Il faudra un jour qu’un sociologue du fait religieux se penche sur la question de savoir comment des populations musulmanes, généralement conservatrices (la conservation étant un principe fondamental pour perpétuer les différents règnes du vivant), peuvent en même temps soutenir des mouvements libertaires (« ni Dieu, ni Maître, ni Patron, ni Mari ») lors d’élections nationales. Un alliage étrange donnant naissance à un genre nouveau : le conservateur-libertaire qu’est le « musulman-insoumis ».
A un moment politique si « critique », tel que celui que nous vivons actuellement, il est important pour nous d’être lucides et de choisir nos engagements.
Certains se demanderont sans doute, s’il est opportun que les théologiens musulmans investissent les champs du débat socio-politique et démocratique ? L’authentique théologien doit déambuler dans les rues comme un prophète pour alphabétiser les consciences et rappeler les hommes à leurs devoirs envers le Vivant.
Il n’y a pas qu’en Amérique du Sud qu’il y a une histoire des hommes de foi engagés dans les luttes sociales avec les théologiens de la libération. La théologie musulmane de conviction nous ne l’initions pas, nous ne faisons que la poursuivre ; qu’on se souvienne de l’émir Abdelkader, Iqbal ou Malcom X dans leur lutte contre le colonialisme et le capitalisme matérialiste enragé.
Même si ce n’est pas notre héritage direct, je rappelle que le courant spiritualiste français de tradition chrétienne, qui trouve un de ses accomplissements avec l’œuvre de Gabriel Marcel et notamment, sa pièce de théâtre « Le monde cassé », d’une brûlante actualité, dispose de sa propre histoire en termes d’engagement social.
Un théologien qui ne déambule pas dans les rues comme Socrate pour corrompre la jeunesse en lui apprenant à penser par elle-même et ce, depuis son tréfonds intérieur, n’est pas un théologien mais un vaurien. Pour revenir à l’héritage musulman, un théologien qui regarde de haut le monde pour ne pas s’y salir et raconte des histoires pour endormir les siens est pire que la mécréance selon le grand Omar.
Au regard de la crise inédite que vit la société française, il est presque nécessaire de saisir ce moment pour tenter d’en faire une cartographie. Après avoir expliqué pourquoi, selon moi, les Français musulmans sont absents des mouvements sociaux, je souhaiterais regarder la réalité de l’action politique à proprement parler.
J’en viens au cœur de mon propos. Concernant La France insoumise et son chef, j’ai en mémoire un vif échange entre le regretté Bernard Stiegler et Mélenchon sur une chaîne télévisuelle publique.
Mélenchon demandait solennellement aux intellectuels de se faire les relais de la lutte du front de gauche. Bernard Stiegler lui rappela, pour lui reprocher, qu’effectivement le parti de Mélenchon l’avait bien contacté avant les présidentielles de 2012, et qu’il lui avait envoyé une lettre dans laquelle il lui demandait au préalable d’échanger sur un projet politique. Sans surprise, Mélenchon n’a jamais répondu à son courrier ; nous verrons plus loin, que c’est une tendance lourde chez lui de ne pas donner suite aux différentes demandes, malheureusement.
Par ailleurs, je n’arrive pas à m’expliquer ce phénomène qui fait que l’ensemble des cadres médiatisés de « La France insoumise », entourant Mélenchon, soit si peu diversitaire. Il y a les mots et…il y a les faits. Qu’on se souvienne du jeune et inexpérimenté Taha Bouhafs, candidat malheureux aux législatives de 2022 à Lyon, qui n’a rien compris à ce qui lui arrivait lorsqu’il a été remercié à la suite d’une affaire dérangeante, juste avant les législatives, et dont il ne sait toujours pas les raisons profondes de son exfiltration. Il a été, littéralement, l’idiot utile de service (l’IUS).
Nous sommes encore dans ce qui est une constante sur la scène politique française à gauche : il faut s’assurer de disposer d’un « arabe de caution » qui ne participe pas vraiment au comité de direction, et qui est condamné à rester un pur et simple faire-valoir.
A contrario, nous ne sommes pas dupes de la charge massive, dont fait l’objet LFI par la droite conservatrice et les partisans de l’ordre policier et criant à l’écoterrorisme. Mais, et désolé de le dire ainsi, que se sont-ils dit lorsqu’Emmanuel Macron a appelé Mélenchon le soir du 1er tour des présidentielles ? Personne ne le saura. Ce qui jette un soupçon sur un éventuel jeu de dupes des oppositions en France.
Dans les quartiers paupérisés et de relégation, la majorité s’est abstenue aux présidentielles comme aux législatives de 2022, comprenant intuitivement que l’élection ne peut plus être la voie de sortie de la crise démocratique qui étrangle lentement mais sûrement la société civile ; seule une constituante comme en Islande peut aider à la régénération de la démocratie sociale, remettre tout à plat et réécrire ensemble un nouveau pacte social.
Nous avons trouvé, un témoignage d’une habitante marseillaise ayant voté Mélenchon dans un article de MARSACTU datant du 16 juin 2022, Hinda Bennour, et qui rappelait « qu’en cinq ans, on l’a pas vu (Mélenchon). Et quand on lui a écrit pour l’alerter sur l’état des écoles, on a eu zéro retour, même pas un accusé de réception ». Mélenchon à l’échelle micro déçoit mais à l’échelle macro génère beaucoup d’espoir. La question est de savoir auquel des deux Mélenchon il faut accorder sa confiance ? Je me suis fait ma réponse, à toi « musulman insoumis », conservateur-libertaire, de te faire la tienne. Si ce que nous disons est erroné nous sommes prêts à accueillir une contre-réponse.
La France insoumise n’arrive pas à pénétrer en profondeur nos quartiers et nos communautés, et ce, depuis son origine ; son éducation populaire reste très élitaire. D’ailleurs, l’Institut de pensée politique « la Boétie » portée par Jean-Luc Mélenchon, démontre que c’est un pur entre-soi ; il n’a même pas imaginé l’appeler Albert Camus, enfant pauvre d’Algérie ayant, grâce à son professeur de français, eu le prix Nobel.
Enfin, Jean-Luc Mélenchon aurait pu ouvrir une réflexion grâce à son expérience sud-américaine autour de la théologie de la libération qui parlerait davantage aux français musulmans. Mais son logiciel philosophique ne lui a pas permis d’aller dans ce sens. Dans les quartiers relégués, tout reste à faire pour capter leur force, et ni les gauches (la bonne conscience), ni les décoloniaux (souvent déphasés et binaires), ni les corps intermédiaires (victimes d’illettrisme), n’ont réussi cette captation.
Je finis, pour dire qu’au milieu de ce chaos des idées et des multiples jeux de dupes présents sur la scène politique française, nous avons une pensée durant ce mois de Ramadan, un mois d’exigence morale, spirituelle et de solidarité, pour le militant du vivant de Sainte-Soline qui est dans le coma et espérons qu’il reviendra en bonne santé.
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