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Entretien avec Bernadette Sauvaget, auteure de “L’affaire Ramadan – Sexe et mensonges, la chute d’une icône”

A l’occasion de la parution de son livre « L’affaire Ramadan – Sexe et mensonges, la chute d’une icône », Bernadette Sauvaget, journaliste et réalisatrice de documentaires, connue en tant que spécialiste des questions de religion et de laïcité à Libération, a accepté de répondre aux questions d’Oumma.
Forte de sa connaissance de la sphère musulmane française, elle livre dans son dernier ouvrage les fruits de son enquête consacrée à l’islamologue genevois, particulièrement fouillée, rigoureuse et étayée par de nombreux témoignages, dont certains inédits de victimes présumées, qui pourrait se résumer en une expression tristement éloquente : Grandeur et Décadence.
Alors qu’il reviendra à la justice, et à elle seule, de rendre son arbitrage dans cette affaire au fort retentissement, Bernadette Sauvaget s’est attachée à retracer la trajectoire de Tariq Ramadan, à analyser les raisons de sa fabuleuse ascension et de sa déchéance, à cerner l’homme, ses talents innés, mais aussi ses dérives et ses failles, qui se cachait derrière le célèbre « leader politico-religieux » écouté religieusement pendant deux décennies. Une icône portée au pinacle par les musulmans de France et d’ailleurs.
 
Avant le début des années 90, Tariq Ramadan était plutôt un militant tiers-mondiste. Il n’allait, dites-vous, s’imposer comme un leader politico-religieux qu’au début des années 90. Que s’est-il alors passé dans sa vie ? Est-ce que le clan familial lui a demandé de reprendre le flambeau pour devenir « la star de l’islam » ?
Il y a encore, je crois, des recherches à faire pour documenter le changement de trajectoire de Tariq Ramadan, au début des années 90.  Effectivement, il passe d’un engagement tiers-mondiste à un engagement qui lui permet de s’affirmer peu à peu comme un leader religieux de premier plan. Il est peu vraisemblable que l’entourage familial du théologien s’exprime là-dessus en ce moment. Cette question de ce changement d’orientation dans la vie de Tariq Ramadan appartient désormais, me semble-t-il, aux historiens. En tous les cas, elle est importante à éclaircir.
D’après mes informations, Tariq Ramadan commence à intervenir en France, à partir de la fin des années 80, au sein des cercles proches des réseaux fréristes. Ses premières conférences sont assez confidentielles, mais elles portent déjà sur les fondamentaux de sa pensée, à savoir la question des musulmans dans les sociétés européennes. Elles ont lieu bien avant ses premières apparitions publiques, au Rassemblement du Bourget en décembre 1993 et à la télévision en 1995. Au début de sa carrière en France, Tariq Ramadan est invité dans les cercles de la confrérie des Frères musulmans. Ce sont sûrement les connexions familiales qui l’ont favorisé.
Son cœur de cible était-il alors, comme vous l’écrivez, « cette seconde génération issue de l’immigration qui, à ce moment-là, est en quête identitaire et spirituelle, se cherche, et se sent de plus en plus discriminée » ?
Tariq Ramadan a indéniablement un grand flair politique. Avec son art de la rhétorique et sa pugnacité, c’est (ou c’était, je ne sais pas comment il faut le formuler) l’un de ses points forts. Pour son ascension, il a bénéficié d’un contexte favorable, mais qu’il a su mettre à  profit. Ce sont les réseaux lyonnais d’UJM (Union des jeunes musulmans) qui lui ont ouvert la voie, au début des années 90, pour s’installer sur la scène musulmane française. L’un de ses premiers compagnons de route, Abdelaziz Chaambi, qui a rompu avec lui il y a une dizaine d’années, m’a résumé cela dans une formule très parlante : « Nous étions en attente du messie ».
Ramadan va incarner une génération de jeunes musulmans qui se reconnaissent en lui et à qui il sait parler. Parce que justement, à ce moment-là, il y a changement de paradigme dans l’islam de France. Les deuxièmes générations s’affirment, mais sans trouver leur place dans les structures existantes. Elles se cherchent et cherchent à exister d’elle-même ; Tariq Ramadan sera, d’une certaine manière, leur porte-parole.
Dans l’affaire Ramadan, vous affirmez que « l’on peut difficilement évoquer une faute passagère, mais surtout qu’on ne peut renvoyer à l’espace privé un comportement en si flagrante contradiction avec les valeurs promues et défendues publiquement ».
Dans son livre Devoir de vérité, Tariq Ramadan affirme n’avoir de comptes à rendre, en ce qui concerne sa vie privée, qu’à Dieu et à ses proches. C’est peut-être un peu vite expédié ! Pour un leader religieux, la question se pose autrement. Quand on prêche le bien et le mal, la morale – il faut rappeler que Tariq Ramadan a beaucoup parlé et médité au sujet de l’éthique -, on se doit d’approcher l’exemplaire. Le théologien était en contradiction profonde avec ce qu’il prônait publiquement. C’est troublant, non ?
On ne peut évoquer une faute passagère, puisque les relations extra-conjugales ont concerné beaucoup de femmes et se sont étalées dans le temps. Le regard que je porte là-dessus n’est pas en soi moralisateur. L’opinion publique demanderait certainement des comptes à un leader écologique si elle apprenait qu’il avait des intérêts financiers dans l’entreprise Monsanto ? De mon point de vue, nous sommes dans la même configuration pour Tariq Ramadan, une distorsion profonde entre un discours public et une éthique personnelle…
Le charisme, l’audience et l’influence de Ramadan ont-ils dissuadé les femmes de parler, et a fortiori de porter plainte contre lui ? Notamment, comme vous l’écrivez, « d’autres femmes musulmanes qu’il a conquises pour avoir avec elles des pratiques sexuelles hors normes? »
Malgré mes tentatives, il a été très difficile de rencontrer des femmes, surtout des musulmanes pratiquantes, qui avaient eu des liaisons avec Tariq Ramadan. Souvent, elles se sont mariées, ont eu des enfants. Elles ne voulaient pas s’exposer de peur de l’opprobre. Je crois réellement qu’il existe une omerta dans cette affaire. Parmi les féministes musulmanes, il y a eu, ce qu’on appelle, un conflit de loyauté, à la fois une volonté de dénoncer un comportement patriarcal et machiste, mais en même temps une grande réserve, une profonde réticence à s’exprimer publiquement pour ne pas alimenter ce qu’elles ont considéré comme un climat d’islamophobie.  Elles ont notamment mis en cause la presse mainstream. Je le regrette beaucoup. Mais je respecte leur point de vue. 
De façon générale, je trouve qu’une parole de réconfort, de solidarité avec ces femmes qui ont été séduites et trompées par Ramadan, a manqué dans les milieux musulmans. Elles n’ont eu aucun soutien, aucune parole publique de consolation. J’espère qu’elles viendront !
Vous rapportez les propos de ceux qui l’ont très bien connu, qui ont collaboré avec lui depuis le début. Pour ces proches parmi les proches, Tariq Ramadan n’a jamais été « porteur d’un projet collectif ». Il est au contraire décrit comme étant dévoré par l’ambition et soucieux d’agir au profit de sa seule carrière.
Pendant mon enquête, ce qui m’a frappé, c’est que Tariq Ramadan est un homme, au fond, très solitaire. Il a eu des alliés (qui l’ont souvent abandonné en cours de route et pour beaucoup, définitivement après les révélations sur sa double vie), des admirateurs mais pas d’amis, à l’exception peut-être du chercheur François Burgat.
Mon travail est un travail de journaliste. C’est aux historiens d’examiner de près cette question quand ils auront accès à d’autres sources que les miennes. Il peut y avoir eu différentes phases dans la trajectoire de Ramadan. On ne peut pas l’exclure. Mais ce qui est évident, c’est que l’ambition internationale de Tariq Ramadan s’affirme au début des années 2000. Il va mettre une immense énergie pour parvenir à décrocher un poste universitaire. Cette ascension, c’est évident, n’a pu se faire sans l’appui du Qatar et d’un vieil ami de la famille Ramadan, Youssef al-Qaradawi.
Sur sa double vie, vous parlez d’une sorte « d’Omerta autour de Tariq Ramadan ». Sa famille, et particulièrement son frère Hani qui fait bloc derrière lui, étaient-ils parfaitement au courant de ses moeurs et de sa duplicité ?
« Parfaitement au courant », pour reprendre votre formule, je ne sais pas… Mais son entourage familial a été alerté, oui, sur la double vie qu’il menait. Et à plusieurs reprises.
Vous évoquez des plaintes pour « viols », notamment des deux premières plaignantes, dans l’ordre chronologique : Henda Ayari et la dénommée « Christelle ».  Selon vous, un procès en cour d’assises est-il inévitable ou pas ?
Je ne sais pas. Cette affaire a connu beaucoup de rebondissements et elle peut en connaître bien d’autres. Quoi qu’il en soit, ce sont les trois juges d’instruction en charge du dossier qui trancheront, à la fin de leurs investigations, la question : un non- lieu ou un renvoi devant le tribunal. Cette décision n’interviendra pas avant plusieurs mois, sans doute pas avant l’été 2020. S’il était renvoyé devant la cour d’assises, Tariq Ramadan peut, lui, faire appel. En France, les tribunaux sont très encombrés et un éventuel procès ne devrait pas avoir lieu avant 2021.
Vous avez écrit récemment un article dans Libération, dans lequel vous affirmez que le retour de Tariq Ramadan sur la scène musulmane a suscité de vives réticences et critiques dans ces mêmes milieux musulmans. Pensez-vous qu’il peut reconquérir son public et demeurer un acteur important de l’islam en France, ou bien qu’il est définitivement discrédité ? 
Au-delà du volet judiciaire, les révélations sur la double vie de Tariq Ramadan l’ont profondément discrédité dans la communauté musulmane. Par le biais d’un communiqué, Musulmans de France a d’ailleurs rompu officiellement avec lui. Il est peu intervenu dans les médias communautaires qui ne l’ont pas invité à s’exprimer après la parution de son livre. Selon le chercheur Romain Caillet, Tariq Ramadan a sollicité des responsables de centres de formation pour collaborer avec eux. Visiblement, il y a eu une fin de non-recevoir.
Dans leur grande majorité, il me semble que les milieux musulmans préféreraient que Tariq Ramadan soit plus discret. Son retour sur la scène musulmane me paraît, de fait, compromis, du moins à court et moyen terme. Au-delà, l’avenir de Tariq Ramadan est suspendu aux décisions que prendront les justices suisse et française à son égard.
Propos recueillis par la rédaction Oumma
 
« L’affaire Ramadan – Sexe et mensonges, la chute d’une icône », un livre passionnant, paru chez Fayard, que nous vous recommandons particulièrement.

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14 commentaires

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  1. A quand un entretien contradictoire avec le principal intéressé auteur de “Devoir de vérité” ?
    A moins qu’il soit censuré ici comme à la Fnac qui expose fièrement en rayon le pamphlet pornographique que vous présentez ?
    Etes-vous toujours un site d’information portant un regard musulman sur l’actualité et proposant des dossiers sur l’Islam et le monde musulman ?

  2. Encore un bouquin pour trouver matière à hisser son auteure dans les cieux médiatiques.
    Encore une erreur de croire et de faire croire que le dénommé a été ou a pu être un leader charismatique en islam quoique mais, ça n’a jamais été le cas.
    Son truc à lui fut bien d’être un tribun hors pair avec un vocable digne d’un grand auteur et mieux d’un homme politique sorti tout droit des bancs de l’Ena. Il a tenu tête à plusieurs de nos dirigeants, Sarkosy, Copé, Ferry mais a cloué le bec également à ces mêmes intellectuels et autres journalistes, Fienkielkraut, Adler, Zemour, Fourest qui monopolisaient le temps et l’espace médiatique. Qui mieux que lui à l’époque pour permettre aux populations de seconde zone de (re)sortir de l’anonymat autrement que par les sempiternelles séquences de désolations et autres révoltes qui fait le lit des extrêmes ou encore par quelques cancres choisis pour leur franc-parler mais qui sont incapables d’aligner trois mots sans vociférer quelques noms d’oiseaux et le tout pour montrer l’état de décrépitude des banlieues que réclament les populistes en mal de notoriété? Même le maire de Vénissieux, André Gerin communiste jusqu’au bout du porte-monnaie, y est allé de son expérience en acceptant la mission parlementaire que lui confiait Nicolas Sarkosy, un président de droite et a des lieues de répondre aux attentes sociales d’une idéologie comme la sienne, c’est dire. Qui se souvient des mots durs et méchants de De Villiers, de Jean Glavany, de Paul Quilès, de Jean-François Copé de Nicolas Sarkosy et j’en passe, portés à l’endroit du tribun parce qu’il contrecarrait l’ordre établi?
    Et qu’apprend-on au final que le sieur et accusé de viol. Il est pervers, mauvais, perturbé, détraqué, porté sur la chose maladivement, ok , soit, mais qu’il soit jugé, condamné et puni mais en aucun cas, je dis bien en aucun ne sera préjudiciable à l’islam( et puis quoi encore) . De grâce cessez de dire qu’il a été un leader ou que sais-je un grand ouléma venu prêcher la parole sainte et qu’en “perdant” Tariq Ramadan, la foi du musulman s’en trouvera ébranlée à jamais. L’islam est l’ennemi du capitalisme et du libéralisme, on le sait tous désormais aujourd’hui : il faut « tuer » le soldat islam, voilà tout, pour garder la mainmise sur les affaires du monde(économique) ! Nos sacro-saintes valeurs avanceront ils, ces mêmes valeurs qui pousseront des gars comme le roy du couscous gelé à bouffer de l’anti-dépresseur non remboursé par la sécu et qui sera surtaxé pour payer le train de vie de nos dirigeants sans mots dire..
    Même si nous le perdons ici(en France j’entends) Tariq Ramadan reste à mes yeux un homme politique brillant, doté d’une grande intelligence et d’un sang-froid à faire pâlir les orateurs et autres professionnels de la politique qui cherche à se frayer un chemin qui mène aux ors de la République, avec ses travers et ses faiblesses hélas, mais il n’est certainement pas un homme de science et encore moins un savant de l’islam (quoique son érudition ou sa filiation mais…) qu’on tente vainement de décrire et que l’islam aurait perdu.
    Que nenni, à malheur quelque chose est toujours bon !

      • Vous êtes sérieux ? En quoi les turpitudes de ce type seraient préjudiciables à l’Islam. Il n’est pas l’Islam et ne représente pas l’Islam. Dans l’Islam sunnite il n’y a pas de clergé “inspiré par le Saint Esprit”. Un musulman ne représente que sa propre personne.
        De plus, une grande majorité de musulmans dont je fait partie n’a eu et n’aura jamais une quelconque adhérence à son discours.

    • @rachid zani : “L’Islam est l’ennemi du capitalisme..” Et pourtant en période de Ramadan, les prix de la nourriture explosent, ça devient plus du business qu’autre chose. Quant au voyage à la Mecque, vu les prix pratiqués, si ce n’est pas du capitalisme, qu’est-ce d’autre ? …

  3. “Dans son livre Devoir de vérité, Tariq Ramadan affirme n’avoir de comptes à rendre, en ce qui concerne sa vie privée, qu’à Dieu et à ses proches.”
    Mais nous sommes d’accord, Tariq.
    On regrette juste que ta femme ait utilise ta supposée vie d’individu droit pour soutirer un argent que tu ne sembles vouloir rendre !
    Bref, c’est quand ça t’arrange ! Si c’est pour du pognon, tu parleras de ta “vie” ; mais si c’est à ton détriment, motus et bouche cousue !
    ZAHRA-MEE SARRIETTE, TU POURRAS TRANSMETTRE ? sûrement que tu es dans le noyau dur des soutiens acharnés…

  4. Un
    « Cette question de ce changement d’orientation dans la vie de Tariq Ramadan appartient désormais, me semble-t-il, aux historiens. »
    Deux
    « Mon travail est un travail de journaliste. C’est aux historiens d’examiner de près cette question quand ils auront accès à d’autres sources que les miennes. »
    Et moi qui me demandais à quoi est-ce que les historiens pouvaient bien employer leur temps et leur énergie nous laissant sans rien de solide sur la période omeyyade entre autres, suis-je bête.
    A la une d’Historia :
    … Désormais pour le marbre, ce témoignage crucial –recueilli par l’éminent professeur émérite ettasoeur elbalebeur -, d’un compagnon de cellule de Dodo la saumure qui le tiendrait lui-même d’une de ses protégées, DS le cas aurait bien un tatouage là où je pense, si si… Même que
    Ne manquez pas dans le numéro de la semaine prochaine,
    L’abstract de la thèse d’Etat du Pr Tariqdanstoussesetats décortiquant pour nous l’influence indéniable du très mal nommé amour platonique sur le succès des startups de la ceinture de chasteté de la fin du moyen-âge et de l’âge bête.

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