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A propos des violences urbaines à Marseille et ailleurs

Au cœur des cités : rencontrer l’autre

Plusieurs autobus ont flambé un an après les émeutes urbaines de l’automne 2005. Mama Galledou, une étudiante franco-sénégalaise de 26 ans, a été brûlée à 62% dans une de ces embuscades criminelles à la sortie de la faculté de Saint-Jérôme. Au-delà de l’émotion que justifie la gravité d’une telle violence, ces faits rappellent le déficit de fraternité dans nos grandes villes où les étrangers, les pauvres et les jeunes ne sont pas toujours accueillis les bras ouverts. Henry Quinson, membre fondateur de la Fraternité Saint Paul, vit dans une des cités voisines du lieu de l’attaque du bus 32 de la RTM (Régie des transports marseillais). Il revient sur le sens de ces événements et sur la nécessité de créer des lieux de fraternité dans les cités HLM.

Nous nous cachions derrière notre PIB. Les incidents récents à Marseille et ailleurs, dans le prolongement des émeutes urbaines de novembre 2005, nous ont rappelé que notre société n’est pas aussi paradisiaque que nos publicités voudraient nous le faire croire. La France est une société riche mais « anxiogène ». C’est le mot qu’emploient les sociologues pour décrire le climat d’angoisse qui règne depuis longtemps dans l’Hexagone, champion du monde des ventes de calmants et autres cachets anti-stress.

La violence des mineurs ne serait-elle pas la réaction à une hantise qui parcourt toute la société des adultes : celle d’échapper à la relégation dans la course aux « bonnes places », dans un jeu où chacun cherche à s’éviter plus qu’à vivre ensemble ? Le problème des « banlieues » renvoie donc aux valeurs et aux stratégies de l’ensemble de la société : chacun cherche à habiter dans un environnement social porteur. Revenus, diplômes, emploi, éducation, infrastructures sont corrélés au prix de l’immobilier. Chacun exclut la catégorie sociale immédiatement inférieure à la sienne. Les familles immigrées pauvres ne sont que le dernier maillon d’une chaîne implacable. Chacun est responsable de ce jeu de chaises musicales aux antipodes de la fraternité républicaine et de l’égalité des chances.

Si certaines religions sacralisent encore aujourd’hui le séparatisme social (« intouchables », « dhimmis », « apostats »…), l’humanisme des droits de l’homme et du citoyen autant que le christianisme des évangiles invitent à combattre toute forme de ségrégation. C’est dans cet esprit que depuis dix ans nous sommes plusieurs à habiter par choix une cité HLM marseillaise. Cette présence est riche d’enseignements.

Très rapidement, une mère de famille ne sachant ni lire ni écrire nous a demandé d’aider son enfant à faire ses devoirs le soir. Il est venu avec deux de ses amis. D’autres les ont rejoints. Ainsi est né l’accompagnement scolaire qui réunit chaque semaine jeunes des quartiers favorisés et enfants des cités. C’est un lieu de fraternité fondé sur la rencontre, l’éducation et le partage des savoirs. Pourquoi s’affronter quand on s’entraide chaque semaine ?

La violence n’est malheureusement pas absente de nos quartiers. Les premiers à en souffrir sont les plus pauvres, qui n’ont pas les moyens financiers pour quitter les cités les plus durement frappées. Pourtant, les personnes extérieures qui viennent régulièrement rencontrer les jeunes dans un esprit d’amitié et de service sont toujours bien reçues. Un jour, un lycéen de terminale d’un établissement huppé de Marseille revenait avec ses camarades d’une soirée d’accompagnement scolaire. Trois jeunes étrangers au quartier l’ont bousculé. Aussitôt, les habitants ont pris sa défense. Dans l’échauffourée, il avait perdu une médaille qui lui était chère, souvenir de sa grand mère. Les hommes de la cité l’ont cherchée pendant plus d’une heure et lui ont rendu le précieux objet avec fierté.

Nous dépendons les uns des autres : c’est grâce à la confiance instaurée entre nous que des allées et venues sont possibles. Le ghetto s’ouvre quand la relation et la reconnaissance ébranlent les clichés dévastateurs : l’autre n’est plus une étiquette déshumanisante dont on a peur ou que l’on veut agresser.

Aujourd’hui, l’urbanisation fait que le curé, l’instituteur et le maire n’habitent plus le village des familles modestes. De vibrants plaidoyers en faveur de la « mixité sociale » sont régulièrement prononcés, mais le divorce territorial (logements sociaux), scolaire (carte scolaire), économique (chômage, précarité, bas revenus, minima sociaux, marché noir), religieux (islam) et ethnique (immigration) se renforce. La « mixité sociale » ne serait-elle qu’un vœu pieux, masquant un système d’exclusion ? Le choix de notre logement et les lieux de nos visites sont les meilleurs garants de la fraternité inscrite au fronton des mairies de notre République.

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