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11 septembre

Que faisiez-vous le 11 septembre 2001 ? Comment avez-vous appris que les villes de New York et de Washington avaient été attaquées ? Vous êtes-vous précipités sur la télévision ou avez-vous pensé à récupérer vos enfants au plus vite dans la crainte d’un embrasement mondial ? Peut-être, étiez-vous dans l’une de ces deux villes. Peut-être, étiez-vous, comme cet ami algérois, dans un avion à destination de Boston (vous imaginez aisément la manière dont il a été traité à son arrivée). En fait, vous n’étiez, nous n’étions, absolument pas préparés à faire face à pareille nouvelle. L’ampleur de cet événement, son bilan et ses conséquences ont fait du 11 septembre un repère incontournable de notre mémoire immédiate.

 Prenez la date du 22 novembre 1963, jour de l’assassinat du président Kennedy (oui, oui, j’ai besoin de le préciser car sa signification est en train de s’estomper). Aux Etats-Unis, elle a longtemps été source d’inspiration pour le cinéma, la littérature ou les arts en général. Elle permettait aussi de meubler une conversation. « Où étiez-vous le jour de l’assassinat de Kennedy ? », disait-on alors. Mais qui en parle encore aujourd’hui ? Une simple recherche sur internet suffit à comprendre que les temps ont changé : cinq millions de pages (anglophones et francophones) recensées pour l’attentat de Dallas contre huit cents millions de pages pour les attaques du World Trade Center et du Pentagone.

En Algérie, il fut une époque où l’on demandait à nos aînés où ils étaient les jours du cessez-le-feu ou de l’indépendance sans oublier celui du 19 juin 1965. Par la suite, dans les années 1990, j’ai souvent entendu des questions comparables à propos du 05 octobre 1988 ou du 29 juin 1992. Depuis quatre ans, les uns et les autres racontent plutôt ce qu’ils faisaient le 11 septembre 2001 et il est vraisemblable que les jeunes générations nous demanderont, elles aussi, de raconter ce que fut « notre » 11 septembre.

 Je sais que de nombreuses personnes n’ont jamais admis le battage médiatique qui entoure le 11 septembre. « Trois minutes de silence mondial en hommage pour les victimes américaines, dix années de silence indifférent pour les victimes de la folie algérienne », avait-on dit au lendemain des attentats alors qu’une déferlante diplomatico-émotionnelle envahissait la planète. Ne parler que de battage médiatique est réducteur et il est plus juste de préciser que c’est encore le prétexte à une avalanche de discours grandiloquents, souvent bâclés, sur la folie humaine, sur la renaissance du nihilisme ou sur les « maladies » de l’islam.

 Quelle différence existe-t-il entre une victime de la violence dans un pays du Sud – la liste est longue de la Palestine à la Tchétchénie – et les morts du World Trade Center ? Aucune, bien sûr et il n’est jamais inutile de le rappeler. Mais je ne crois pas que l’agitation médiatique autour du 11 septembre relevait uniquement d’une vision occidentalo-centriste. Dans notre grande majorité, je parle des gens du Sud (et je préfère oublier ceux qui ont manifesté leur joie et qui la manifestent encore), nous avons aussi été secoués. Pourquoi ? Parce que c’était l’impensable qui venait de se produire : les Etats-Unis attaqués et ébranlés par une poignée d’hommes surgis de nulle part. Des gratte-ciels qui s’effondrent comme un pâté de sables et des centaines de vies innocentes qui s’achèvent brutalement. L’impensable !

 Le 11 septembre demeure omniprésent. D’ailleurs, l’expression se suffit à elle-même puisqu’elle signifie autant les événements tragiques qui s’y sont déroulés que le processus qu’ils ont déclenché. Un processus fait de tourments et dont nous subissons chaque jour les aléas. Un processus qui, malheureusement, est loin d’être terminé.

 C’est ainsi que le 11 septembre a sauvé la mise à un président américain qui aurait dû entrer dans l’Histoire comme étant le plus incapable et le plus fainéant des locataires de la Maison-Blanche. On a oublié qu’à la fin août 2001, il avait touché le fond dans les sondages et que, déjà, les chroniqueurs washingtoniens s’interrogeaient sur la durée de ses vacances et sur sa capacité à gérer correctement le pays (sept semaines de vacances cet été, jusqu’à leur interruption par la catastrophe en Louisiane…).

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 Le 11 septembre a offert une nouvelle jeunesse à tous les dictateurs arabes qui ont compris qu’il leur suffisait de se déclarer membre de la grande coalition mondiale « contre la terreur » pour survivre et se garantir le soutien des maîtres du monde. Seul Saddam Hussein a payé pour ses pairs et pour des attentats avec lesquels il n’avait rien à voir. C’est cela aussi le 11 septembre, cet Irak où affluent les soldats perdus de toute l’Oumma. Qu’adviendra-t-il le jour où ils rentreront chez eux ? C’est vraisemblablement d’Afghanistan qu’ont été préparés les attentats du 11 septembre. Que se prépare-t-il aujourd’hui à partir de l’Irak ? Peut-être, vaut-il mieux ne pas y penser.

 Le 11 septembre a changé nos vies. Tout simplement. Nous voyageons la peur au ventre. Et pour les Arabes et les musulmans, c’est l’ère de la suspicion, du délit de faciès mondialisé, des passeports longuement inspectés, des fouilles humiliantes sous le regard alarmé des autres passagers. C’est le temps des visas de plus en plus difficiles à obtenir (la belle excuse !) et d’une paranoïa planétaire qui n’a peut-être pas eu d’équivalent depuis plusieurs siècles.

 En France, le 11 septembre a ouvert une boîte de Pandore que l’on aura du mal à refermer. Il a porté Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle d’avril 2002. Il a libéré la parole islamophobe. Il a décomplexé les racistes qui ne craignent plus de répondre que toute critique à leur encontre n’est que l’expression d’un « racisme anti-blanc », un thème sur lequel il faudra que je revienne. En France, toujours, le 11 septembre a renforcé les convictions des défenseurs de la théorie du choc des civilisations. Pire, il a grossi leurs rangs et redonné du muscle au révisionnisme pro-colonial.

 Dimanche dernier à New York, la foule présente à l’emplacement de ce que furent les tours jumelles était moins dense que lors des commémorations précédentes. Mais il ne faut pas se tromper : le 11 septembre n’est pas près de disparaître de l’actualité. Il n’est pas près de disparaître de nos esprits.

 

Le quotidien d’Oran, 15 septembre 2005

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