George Orwell était un petit joueur. L’administration Obama encourage désormais chaque citoyen à pratiquer la délation, pour tout et n’importe quoi, dans sa traque du Yéti moderne : le terroriste.
Tous des indics. Chaque Américain capable de surveiller et de dénoncer son prochain sur la moindre suspicion. Un peuple sous auto-contrôle. Le prétexte à la mode, fredonné comme un mantra : la chasse au terroriste. Le Département américain à la Sécurité intérieure a présenté, lundi 5 octobre, une vidéo qui confirme, s’il en était besoin, que les Etats-Unis, engagés dans la nébuleuse « guerre contre la terreur » à l‘extérieur, continuent d’avancer, à l’intérieur, vers un Etat policier, cauchemar devenu réalité depuis la mise en place du Patriot Act.
Intitulé « Reconnaître les 8 signes du terrorisme », le film dévoile aux citoyens américains les indices susceptibles de trahir, au quotidien, l’identité d’un terroriste et la démarche à suivre en conséquence pour alerter les autorités. Ainsi, s’il vous arrive de prendre des photos, d’écrire des notes sur un calepin ou de vous repérer dans la rue grâce à une carte, vous êtes suspect. Le moindre comportement anodin peut dorénavant vous faire rentrer dans la catégorie « terroriste-potentiel-à-capturer-de-toute-urgence ». Parmi les vagues signes de reconnaissance, il y a la « surveillance » d’un lieu, la « recherche » d’informations ou, bien encore, tout comportement jugé incongru en public.
Big Brother Revival
La vidéo, réalisée et mise en ligne par le CELL (Center for Empowered Living and Learning), fut présentée à Denver, dans le cadre d’une sinistre exposition consacrée à l’histoire du terrorisme. Devant un docile parterre composé de chefs de la police, Bill Ritter, gouverneur du Colorado, et Janet Napolitano, secrétaire à la Sécurité intérieure des Etats-Unis, ont vanté les mérites du film, d’une durée de 8mn et destiné à inciter le citoyen à une vigilance de chaque instant. Slogan-clé de l’exposition comme du film : « N’importe qui, n’importe quand, n’importe où ». Sous-entendu : quiconque peut en tout lieu et à tout moment être victime d’un acte terroriste.
Avant de rejoindre l’administration Obama et de financer ce film ubuesque de propagande sécuritaire, Napolitano était gouverneur d’Arizona, Etat dans lequel elle avait déjà remis au goût du jour le principe de la délation, avec la réalisation antérieure d‘une vidéo comparable à celle présentée ce lundi.
Ils sont partout
La croyance délivrée, trompeuse ou paranoïaque, d’un risque terroriste permanent est bien servie par l’actualité : les journalistes du Colorado ne cessent depuis deux semaines d’amplifier la nouvelle qui les place enfin au cœur de l‘information nationale. Celle de l’arrestation d’un présumé terroriste à Denver, qui projetait, paraît-il, de commettre un attentat à New York, « le plus grave perpétré aux Etats-Unis depuis le 11 septembre » selon l‘accusation. Ce jeune homme de 24 ans, chauffeur de bus d’origine afghane, plaide non coupable mais qu’importe : son doux visage barbu et son nom exotique, Najibullah Zazi, sont, pour l’instant, des indices concordants et suffisants.
Quant à son pays d’origine, si les Américains devaient oublier qu’ils étaient en guerre là-bas pour libérer les Afghans d’eux-mêmes, la nouvelle vidéo se chargera bien de leur rappeler, quitte à recourir aux méthodes subliminales. Au milieu du film (4‘08), une plan atypique apparaît, l’espace de deux secondes : à gauche de l’image, deux homme barbus et une femme voilée sous la mention « Holy Land » ; à droite de l’image, la bannière d’une organisation charitable destinée à venir en aide aux Afghans à la suite de l’attaque militaire américaine de novembre 2001. La narratrice recommande alors de ne pas donner de l’argent à certaines ONG et autres groupes caritatifs car leur activisme dissimulerait le plus souvent un financement occulte des cellules terroristes.
Délit de solidarité
Quel dommage : alors que les concepteurs du film ont su avec brio déjouer le piège de la caricature tout au long, en ne montrant pas le terroriste sous ses airs habituellement orientaux, ils n’ont pu s’empêcher d’incruster une allusion un tantinet sournoise au danger imputé aux ONG pro-palestiniennes et pro-afghanes. L’expression « Holy Land » est censée rappeler au bon souvenir du citoyen lambda le nom de l’ONG « Holy Land Foundation » , basée au Texas et dont les dirigeants ont été exposés aux médias puis condamnés par la justice pour avoir financé le Hamas.
L’amalgame typique de l’Administration américaine est ainsi opéré : si vous donnez de l’argent à une organisation qui transmet ses fonds aux Palestiniens démocratiquement élus en charge de la bande de Gaza, vous êtes vous-même coupable de soutenir le terrorisme. CQFD. Il en va de même si vous aviez l’idée saugrenue de pourvoir aux besoins des associations locales qui apportent de l’aide et des soins aux Afghans victimes des bombardements de l’OTAN.
Informer le citoyen des conséquences désastreuses de la politique étrangère américaine n’est pas, de toute manière, le but dans cette opération de communication gouvernementale. Celui-ci est tout autre et se résume en une phrase : « Ayez peur les uns des autres ». Une politique ultra-sécuritaire et anxiogène, indigne d‘un Etat de droit ? Dieu merci, nous sommes en France, patrie des droits de l‘homme, qui, comme chacun sait, est à l’abri de ces dérives.
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