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Hommage aux soldats musulmans morts pour la France

Hommage aux soldats musulmans morts pour la France

Discours de Mohammed MOUSSAOUI
Président du CFCM
Douaumont – 29 juillet 2020

Monsieur le Ministre,
Madame la Ministre,
Mesdames, Messieurs,

Pour ce premier contact du terrain avec la composante musulmane de France, vous avez choisi, Monsieur le Ministre, ce rassemblement autour de ce lieu de mémoire, en hommage aux soldats musulmans morts pour la France.

En décembre 2008, un jour de la fête de l’Aïd El Adha, plus de 500 tombes de soldats musulmans pour la France de la nécropole de Notre Dame de Lorette ont été profanées. Rendant hommage à ces soldats, le président de la République, M. Nicolas Sarkozy, après avoir rappelé ce qu’être français, « Etre Français, ce n’est pas seulement un privilège de la naissance, ce n’est pas seulement une nationalité qu’on peut acquérir, c’est un idéal qui oblige chacune et chacun d’entre nous (…) Tous les hommes qui reposent dans cette Nécropole, tous ces hommes désormais irrémédiablement unis dans la mort, ont fait le sacrifice de leur vie pour que perdurent au-delà de leur existence la France et les principes de notre République, Sachons donc, quelles que soient nos convictions, quelles que soient nos croyances, quelles que soient nos origines, nous montrer dignes de leur exemple et de leur courage ».

Pour le centenaire de l’Armistice de 1918, le Président de la République, Emmanuel Macron, avait déclaré dans son discours mémorable, devant plus de 70 chefs d’Etat et de gouvernement : « Souvenons-nous ! N’oublions pas ! Car le souvenir de ces sacrifices nous exhorte à être dignes de ceux qui sont morts pour nous, pour que nous puissions vivre libres ! Souvenons-nous : ne retranchons rien de ce qu’il y avait de pureté, d’idéal, de principes supérieurs dans le patriotisme de nos aînés.

 Cette vision de la France comme nation généreuse, de la France comme projet, de la France porteuse de valeurs universelles, a été dans ces heures sombres exactement le contraire de l’égoïsme d’un peuple qui ne regarde que ses intérêts. Car le patriotisme est l’exact contraire du nationalisme : le nationalisme en est la trahison. En disant « nos intérêts d’abord et qu’importent les autres ! », on gomme ce qu’une nation a de plus précieux, ce qui la fait vivre, ce qui la porte à être grande, ce qui est le plus important : ses valeurs morales », avait martelé le président de la République.

Au moment où les promoteurs de la division et de la haine sont à l’œuvre, il est important que nous célébrions ces symboles de notre unité et de notre cohésion.

Témoins et acteurs de notre passé, ils nous invitent à nous souvenir et à lire ce passé au temps présent. Ils nous invitent à entretenir leur mémoire, en continuant à faire vivre les valeurs pour lesquelles ils ont consenti le sacrifice de leur vie.

Porteurs d’uniformes, ils étaient également porteurs de valeurs et de principes, et mus par leur foi qui les invitait à combattre l’injustice : « Si Dieu ne repoussait pas certains peuples par d’autres, des ermitages auraient été démolis, ainsi que des synagogues, des oratoires et des mosquées où le Nom de Dieu est souvent invoqué » (Coran 22 : 40).

Le président Jacques Chirac, qui a inauguré le 25 juin 2006 ce mémorial dédié aux 70 000 soldats musulmans tombés à Verdun, morts pour la France entre 1914 et 1918, avait rappelé que : « Ces hommes se battaient pour leur terre, ils se battaient aussi pour leurs valeurs, celles de la République. (…) Ces hommes qui se battaient avec acharnement n’étaient pas mus par le nationalisme, ni par la haine de l’ennemi. Leur âme n’était pas militariste. Leur âme était patriotique. Elle était républicaine (…)

L’armée de Verdun, c’était l’armée du peuple, et tout le peuple y prenait sa part. C’était la France, dans sa diversité. (…) Durant cette interminable année 1916, toute la France était à Verdun, et Verdun était devenue toute la France », a rappelé le président Chirac.

Le président du CFCM, Docteur Dalil Boubakeur avait, pour sa part, déclaré à cette occasion : « C’est là que l’Islam de France est né. (…) Il a pris racines dans les plaines labourées de Verdun, Douaumont, Fleury où les tirailleurs algériens, tunisiens, sénégalais et les tabors marocains ont défendu dans les tourments la France ».

L’imam Ahmed Soukayrij dans le premier prêche du vendredi prononcé à la Mosquée de Paris, avait appelé les musulmans de France à lancer les bases d’une spiritualité qui met l’humain au centre : « Le véritable croyant est celui qui cultive l’Amour dans le cœur d’autrui sans distinction aucune et l’arrose de l’eau de l’humanité ».

Depuis, l’islam a pu pendant longtemps être pratiqué paisiblement en France par des milliers de croyants, sans que cela ne constitue un quelconque problème. Sa visibilité symbolisée par la Grande Mosquée de Paris n’a suscité aucun commentaire, sinon celui du représentant du gouvernement, Maurice Colrat, qui déclara lors de la détermination de la qibla (direction de La Mecque), en mars 1922 : « Quand s’érigera, au-dessus des toits de la ville, le minaret que vous allez construire, il ne montera vers le beau ciel de l’Ile-de-France qu’une prière de plus, dont les tours catholiques de Notre-Dame ne seront point jalouses. »

Monsieur le ministre, Madame la ministre, mes chers compatriotes,

Aujourd’hui, notre émotion est forte de nous retrouver, ici, dans ce cimetière militaire, partagés entre le souvenir de ces hommes qui ont enduré bien des privations et des souffrances pour que perdurent au-delà de leur existence des principes universels de paix et de justice, et la grande tristesse de voir leur mémoire et leur foi souillées, profanées par des individus sans conscience et sans morale.

Oui, nous sommes indignés par les actes odieux et abjects de ces criminels qui, au nom d’une lecture dévoyée de l’islam, ont lâchement assassiné des dizaines de nos concitoyens dont les enfants juifs du collège-lycée Ozar Hatorah, à Toulouse, et le père Jacques Hamel en plein office de prière et de recueillement dans son Église, à Saint-Etienne de Rouvray.

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De l’autre côté, nous assistons à une montée et à une banalisation du racisme, de l’islamophobie et de l’antisémitisme. L’attaque contre la mosquée de Bayonne, en octobre 2019, avait fait deux blessés graves. Des inscriptions racistes sur les cimetières et les murs des mosquées, comme celles découvertes récemment sur les murs de la mosquée d’Agen, sont l’expression apparente d’une idéologie qui a inspiré, n’ayons pas peur de le dire, le tueur de Christchurch en Nouvelle-Zélande. Celui qui a assassiné 51 personnes en pleine prière dans deux mosquées néo-zélandaises.

Dans un manifeste de haine intitulé « Le Grand remplacement », ce tueur reprend et s’inspire de l’idéologie de l’écrivain français Renaud Camus, que partageait déjà le meurtrier Breivik, auteur de l’attentat d’Oslo et de la tuerie qui avaient fait 77 morts en Norvège.

Plus récemment, des groupuscules extrémistes ont été neutralisés avant qu’ils ne passent à l’acte par nos forces de l’ordre, auxquels nous rendons un vibrant hommage et exprimons notre reconnaissance. Sans leur intervention efficace, nous aurions déploré de nombreuses victimes.

La lutte contre les extrémismes, tous les extrémismes, est l’affaire et la responsabilité de tous. C’est un combat de tous les instants, qui doit être mené avec grande détermination et sans relâche.

Monsieur le ministre, Madame la ministre, mes chers compatriotes,

Nommer la réalité d’une vision extrémiste se réclamant de l’islam par des raccourcis pourrait créer la confusion entre l’islam, religion de millions de Français, et des formes de dévoiement de cette religion. Ainsi, à l’instar des termes « christianisme » et « judaïsme », « l’islamisme », il n’y a pas longtemps, était synonyme de l’islam. Force est de constater qu’aujourd’hui, il est le titre d’une idéologie à combattre. Il ne faut pas sous-estimer cette distorsion du langage qui fait souffrir les musulmans.  

Au nom d’une idée dévoyée de l’identité française, certains ont collaboré avec l’ennemi pour déporter et exterminer des milliers de nos concitoyens juifs. Qui accepterait de nommer cette collaboration par un raccourci incluant le nom de la France ? Ce serait une offense insupportable pour tous les Français que nous sommes.

L’immense majorité des musulmans de France aspire à vivre sa spiritualité dans le strict respect des valeurs de la République et espère le faire dans l’indifférence et la banalisation, comme tous les autres citoyens. Ils souhaitent que leur pratique religieuse soit perçue comme un élément de leur liberté individuelle, plutôt qu’une source permanente de débats publics dont certains peuvent contribuer, malheureusement, à nourrir une forme de stigmatisation.

Le CFCM souhaite suivre cette voie, celle d’une pratique cultuelle et culturelle qui enrichit la France – notre pays, auquel nous sommes tant attachés -, en restant conforme aux idéaux de la République : la liberté, l’égalité, la fraternité, mais également la laïcité. Une laïcité qui n’est pas la négation des convictions religieuses, une laïcité qui garantit la liberté de croire comme celle de ne pas croire, une laïcité qui permet à tous les citoyens de pratiquer le culte de leur choix dans le respect de l’ordre public.

Les crispations et le repli sur soi peuvent nous empêcher d’avancer ensemble. Nous devons les combattre sans relâche. Notre mission commence dès l’école. Apprenons à nos enfants à mieux connaître leur Histoire, et cette Histoire-ci, celle des combattants musulmans morts en ce lieu pour La France et ses valeurs universelles. Apprenons-leur à être plus respectueux les uns envers les autres, car les différences et la diversité culturelles ou cultuelles offrent une belle ouverture sur le monde et sont une richesse inestimable pour l’avenir de notre pays.

Nous devons, également, nous montrer plus attentifs quant à la place et l’image que donnent les manuels scolaires de l’islam et des musulmans. Souvent les incompréhensions naissent d’une présentation tronquée ou erronée.

La France doit être fière de sa diversité culturelle et religieuse. Elle est le creuset qui unit et rassemble tous ses enfants autour d’un même idéal de liberté, d’égalité et de fraternité.

Puisse ces valeureux soldats reposer en paix,

Puisse Dieu bénir et protéger la France et le peuple Français.

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