in

Grèves de la faim et sommet mondial de l’information

Au moment où ces lignes seront publiées, les grévistes de la faim en Tunisie seront moins que huit, car leur santé se dégrade rapidement. Leur mouvement a débuté le 18 octobre dernier. Il compte bien se poursuivre jusqu’au 16 novembre, date d’ouverture du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI) qui se tient cette année en Tunisie. Les grévistes réclament le respect de la liberté d’association, la reconnaissance de tous les partis politiques, la liberté de la presse et la libération des prisonniers politiques.

Une bonne centaine de personnes se presse au premier étage d’un petit immeuble au 23 de la rue Mokthar Attia, en plein centre-ville de Tunis. Ce sont les locaux de l’avocat Ayachi Hammami. Il est membre de la section de Tunis de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’homme, et le défenseur de l’avocat Mohammed Abbou, lourdement condamné cette année pour avoir critiqué les conditions carcérales dans son pays. Ayachi Hammami a débuté le 18 octobre dernier une grève de la faim illimitée avec sept autres personnalités tunisiennes. La presse locale n’a pas encore soufflé un seul mot de cette action.

En effet, cette grève de la faim est embarrassante à plus d’un titre pour le régime du président Zine El Abidine Ben Ali. En premier lieu, elle éclate juste avant la tenue du Sommet mondial de la société de l’information (SMSI), qui se tient du 16 au 18 novembre à Tunis. La première phase de ce sommet, chapeauté par l’ONU, s’est déroulée à Genève en décembre 2003. Cette grève de la faim ne risque-t-elle pas, aux yeux de l’opinion mondiale, de reléguer dans l’ombre un sujet majeur : la gouvernance de l’Internet (actuellement aux mains des Américains) ?

Des millions d’Européens ne connaissent de la Tunisie que les plages de sable fin d’Hammamet et de l’île de Jerba. Huit grévistes de la faim viennent leur rappeler que la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’homme n’a pas pu tenir son congrès cette année, tout comme le syndicat indépendant des journalistes tunisiens, et que des détenus politiques croupissent depuis plus de dix ans dans des prisons, victimes de mauvais traitements. « Quand des films américains montrent Alcatraz, je regrette de ne pas y avoir été incarcéré ! J’ai passé dix ans dans les prisons tunisiennes de 1991 à 200. On vous suspend comme un poulet et vos bourreaux vous frappent la plante des pieds avec un bâton », dénonce Dilou Samir, membre de l’association internationale de soutien aux prisonniers politiques, et gréviste de la faim.

Ce jeûne collectif dérange le pouvoir tunisien pour une autre raison : il réunit des personnalités fort différentes, qui, habituellement ne s’entendent pas forcément entre elles. Qu’il s’agisse d’Hamma Hammami, porte-parole du Parti communiste des ouvriers de Tunisie (interdit), d’Ahmed Nejib Chebi, secrétaire général du Parti progressiste démocratique, une formation politique reconnue mais non représentée au parlement, ou de l’islamiste Dilou Samir. « Il faut que l’opinion internationale se rende compte que tout est verrouillé en Tunisie. Au niveau des libertés, la situation est pire qu’au Maroc, en Algérie, et même en Egypte », souligne un gréviste de la faim.

Publicité
Publicité
Publicité

« Je comprends parfaitement le souci des grévistes de la faim. Il n’y a pas de développement sain possible de la société de l’information sans liberté d’expression et respect des droits de l’homme. L’ambassade de Suisse à Tunis a d’ailleurs déjà pris ses dispositions afin de les rencontrer », déclare Moritz Leuenberger, le ministre suisse de la communication. Il doit participer le 16 novembre à ce sommet organisé alternativement par la Suisse et par la Tunisie. « La politique de la chaise vide n’aboutit à rien. C’est seulement en se rendant dans les pays ne respectant pas les droits de l’homme et en abordant directement ces questions que nous pouvons changer les choses », ajoute le ministre.

De nombreux diplomates se sont déjà rendus au chevet des grévistes de la faim, notamment américain, britannique, allemand, canadien, belge. Ils ont laissé entendre qu’ils n’enverraient pas au SMSI de Tunis de chefs de gouvernement ou de ministres de premier plan. Ces visites ont été utilisées par le pouvoir tunisien pour tenter de discréditer ces opposants. Lors d’une émission diffusée sur Al-Jazira, les grévistes ont été qualifiés de « minorité subversive vendue aux Américains et aux Britanniques » par un responsable tunisien parlant au nom du régime. Quant aux prisonniers politiques (ils seraient 5 à 600 actuellement), ils ont été présentés comme des « criminels de droit commun ».

Le correspondant en Tunisie de cette chaîne de télévision satellitaire arabe, Lotfi Hajji, participe à cette grève de la faim. Il est également le président du syndicat indépendant des journalistes tunisiens. « Non seulement on m’a retiré ma carte d’accréditation, m’empêchant de filmer et donc de travailler, mais on m’a pris également ma carte professionnelle de journaliste, que je possède depuis vingt ans », dénonce Lotfi Hajji. Il a tenu en septembre dernier une conférence au Club suisse de la presse à Genève pour dénoncer les atteintes à la liberté d’expression dans son pays.

Ian Hamel, Tunis

Publicité
Publicité
Publicité

Laisser un commentaire

Chargement…

0

C’est l’ensemble de la classe politique française qui se trompe…

Retour sur l’émission d’Arlette Chabot sur France 2