Noureddine Belmouhoub : Mes ravisseurs voulaient me faire peur, mais c’est eux qui ont peur.
Relâché dans la nuit de mardi à mercredi après trois jours de séquestration, Noureddine Belmouhoub, Porte-parole du Comité de défense des ex-internés des camps de sûreté , dit avoir été interrogé sur sa plainte contre l’ancien ministre de la Défense nationale, le général-major Khaled Nezzar Beaucoup de zones d’ombre entourent l’affaire, notamment sur l’identité des auteurs de son enlèvement.
Racontez-nous en détail votre enlèvement…
Dimanche 23 octobre, vers 11h, je marchais avec mon ami sur le chemin de la Maison de la presse du 1er Mai pour exposer aux journaux le cas d’un ex-interné des camps du Sud. Dans la rue Hassiba Benbouali, une voiture blanche de marque Caddy Volkswagen s’est arrêtée à notre niveau. Trois des quatre individus qui étaient à bord sont descendus, ils ont vérifié mes papiers et ceux de mon compagnon, et m’ont invité à les suivre. Il n’y a pas eu de brusquerie. Il est important de préciser que la voiture était munie d’un gyrophare. Tout faisait croire que c’était des agents du gouvernement.
Vers quelle destination avez-vous été conduit ?
On m’a mis à l’arrière de la voiture, entre deux individus. Nous avons emprunté la rue de l’ALN. Je me suis dit si c’était des policiers, ils m’auraient emmené au commissariat du centre-ville. La voiture a stationné devant un fourgon non vitré et on m’a transporté vers lui. A partir de ce moment, j’ai commencé à comprendre que je faisais l’objet d’un enlèvement. Deux des agents du gouvernement que j’appellerai « barbouzes » sont montés avec moi à l’arrière du fourgon, le troisième est monté à l’avant quant au quatrième est parti dans la première voiture. Je retiens que la voiture montait à sens unique, et qu’on a roulé environ une demi-heure à partir de Belcourt. Le trajet s’est fait dans un silence total, personne ne voulait répondre à mes questions. Le fourgon, qui n’était pas vitré, s’est arrêté devant un portail, et nous sommes entrés dans une bâtisse qui ressemblait à une maison. Un des sbires m’a fouillé et m’a confisqué mes deux portables, mes papiers et ma cravate pour « éviter de me pendre ». J’étais dans un garage qui contenait une table, une chaise et une ampoule.
Dans ce garage, que s’est-il passé exactement ?
L’un d’eux a commencé à me poser des questions concernant mes activités militantes. « Savez-vous pourquoi vous êtes là ? Pourquoi vous êtes-vous attaqué à de hautes autorités ? Vous étiez à la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme, pourquoi l’avez-vous quittée ? Vous êtes le porte-parole du Comité de défense des internés des camps de sûreté et vous accusez l’armée algérienne d’être responsable des arrestations ! » J’ai répondu que c’est pire, l’armée est responsable de notre déportation ! J’ai été arrêté par des gendarmes, transporté par des camions et des avions militaires. Au sein du camp, j’ai été surveillé par des militaires et après avoir été remis en liberté, j’ai été assigné à résidence. Toutes ces manœuvres sont l’œuvre du ministère de la Défense. Il y a des responsables et ça vient d’en haut. Si je dis que l’armée nous a internés, ce n’est que la vérité.
Vous a-t-on reproché vos activités au sein du CDICS ?
A partir du deuxième jour, on a commencé à me reprocher le fait d’avoir porté plainte contre le général-major Khaled Nezzar. J’ai répondu que j’avais introduit une action en justice contre lui, car il était ministre de la Défense nationale, à l’époque de mon interneùent. Je ne vais pas juger toute l’armée, on ne va pas mettre tous les militaires en prison, mais il y a un responsable qui a donné des ordres. et qui doit être jugé.
Donc votre arrestation avait pour objectif de vous « obliger » à retirer votre plainte contre Khaled Nezzar…
Les gens qui m’ont enlevé voulaient me faire peur, mais j’ai compris que ce sont eux qui ont peur. Pour me faire taire, il faut me tuer.
Avez-vous été menacé ?
Mes kidnappeurs ont essayé de me faire signer une déclaration sur l’honneur pour me désister de ma plainte. J’ai catégoriquement refusé. Je n’ai pas l’intention de la retirer, surtout pas en ce moment après ce que je viens de vivre. D’ailleurs, je vais déposer plainte dimanche.
Etait-ce un interrogatoire musclé ? Avez-vous été malmené ? Quelles étaient les conditions de votre séquestration ?
Non, on ne m’a pas torturé mais leur langage était grossier ! De plus, ils m’ont empêché de dormir pendant trois nuits consécutives. A chaque fois que j’éprouvais le besoin de manger, ils me demandaient 300 DA pour m’acheter des sandwiches. J’étais tout le temps assis sur une chaise. Je ne dormais pas, quand j’avais mal, je circulais dans la petite pièce fermée, car il leur arrivait de me laisser tout seul pendant quinze minutes. La porte de la pièce ne s’ouvrait que de l’extérieur. Il n y avait qu’une nevada, donc je ne pouvais voir ce qui se passait dehors. Je devais être accompagné pour aller aux toilettes, toujours vingt minutes après..l’avoir demandé.
Comment avez-vous été libéré ?
Un homme venait régulièrement voir mes kidnappeurs pour leur dire que la Fédération internationale des droits de l’homme avait lancé un appel, les alerter de la mobilisation sur facebook et sur les autres réseaux sociaux, ou des appels d’ONG internationales. Mes ravisseurs suivaient de près les médias. Ceci leur a fait craindre le pire, notamment le rassemblement qui devait se tenir hier devant l’ambassade d’Algérie en France. Mercredi à 3h du matin, j’ai été abandonné en pleine rue, près du cimetière d’El Alia, dans la banlieue est d’Alger. J’ai appelé mon ami qui m’a emmené chez lui.
Avez-vous demandé à vos ravisseurs qui est derrière votre enlèvement ?
Je leur ai demandé à quelle police parallèle ils appartiennent. Parce que les agents du Département du enseignement et de la écurité (DRS) officiel auraient employé une autre méthode, dans leur bureau, même si ce ne sont pas des anges ! Ce qui est énigmatique, c’est qu’au moment où Khaled Nezzar est arrêté en Suisse, on se rappelle que Noureddine Belmouhoub a déposé une plainte en 2001, contre lui. J’insiste : que Khaled Nezzar sache que je vais déléguer l’ONG Trial de déposer une plainte à ma place. Parce que moi, j’ai d’ores et déjà épuisé les voies de recours légales nationales. J’ai été modeste, mais maintenant, je veux relever un autre défi. Aller jusqu’au bout. On a fait pleurer mes filles, surtout lorsqu’elles ont appris que j’avais été relâché près d’El Alia. Le cimetière est synonyme de mort !
Mais le lien entre l’arrestation de Nezzar et votre enlèvement ne vous paraît-il pas trop évident ? Ne pensez-vous pas avoir été instrumentalisé dans une lutte de clans pour que justement, Nezzar soit pointé du doigt ?
Les coups bas entre les services du pouvoir sont coutumiers chez nous. J’estime que tous ceux qui veillent sur la sécurité des citoyens ont une part de responsabilité. J’ai été enlevé sous l’œil des caméras de surveillance qui peuvent en témoigner si on veut réellement enquêter. Si la loi ne me protège pas, je demande à ce qu’on me décharge de la nationalité algérienne. A part le quotidien El Watan, aucun journal n’a médiatisé mon enlèvement. Pourquoi ? Parce que ceux qui ont la mainmise sur la liberté d’expression ont donné des instructions claires de laisser-faire. Je vois mal le policier du coin ou l’officier du DRS venir me séquestrer pour le plaisir. Il y a une responsabilité qui vient de plus haut.
Plus haut que la police et le DRS ?
En Algérie, on aimerait bien savoir qui est le vrai pouvoir.
Vous ne savez toujours pas qui sont vos « ennemis » ?
Chez nous, il y a la police, la police parallèle, les milices…
Craignez-vous des représailles ?
Je ressens la peur de ne pas aller jusqu’au bout de mes convictions.
Lamia Tagzout
El Watan
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