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Saoudiens vs Émiratis : la bataille pour l’âme de l’Islam

Bienvenue dans l’ère de la rivalité de soft power entre l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, rivalité dans un soft power qui vaut mieux que l’habituelle confrontation par procuration.

Les efforts déployés par les Saoudiens et les Émiratis pour qualifier l’islam de « modéré », c’est-à- dire socialement plus libéral, tout en étant soumis à un dirigeant autocratique, visent autant à assurer la survie du régime et à soutenir les aspirations à diriger le monde musulman qu’à contrer les obstacles enracinés dans divers courants de l’ultra conservatisme religieux.

Les efforts déployés par les Saoudiens et les Émiratis pour s’approprier le soft power [soft power : concept utilisé pour décrire la capacité d’un acteur politique d’influencer indirectement le comportement d’un autre acteur ou la définition par cet autre acteur de ses propres intérêts à travers des moyens non coercitifs (structurels, culturels ou idéologiques), NdT] religieux ont beaucoup en commun, même si le royaume et les Émirats arabes unis fondent leurs campagnes respectives sur des formes d’islam historiquement différentes. Les deux États du Golfe sont, en outre, rivaux dans la bataille qui se joue autour de l’âme de l’Islam, une lutte pour définir le ou les courants qui domineront la foi au XXIe siècle.

La confrontation revêt une importance accrue à un moment où les rivaux du Moyen-Orient tentent de calmer les tensions régionales, en gérant leurs différends et leurs conflits plutôt qu’en les résolvant. Ces efforts mettent davantage l’accent sur une rivalité de soft power plutôt que de hard power [ le hard power (la coercition ou la manière forte) s’oppose au soft power (la persuasion, la manière douce), NdT] qui implique souvent des alliés.

L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis promeuvent un islam « modéré », fruit des importantes réformes sociales de ces dernières années, et qui prêche l’obéissance absolue au dirigeant et relègue le clergé au rang de clerc du dirigeant.

Parmi ces réformes, on trouve la suppression par l’Arabie saoudite de l’interdiction faite aux femmes de conduire, l’amélioration des perspectives professionnelles et personnelles des femmes, la limitation des pouvoirs de la police religieuse et l’introduction de divertissements de style occidental.

En novembre dernier, les Émirats arabes unis ont autorisé les couples non mariés à cohabiter, ont assoupli les restrictions en matière d’alcool et ont criminalisé les « crimes d’honneur », une coutume tribale étroitement encadrée par la religion, et largement critiquée, qui permet à un parent masculin de tuer une femme accusée de déshonorer sa famille.

Au sein du monde musulman, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis sont en rivalité avec les courants islamistes turcs et iraniens, imprégnés de nationalisme.

Dans les États du Golfe, la modération étatique des pratiques religieuses, plutôt que celle par la théologie et la jurisprudence musulmane, est également remise en question par certains courants du wahhabisme, l’interprétation ultra-conservatrice de l’islam sur laquelle l’Arabie saoudite a été fondée.

« Depuis le début des années 1990, le wahhabisme s’est divisé en trois grands groupes : une gauche qui a développé un discours sur les droits civiques, un centre occupant des postes officiels de l’État (surnommé « ulama al-sultan » ou clercs du souverain) qui a opposé une certaine résistance à l’assouplissement de ses attributions dans les domaines social, juridique et médiatique, et une droite wahhabite favorable au discours djihadiste d’al-Qaïda et à sa focalisation sur les questions de politique étrangère », a déclaré le chercheur Andrew Hammond.

Si la Turquie et l’Iran représentent un danger géopolitique, le régime monarchique autocratique est plus fondamentalement menacé par le défi religieux posé par ce que M. Hammond appelle la gauche et la droite wahhabites, ainsi que par le Nahdlatul Ulama d’Indonésie, seul acteur non étatique dans la bataille pour l’âme de l’Islam, qui préconise et pratique une réforme de la jurisprudence islamique et adhère inconditionnellement à la Déclaration universelle des droits humains.

C’est ce que les arrestations, ces dernières années, d’universitaires et de prédicateurs saoudiens comme Safar al-Hawali, Salman al-Awda, Sulayman al-Duwaish, Ibrahim al-Sakran et Hasan al-Maliki indiquent.

Établissant implicitement une opposition avec le Nahdlatul Ulama, M. Hammond affirme que les réformes du prince héritier saoudien Mohammed bin Salman se résument à « assouplir le wahhabisme et non à le détrôner ».

Depuis son entrée en fonction, le prince héritier a radicalement freiné l’investissement de dizaines de milliards de dollars consacrés à la propagation de l’ultra-conservatisme religieux à travers le monde, notamment au Pakistan et en Afghanistan. Il a également cherché à concilier le wahhabisme avec l’ultra-nationalisme saoudien et à gommer les aspérités sociales de l’interprétation austère de la foi dans le royaume. En soumettant le clergé et en incarcérant les adeptes de la gauche et de l’extrême droite wahhabites, il a mis fin à un accord de partage du pouvoir conclu il y a 73 ans entre la famille Al-Saud au pouvoir et le clergé.

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La gauche a envisagé l’idée d’une monarchie constitutionnelle plutôt qu’absolue, a appelé à la libéralisation politique et aux droits civils et, dans certains cas, a soutenu les révoltes populaires arabes de 2011 qui ont renversé quatre autocrates arabes.

La gauche wahhabite pourrait se joindre aux mouvements qui contestent les monarchies conservatrices du Golfe et, dans le même temps, être remise en question par Nahdlatul Ulama lorsque le groupe élargira ses activités pour cibler la base militante du monde musulman au-delà de l’Indonésie, le pays à majorité musulmane le plus peuplé du monde et qui est aussi sa première démocratie. Dans le cadre de ses premiers efforts pour sensibiliser la société civile, Nahdlatul Ulama devrait lancer, avant la fin de l’année, un site web en langue arabe destiné au monde arabe.

Le concept de Nahdlatul Ulama est celui d’un Islam humanitaire qui adhère aux principes de tolérance, de pluralisme, d’égalité des sexes, de laïcité et de droits humains tels que définis dans la Déclaration universelle et va considérablement plus loin que les propositions avancées par la gauche wahhabite dont parle M. Hammond, peut-être mieux décrite par un qualificatif comme plus libérale plutôt que comme une aile gauche idéologique d’un mouvement fondamentalement ultra-conservateur.

La conception de l’islam du groupe indonésien tranche également avec la notion saoudienne et émiratie de modération religieuse autocratique qui n’implique aucune réforme théologique ou jurisprudentielle, mais utilise le « clergé du dirigeant » pour légitimer religieusement un régime répressif dans lequel les manifestations, les partis politiques et les pétitions à l’encontre du gouvernement sont interdits et la pensée est contrôlée.

« L’État a renforcé le centre wahhabite en neutralisant la gauche et la droite wahhabites, qui représentaient chacune une menace pour l’autorité et la légitimité de l’État […] Quant aux innovations de la gauche wahhabite en matière de droits civiques, illustrées par al-Awda, c’est précisément ce discours que l’État veut faire disparaître », a déclaré M. Hammond, faisant référence au religieux emprisonné.

Le bilan des partisans de la modération religieuse autocratique est, dans le meilleur des cas, en demi-teinte. Si les Émirats arabes unis ont créé une société qui, dans l’ensemble, est tolérante sur le plan religieux, ni l’Arabie saoudite ni l’Égypte, qui n’a pas les moyens de mener une bataille de soft power dans le monde musulman mais cherche à se projeter en tant que championne de la tolérance religieuse, ne peuvent en dire autant.

Le prince Mohammed a rencontré des dirigeants juifs et évangéliques. Mohammed al-Issa, chef de la Ligue mondiale musulmane, qui a longtemps été l’un des principaux vecteurs de promotion de l’ultra-conservatisme religieux saoudien, ne manque pas une occasion ces jours-ci pour exprimer sa solidarité avec les autres groupes confessionnels. Pourtant, dans le royaume, les non-musulmans n’ont toujours pas le droit de pratiquer leur culte publiquement ou de construire leurs propres lieux de culte.

En Égypte, Patrick George Zaki, un étudiant de 27 ans, est incarcéré depuis février 2020 sous l’accusation de diffusion de fausses nouvelles et de rumeurs pour avoir publié un article relatant des incidents discriminatoires à l’encontre de la minorité chrétienne copte d’Égypte.

M.Zaki a été arrêté un an après qu’Ahmed el-Tayeb, le grand imam d’Al Azhar, la citadelle égyptienne du savoir islamique, a signé le 4 février 2019 avec le pape François lors de la visite des deux hommes aux Émirats arabes unis une Document sur la fraternité humaine pour la paix dans le monde et la coexistence commune, aussi appelé déclaration d’Abou Dhabi, qui prône le dialogue interreligieux. Cette déclaration prône la liberté religieuse et le pluralisme.

En revanche, le secrétaire général du Nahdlatul Ulama, Yahya Staquf, a récemment raconté l’histoire de Riyanto dans un discours prononcé le 11 septembre à Regent University, un bastion du sentiment évangélique américain antimusulman fondé par le télévangéliste Pat Robertson. Membre de la milice de Nahdlatul Ulama, Riyanto est mort alors qu’il protégeait une église à Java la veille de Noël lorsqu’une bombe a explosé dans ses bras alors qu’il la retirait d’un banc.

« Pour nous, au sein de Nahdlatul Ulama, Riyanto est un martyr, et nous honorons sa mémoire chaque veille de Noël aux côtés de millions de nos frères et sœurs chrétiens indonésiens », a déclaré Staquf.

Source : Responsible Statecraft, James M. Dorsey, 26-09-2021

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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3 commentaires

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  1. Pas compris grand chose à cet article, sinon que son ou ses rédacteurs confondent complaisamment la modération, synonime d’équilibre, de justice, et la docilité absolue au gouvernant. Pas plus de modération que de beurre en broche, puisque pas moyen d’être ni équilibré ni extrême, j’emploie ces mots usés, comment serais-je extrémiste ou équilibré si je ne suis pas libre et si j’obéis à l’injonction de penser exactement chaque jour et de dire exactement ce qui convient au gouvernant? Si je ne peux sans péril vivre extrémiste, je ne peux donc pas non plus vivre équilibré, puisque je n’en suis pas libre. L’auteur ou les auteurs de cet article semblent n’être que des anti-Musulmans à qui convient la faiblesse et la soumission des Musulmans en toute choses. C’est tout sauf un article qui concerne les Musulmans, curieux que le site Oumma.com l’ait publié.

    Croissant de lune.

  2. L’animal n’est pas un mammifère inférieur.
    Il cherche la sécurité, boire , manger, son avidité ne va pas au dela.
    La seule légitimité que l’animal affiche, son droit d’exister.

    Les dirigeants arabes dits musulmans ne sont pas des anges et ils sont moins qu’un animal.

    Il n y a pas plus criminel en ce monde qu’une religion version services secrets. On a militarisé le monde musulman par la force de l’argent et des armes.

    Le coran parle de criminels et non d’extrémisme.

    L’islam est le juste milieu.

    L’extrémisme pour dire que demain chez dieu, chacun pour soi, un monde fait d’individu. C’est le destin.
    La modération, pour dire seul dieu est juge. c’est le libre choix.

    Les services secrets veulent une société fait d’individus, chacun pour soi, un au dela sur terre,
    on appelle ça diviser pour régner.

    Des criminels qui font le bien.

    Dans le coran, le pharaon avait dit au prophète Moise (sws), t’a grandi dans mon palais, histoire de dire tu n’est pas reconnaissant.
    Le prophète lui dit que vaut le bien que tu a fait pour un homme contre l’esclavage que tu a imposé à tout un peuple.

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