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Du racisme au Front de gauche de Grigny ? Le maire dénonce une « manipulation »

Exclusivité Oumma. A trois semaines des élections cantonales, une vidéo controversée circule sur le web : des militants du Front de gauche y tiendraient des propos racistes et islamophobes. Appuyé par l’Union des musulmans de Grigny, Claude Vazquez, maire communiste et tête de liste, évoque une « opération » calomnieuse tandis que l’auteur du film se dit prêt à produire la vidéo intégrale en justice. Décryptage d’une affaire embarrassante.

Panique sur la ville de Grigny. Le mercredi 23 février, un compte Youtube et un profil Facebook sont simultanément ouverts au nom de « Cricri de Grigny ». Sa première vidéo aussitôt mise en ligne ? Une séquence de moins de trois minutes, mettant en scène –à leur insu- deux individus présentés comme des militants du Front de gauche en train de faire campagne en vue des élections cantonales des 20 et 27 mars. La caméra cachée est braquée au niveau de la taille. Visages invisibles à l’écran mais propos explicites : l’un des deux hommes, affirmant son rejet du « communautarisme », promet au citoyen-piégeur « moins de mosquées, moins de Noirs et moins d’Arabes et ce sera une France plus… ». Son acolyte l’interrompt alors et reprend la parole, préférant, pour sa part, orienter la discussion sur le projet local d’une mosquée, destiné, selon lui, à « contrôler les islamistes » ainsi que « les gens qui sont musulmans modérés ». A la fin de l’échange, ultime rebondissement : un militant du PS apparaît à l’écran. Jérôme Thirion, suppléant de la candidate socialiste Fatima Ogbi, vient saluer chaleureusement les deux individus.

Au lendemain de sa mise en ligne, la vidéo fait immédiatement le buzz : des sites férus de l’actualité liée aux questions identitaires -tels Agoravox et Al-Har– publient la séquence en donnant crédit au point de vue présenté par son auteur. Réputé pour sa fréquentation en hausse, un site ultra-nationaliste dénommé Fdesouche reprend également le film pour le plus grand bonheur de ses lecteurs : la plupart des commentateurs de l’article se réjouissent ainsi que leurs idées semblent gagner du terrain dans le camp adverse.

« Boule puante »

Contacté par Oumma, Claude Vazquez, tête de liste du Front de gauche pour le canton de Grigny, se dit indigné. Ce communiste qui dirige la municipalité depuis 1987 est aujourd’hui un homme en colère : il évoque les « boules puantes » d’une campagne électorale et « l’orchestration d’une opération » manifestement basée, selon lui, sur un « bidouillage évident ». Le maire de Grigny préfère y voir une « manipulation » technique visant à discréditer ses militants et le mouvement qu’il entend mener à la victoire. Également élu au Conseil général depuis 1992, l’homme s’était fait remarquer l’année suivante pour sa gestion médiatique des violences qui avaient alors opposé des jeunes de Grigny avec les policiers.

Claude Vazquez en 1993 from Hicham Hamza on Vimeo.

Critique du budget octroyé par l’Etat à sa municipalité, Claude Vazquez sait aussi incarner, sur l’estrade et face à ses administrés,  la figure du résistant local en lutte contre le préfet.

Outre sa suspicion quant à l’authenticité de la vidéo, l’élu municipal nous affirme également que les allégations des militants au sujet de la mosquée -présentée comme une vague promesse électoraliste et destinée essentiellement à surveiller l’islam local- sont mensongères : « Ce qui est dit à ce propos est totalement faux. Depuis 2005, une commission extra-municipale a été mise en place en partenariat avec l’Union des Musulmans de Grigny (UMG). La ville a acheté en plein centre un terrain de 2200 mètres carrés pour une valeur de 22000 euros. Nous l’avons mis gracieusement à disposition de l’UMG afin que celle-ci puisse concentrer ses efforts financiers sur la construction de l’édifice. Ce n’est évidemment pas la municipalité qui décide de bâtir, sur ses propres fonds, la mosquée ! ».

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« La voie de la diffamation »

Interrogé par Oumma à ce sujet, Abdelhak Eddouk, président de l’UMG et aumônier musulman, confirme les déclarations de Claude Vazquez. Rappelant qu’il ne « souhaite pas prendre part au débat électoral », l’imam s’insurge néanmoins contre ceux qui ont « préféré la voie de la diffamation, de la rumeur et des mensonges  : tous les musulmans de la ville savent que les responsables de l’UMG ont initié en toute indépendance leur projet depuis 2003 dans le cadre du Forum des Musulmans de Grigny. » L’imam entend également dénoncer un tract qui circule depuis dix jours et selon lequel « le maire a imposé aux musulmans un projet de mosquée qui coûte 5 millions d’euros » sur lesquels l’architecte « a empoché la coquette somme de 400000 euros ». Le président de l’UMG soupçonne un groupe politique rival –le Parti de Grigny (PDG)- d’être à l’origine de la rumeur et d’entretenir des liens avec l’auteur du film en caméra cachée : « Les mêmes éléments cités dans la vidéo sont repris dans ces tracts mensongers ». Catégorique, il dénonce une fracture au sein de la communauté musulmane locale : « Je trouve regrettable qu’on utilise l’islam, les musulmans et nos mosquées dans des campagnes électorales. Ce sont des attitudes que nous déplorons des hommes politiques. Comment alors ne pas les déplorer lorsqu’aussi des musulmans utilisent les mêmes procédés ? ».

Des musulmans, le PDG  ? Ce nouveau parti, indéniablement plus jeune et multiculturel que ses concurrents, est né d’une contestation par des citoyens de Grigny, rejoints en cela par des anciens associés de Claude Vazquez, à l’endroit de l’équipe communiste. En 2008, lors des élections municipales, le PDG avait suscité la surprise en arrivant à la seconde place, devançant l’UMP et talonnant l’alliance PC/PS. Dans l’entre-deux tours, les tensions avaient même culminé dans un incident singulier : la voiture de Kouider Oukbi, candidat du PDG, avait été prise pour cible par un coup de feu.

« Assez borderline, pour ne pas dire raciste »

L’accusation d’une manipulation, instrumentalisée par le PDG, laisse pantois l’auteur de la vidéo. Sollicité par Oumma, l’homme ne souhaite pas, à ce jour, décliner son identité. Se contentant d’indiquer qu’il est « plutôt de gauche », il prétend qu’il ne s’agit pas d’un « bidouillage » comme l’a affirmé le maire de Grigny. Qu’est-ce qui explique sa démarche consistant à piéger, en caméra cachée, des militants du Front de gauche ? Il nous relate que tout a commencé à partir d’une rumeur : « J’ai eu écho de propos des gens du Front de gauche qui, selon les dires, tenaient des propos assez borderline, pour ne pas dire racistes, lors du porte-à -porte . J’ai voulu vérifier par moi-même et souhaité faire connaitre ce type d’agissements ». Selon « Cricri », la scène qu’il a capturé s’est déroulée le samedi 19 février, devant le centre commercial Casino de Grigny 2. Imperturbable et défiant, il dit « attendre à ce que le maire fasse un démenti officiel par écrit, le signe, pose une plainte pour diffamation et s’engage sur l’honneur à présenter des excuses publiques à toute la population s’il s’avère que ce sont bien ses militants qui ont tenu ce genre de propos ». Il va même plus loin dans son accusation qu’il indique pouvoir étayer  : « Je suis en mesure de donner l’identité exacte de l’une des personnes et de prouver que l’autre est sur la liste de soutien du maire (au cas où il dirait que ce ne sont pas ses militants qui parlent) ».

Concernant les interrogations techniques, voire les doutes, que suscite la vidéo, il précise qu’il a flouté les visages pour garantir la « sécurité » des militants du Front de gauche. Quand on lui fait remarquer qu’il est pourtant aisé de superposer des voix extérieures sur un montage vidéo, il rétorque qu’il tient à disposition de la justice l‘intégralité de la vidéo. En guise de sa bonne foi, « Cricri », ayant appris lors de notre échange que le maire ne croyait pas à l’authenticité de la vidéo, a décidé de mettre en ligne, au soir du mardi 1er mars, une autre séquence. Celle-ci se compose de deux parties : d’une part, un passage inédit montrant un militant tenant des propos hostiles aux Noirs et d’autre part, la séquence audio relative à la mosquée, synchronisée cette fois-ci avec l’image.

« Cricri » contre un « Front national de gauche » : une mystification sophistiquée ou l’acte civique d’un justicier masqué ? D’ores et déjà, une chose est sûre : pariant –avec succès- sur la propagation virale que permet Internet, l’opération n’est pas solitaire. Lors de notre échange, « Cricri » laisse échapper, à deux reprises, un mot qui n’est pas anodin : « Nous disposons des séquences non floutées avec les visages. S’il faut apporter des preuves au niveau juridique, nous le ferons sans problème ». Au-delà de la polémique relative à l’authenticité de la vidéo -et de sa démonstration éventuelle d’un racisme assumé par certains militants de gauche, une autre question, plus urgente, se pose à seize jours du premier tour des cantonales : à qui profite le buzz ?

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