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Tunisie: chronique d’un désastre annoncé

Un article de notre ami Nicolas Beau, directeur de Mondafrique qui estime que  "l'exception tunisienne" est enterrée ! Le dramatique attentat de Sousse (38 morts), revendiqué par l'Etat Islamique, fait apparaître une Tunisie minée par ses problèmes sociaux, identitaires et sécuritaires. Le pire est à venir si le pays ne se réforme pas, et vite, en profondeur.

 
Depuis 2011, nous avons tous cru, non sans de bonnes raisons, à "l'Exception tunisienne", qui aura été le titre d'un livre écrit par l'auteur de ces lignes avec la journaliste Dominique Lagarde. Seule ou presque dans le monde arabe, une Tunisie paisible et ouverte semblait avoir répondu aux formidables promesses du printemps arabe. Les atouts paraissaient innombrables dans le jeu politique tunisien: la capacité des élites, y compris islamistes, à ouvrir le débat démocratique, à s'entendre et à élaborer des compromis; l'adoption d'une constitution moderniste; la tenue d'élections démocratiques, à trois reprises, sans contestation ni fraude; la sécularisation de la société, consacrant les droits des femmes notamment; une liberté d'expression qui ne s'est pas démentie, et enfin une alternance en 2015, où l'on vit le parti séculariste de Nidaa Tounes créé par l'actuel chef de l'Etat, Beji Caïd Essebsi, succéder sans heurts aux Frères Musulmans d'Ennahdha, alors que l'Egypte de "Sissi impérator" sombrait dans la dictature, et la plus féroce qui soit.
 
Ces quatre dernières années, tout semblait donc aller pour le mieux au Paradis du jasmin. Personne même pour mettre en doute le caractère révolutionnaire du changement de régime intervenu en 2011, comme si le 14 janvier, le peuple tunisien, et non une révolution de Palais, avait chassé le président Ben Ali du pouvoir. L'Histoire avance au prix parfois d'une sérieuse réécriture.
 
Sous l'ombrelle américaine, les islamistes de Ghannouchi et les laïcs de Beji posaient sur les mêmes photos de famille. Du coup, les Etats- Unis, l'Algérie et l'Europe espérèrent même que leurs alliés tunisiens pourraient peser dans la tentative de d'ONU de chercher un compromis politique en Libye entre les deux gouvernements rivaux de Tripoli et de Toubrouk. Avec les attentats du musée du Bardo et ce vendredi,  de Sousse, ces belles constructions géopolitiques, bénies par les Think Tanks et les fondations de Washington et les chancelleries, se perdent désormais dans les sables… Autant de mirages en raison de la folie des terroristes, qui peuvent frapper au coeur du Sahel, la région la plus riche et la mieux sécurisée de Tunisie….
 
Fractures régionales
 
Pour qui s'éloigne de la vitrine côtière et touristique des régions de Tunis et de Sousse, la Tunisie majoritaire de l'intérieur apparaît frappée par la régression économique, la déstructuration sociale, les interrogations identitaires, voire même dans le sud, des tentations sécessionnistes. Au point qu'une experte du ministère de la Défense tunisien peut évoquer, non sans une certaine dramatisation, "la possibilité d'une guerre civile dans les mois à venir, s'il ne se produit pas un sursaut sécuritaire".
 
Rien n'avait été entrepris sous Bourguiba et sous Ben Ali pour cette Tunisie des oubliés. Rien ne sera fait pendant les quatre ans de la transition démocratique pour ces mêmes régions. La Tunisie, expliquent aujourd'hui les experts et les universitaires, a été "victime de son succès". Comprenons que le pays légal, celui qui vit dans le double confort des idées modernistes et d'un mode de vie occidental, a été grisé par l'ivresse du débat démocratique, happé par les palabres de l'Assemblée constituante et les arguties juridiques de la réforme constitutionnelle, oublieux du pays réel qui, en se révoltant en décembre 2010, avait renversé le tyran. La principauté de Lamarsa, qui en juin recevait encore ses amis parisiens, de Jack Lang à Serge Moati et Bertrand Delanoë, dans le cadre d'un vague colloque organisé par le Nouvel Observateur, n'est pas qualifiée pour représenter un pays plus complexe qu'il n'y paraît.
 
Entre exil et djihad
 
Cette Tunisie, minée par le chômage et la crise, est devenue un terreau formidable pour les idées salafistes. Une jeunesse marginalisée qui connaît, dans ces régions, des taux de chômage de plus de 40%, rêve soit d'émigrer, soit de partir pour le djihad. L'Europe s'érigeant en forteresse, l'aventure prend de plus en plus souvent les formes de Daech, notamment dans le Sud du pays qui jouxte sur quelque 600 kilomètres la Libye voisine, minée par le djihadisme, l'anarchie et la circulation d'armes. Hélas, la Tunisie n'est pas une île isolée.
 
Cette proximité avec la Libye explique l'infiltration, ces derniers mois, de commandos djihadistes venus de la Libye, où des territoires entiers se trouvent sous le contrôle des milices salafistes de Fars el-Libya, quand ils ne sont pas terrorisés par l'Etat Islamique qui a pris par exemple le contrôle de la ville de Syrte, l'ancien fief de Khadafi. Un symbole. De source sécuritaire tunisienne, on estime à 1 500 les jeunes tunisiens entraînés dans les camps libyens et à 3 000 ou 4 000 ceux qui sont partis en Syrie et en Irak. Des chiffres qui, compte tenu d'une population tunisienne de douze millions d'habitants, représenteraient à l'échelle française au moins 30 000 combattants.
 
Personne à la barre
 
Or, face à la montée des périls, la Tunisie n'est pas en ordre de marche. Politiquement d'abord, le pouvoir exécutif est exercé par un Président de la République, certes bien élu en décembre dernier et fin tacticien, mais âgé de 88 ans, malade et qui ne dispose pas de plus de deux heures de réelle présence par jour. Tout le monde en Tunisie parie désormais sur l"après-Beji. Le Premier rministre Essid, un ancien chef de cabinet de deux ministres tunisiens de l'Intérieur sous Ben Ali, est un exécutant sans relief, sans projet, sans surface politique. Ce pouvoir amateur multiplie les couacs, comme récemment en échangeant un terroriste libyen contre dix diplomates pris en otage à Tripoli, en Libye. Ces bourdes sont amplifiées par les réseaux sociaux fort réactifs qui abaissent encore, par leur déluge de commentaires indignés ou ironiques, l'image du pouvoir.
 
Sur l
e plan sécuritaire, la situation n'est pas plus brillante : une Armée et une Police, que l'ex-président Ali s'était employé à dresser l'une contre l'autre et  qui ne travaillent pas suffisamment ensemble; un ministère de l'Intérieur déboussolé après le départ du dictateur et où les féodalités syndicales ont pris le pouvoir; les recrutements de 30 000 jeunes policiers inexpérimentés par les islamistes d'Ennahdha en 2012 et 2013 qui grippent la machine sécuritaire. Enfin, le manque de moyens prive les forces anti-terroristes en Tunisie d'hélicoptères sophistiqués, munis de matériel infrarouge capable de détecter les maquis terroristes de nuit. Les Américains ne livreront les appareils qu'en 2016. Quant à la surveillance électronique d'une partie de la frontière avec la Libye, dont le coût représente 150 millions d'euros, elle est remise à plus tard, les Emirats ayant rénoncé à financer cet investissement en raison des trop bonnes relations, selon eux, entre le pouvoir et les Frères Musulmans.
 
Des sous, Hollande!
 
Du côté français, les aides restent parcimonieuses. Une aide de dix millions d'euros avait été accordée par la France à Ben Ali pour un contrat de matériel sécuritaire. Et bien, six millions ont été dépensés avant la Révolution. Mais il reste encore un reliquat de quatre millions qui n'a toujours pas été honoré."Nous en arrivons à nous demander si nos alliés veulent vraiment que l'on combatte le terrorisme", regrette un haut cadre sécuritaire. A Tunis, la comparasion de l'aide occidentale avec les 300 milliards d'euros accordés aux Grecs en agace plus d'un. "Avec un dixième de ces fonds, estime un ministre, nous aurions un boulevard devant nous".
 
Après l'attentat de Sousse, François Hollande a versé une larme sur la Tunisie et …sur le Koweït, un grand pays féodal où le terrorisme a d'autres ressorts qu'à Tunis.  Assez de bonnes paroles, Monsieur Hollande, la Tunisie a besoin de sous!
 
 
 
ENCADRE
 
LA DERNIERE OFFENSIVE DE DAECH A LA FRONTIERE LIBYENNE
 
Mondafrique avait indiqué, voici une semaine, qu'une centaine de combattants de Daech, au volant de quarante véhicules, avaient infiltré la frontière tuniso-libyenne à hauteur du poste frontière de Dhehiba-Wazen, où des tirs ont été échangés avec l'armée tunisienne. Une source autorisée du ministère tunisien de l'Intérieur nous a partiellement confirmé ces informations. Le commando, selon ce très haut fonctionnaire, était parti de la ville de Syrte, actuellement aux mains des milices de l'Etat Islamique alliées de Fars-el-Libya, pour gagner par mer le port libyen de Zouara, à cinquante kilomètres de la frontière tunisienne. De là, le groupe terroriste a gagné le sud tunisien, au sud de Dhehiba. "Ce qui est sûr, précise cette source tunisienne, c'est qu'une partie des milices de Misrata couvrent les activités des terroristes de Daech".
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