-être de sa communauté, allant au-delà des problèmes de santé mentale. Elle écrit régulièrement sur la santé mentale en Palestine occupée.
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