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Décoloniser l’humanitaire : l’expérience de l’organisation palestinienne Sa7ten à Gaza

Née à Paris en 2023, l’initiative Sa7ten s’impose aujourd’hui comme une forme d’aide humanitaire profondément ancrée dans la solidarité palestinienne et la décolonisation des pratiques de terrain. Portée par des Palestiniens de la diaspora et une équipe locale à Gaza, Sa7ten agit à la fois pour répondre aux urgences vitales et renforcer l’autonomie collective. Face à l’effacement systématique de Gaza et aux limites des ONG traditionnelles, Sa7ten propose une autre voie : celle d’une solidarité palestinienne, ancrée dans le terrain et affranchie des logiques coloniales de l’aide humanitaire. Rencontre avec Emilie une des fondatrices , qui revient sur la genèse, la philosophie et les défis quotidiens de leur engagement à Gaza.

Comment est née l’initiative Sa7ten et quel besoin urgent cherchait-elle à combler au moment de sa création ?

Sa7ten a été fondée en février 2023 par deux Palestiniens situés à Paris, en pleine réflexion sur la manière dont ils pouvaient aider directement les personnes de Gaza. Les premiers événements de l’association étaient des dîners et des concerts de levée de fonds qui ont permis de faire évacuer plusieurs familles de Gaza. L’évolution de Sa7ten s’est caractérisée par une volonté d’agir également sur place, pour ceux qui ne pouvaient pas ou ne voulaient pas partir. Une équipe de bénévoles s’est alors formée organiquement à Gaza, et notre rôle depuis est de les soutenir sur tous les plans – financiers, politiques et humains.

Vous parlez de “décolonisation de l’aide humanitaire”. Concrètement, que signifie cette approche et en quoi diffère-t-elle des ONG traditionnelles ?

Sa7ten place en effet au centre de sa pratique la décolonisation de l’aide dite “humanitaire”, en valorisant le leadership de terrain intercommunautaire et en répondant directement aux besoins identifiés par ceux qui sont sur place. Les deux dernières années à Gaza nous ont révélé plus que jamais le dysfonctionnement des ONG traditionnelles qui, dès lors que les frontières se ferment, ne peuvent plus agir. Notre approche est ancrée dans une connaissance du terrain que seuls ceux vivant sur place peuvent maîtriser. Cela signifie concrètement que notre équipe parvient toujours à se débrouiller, que ce soit pour trouver de la nourriture ou pour établir des moyens de la distribuer en toute sécurité. Cette connaissance permet d’emprunter des chemins, certes non traditionnels ou institutionnels, mais qui nourrissent l’autonomie des Palestiniens de Gaza.

Quels sont aujourd’hui les principaux types d’actions menées par Sa7ten sur le terrain à Gaza ?

Le cessez-le-feu récent a représenté un espoir de pouvoir reprendre des activités dépassant la survie et les besoins premiers des Gazaouis. Or, dans l’immédiat, des bombardements se poursuivent. Notre équipe est donc focalisée sur le fait de cuisiner un maximum et de partager ces repas. Ces repas sont le fruit de réflexions autour du choix d’aliments pouvant redonner de la force physique le plus longtemps possible. Notre dernière activité de cuisine puis de distribution était le 20 octobre.

Le mot “Sa7ten” signifie “deux santés”. Pouvez-vous expliquer la portée symbolique de ce nom et ce qu’il dit de votre vision du bien-être collectif ?

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Le choix du nom de notre organisation n’est pas anodin. En la nommant “deux santés”, nous avons voulu jouer sur le fait que nous avons lancé cette initiative par des dîners, et parce que ce que nous souhaitons nourrir avant toute chose, c’est un esprit de communauté. Autant pour les Palestiniens de Gaza que pour les Palestiniens des diasporas se rassemblant autour de la volonté d’aider. En choisissant le nom de Sa7ten, nous avons fait le choix de nous engager dans le soin, l’organisation autonome et la préservation de la dignité humaine. Cela se manifeste aussi dans les actions que nous soutenons, comme la construction d’un centre communautaire et d’une salle de premiers secours durant le début de l’année 2025.

Quels défis votre équipe rencontre-t-elle au quotidien dans un contexte d’occupation, de guerre et d’effacement systématique de Gaza ?

De toute évidence maintenant, la difficulté première de notre équipe est l’approvisionnement en ressources sur place, que ce soit de l’eau potable, de la nourriture, du bois pour cuire la nourriture ou du gasoil pour acheminer tout cela. Au-delà des ressources matérielles, toute la difficulté réside aussi dans le manque de soutien humain, psychologique ou politique, qui laisse forcément des traces. Même lorsque les membres de notre équipe parviennent à s’approvisionner, il faut ensuite distribuer les ressources, ce qui, sans cessez-le-feu, est une épreuve immense.

Israël cible délibérément tous ceux qui maintiennent la vie à Gaza – les journalistes, les équipes de défense civile, les ambulanciers qui risquent tout pour maintenir les gens en vie, les médecins. Dans un contexte de bombardements incessants, faire parvenir quoi que ce soit est un danger, et c’est précisément ce à quoi notre équipe fait face en permanence. Or, elle persiste, continue ses missions et nourrit un esprit de résilience inégalé, comme lors de la dernière invasion de la ville de Gaza en septembre 2025.

Comment les personnes à l’extérieur de la Palestine peuvent-elles concrètement soutenir ou s’impliquer dans votre démarche de solidarité et d’autonomie ?

Pour nous soutenir, vous pouvez faire un don depuis notre site internet. Chaque centime envoyé parvient à Gaza de la manière la plus directe et la plus efficace possible. Il nous est également important d’inscrire notre initiative dans un mouvement de solidarité plus large, c’est pourquoi nous encourageons aussi à rejoindre les mouvements populaires palestiniens se mobilisant dans les rues et à boycotter les institutions et les entreprises complices de cette violence.

Propos recueillis  par la rédaction Oumma

Pour aider Sa7ten : sa7ten.org/donatenowinstagram.com/sa7ten_org

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