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La question judéo-arabe, entre débat scientifique et enjeux politiques

« Les cultures existent, mais elles ne sont ni immuables ni imperméables les unes aux autres. Il faut passer outre l’opposition stérile entre deux conceptions : d’un côté, celle de l’individu désincarné et abstrait, existant hors culture ; de l’autre, celle de l’individu fermé à vie dans sa communauté culturelle d’origine. »
Tzvetan Todorov, ’’La peur des barbares, au-delà du choc des civilisations’’, Ed. Robert Laffont.
« La peur se vend bien. L’islam qui fait peur se vend bien. Et l’islam qui fait peur est devenu le seul islam visible aux yeux du grand public. »
Charb, ’’Lettre aux escrocs de l’islamophobie, qui font le jeu des racistes’’, Ed. Librio.
Depuis de nombreuses années déjà, il est un lieu commun de dire que « les musulmans détestent les juifs » ou qu’ils sont « antisémites ». Pour cela, on invite les septiques à écouter les discours de certains dirigeants ou imams incultes et à regarder certaines chaînes arabes et les ostensibles manifestations, armes à la main et Coran de l’autre, brûlant le drapeau israélien et criant « mort à Israël ». Pour preuve, beaucoup diront qu’il n’y a pas de manifestations de la part des musulmans condamnant de tels agissements.
Plus récemment, un cap a été franchi par l’auteur des « Territoires perdus de la République » qui a été relaxé par le Tribunal pour cette citation tirée de son dernier livre « La France soumise » :
« dans les familles arabes, en France, l’antisémitisme, on le tète avec le lait de sa mère ».
Il s’agit, selon les juges qui viennent de relaxer Georges Bensoussan , d’une pure et simple – et innocente – figure de style, en l’occurrence une « catachrèse »…
Et les auteurs Pierre Tevanian, Faysal Riad dans leur article « catach-race » sur lmsi.net, ont raison d’expliquer :
« Puisque Georges Bensoussan ne parle pas d’un véritable lait, d’un véritable allaitement et d’une véritable digestion du lait ingurgité, le Tribunal conclut qu’il ne saurait être question de « racisme biologique ». C’est pourtant d’un racisme caractérisé qu’il s’agit, un racisme que depuis plusieurs décennies, en philosophie, en sociologie ou en histoire, on qualifie de racisme culturaliste, dès lors qu’un groupe entier, catégorisé de manière raciale (le groupe arabe) est essentialisé, homogénéisé, amalgamé, c’est-à-dire appréhendé comme un bloc monolithique et collectivement incriminé (ce que fait sans aucun doute possible Bensoussan, puisque, répétons-le, il dit : les familles arabes). »
Or nous verrons dans cet article, que sur la question de « l’antisémitisme musulman » et notamment les productions livresques de ces dernières décennies, le glissement généralisé des publications meanstream (grand public) allant dans le sens des néoconservateurs américains partisans du choc des civilisations, ne correspond pas aux travaux scientifiques universitaires et ceux d’historiens plus objectifs et plus nuancés sur cette problématique.
Nous développerons cet article en trois parties, pour aller aux origines de la discorde, pour dénoncer un révisionnisme historique, et soulever la réalité et les enjeux que cela sous-tend, afin d’étayer cette réflexion de façon plus profonde et moins manichéenne ou simpliste, comme le voudraient les auteurs de la « France soumise » ou autres prophètes de l’Eurabia ou Grand Remplacement.

Aux origines de la discorde

Comme l’explique Odon Vallet dans son ’’Petit lexique des idées fausses sur les religions’’, éd. Albin Michel. « Le terme sémite désigne aussi bien les juifs que les arabes ». Puisque ceux-ci seraient descendants de Sem, et auraient Abraham notamment comme ancêtre commun.
Or en effet, si aujourd’hui ce terme ne désigne que les juifs, cela est dû à une réduction du sens que l’on trouvait déjà sous la plume d’Ernest Renan. On gardera néanmoins le sens communément admis par commodité et pour ne pas embrouiller le lecteur.
Toutefois, comme l’a si bien démontré Michel Abitbol, professeur émérite de l’Université de Jérusalem dans son excellent livre « Le passé d’une discorde, Juifs et Arabes depuis le VII ème siècle », (éd. Perrin, coll. Tempus) la réalité historique entre Arabes et Juifs est bien plus complexe et bien plus nuancée qu’il n’y paraît.
Comme ce passage historique des tribus juives arabes de Médine qui étaient inscrites dans une logique tribale et non confessionnelle, et dont les tensions s’inscrivirent dans un contexte particulier de guerre contre les Quraychites de la Mecque (dont Muhammad et ses partisans étaient issus) et de trahison du pacte de Médine.
Beaucoup de spécialistes ont démontré que cette discorde entre musulmans et juifs, de la même façon qu’entre musulmans et chrétiens, avant d’être d’ordre théologique était d’abord une question de code de l’honneur (tradition chevaleresque), puisque le système tribal qui existait à l’époque ne permettait pas encore de différencier la logique cultuelle de ces différentes communautés qui cohabitaient aussi avec des tribus païennes et d’autres confessions, sans parler de ceux qui se convertissaient au message de la dernière révélation (tribu judaïsée, puis christianisées, puis islamisées, ou autre). La Mecque contenait déjà plus de 300 divinités, rappelons-le, et chaque peuple allait rendre hommage à son Dieu. Même après l’avènement de l’islam, beaucoup de tribus ont gardé leur singularité. Et puis d’ailleurs, les tribus arabes étaient familiarisées avec la présence des Hanif (monothéistes) ou gens du Livre (Bible) qu’ils soient juifs ou chrétiens depuis des siècles.
Pourtant, tout comme de nombreux partisans de la théorie de Bat’Yor (Eurabia), à l’instar de de Delcambre, de Zemmour, les musulmans auraient une haine viscérale des juifs et des non-croyants. Les versets qu’ils citent seraient la preuve que le Coran use de « diatribes », «d’imprécations », « d’exécrations », « d’anathèmes » à l’encontre des juifs… et que le terme « ô fils d’Israël ! » revient 41 fois (et alors ?), et qu’il serait suivi le plus souvent de reproches. Pourtant, quant aux « diatribes, imprécations, exécration, et anathèmes », pas le moindre exemple pour illustrer leurs propos ou pour étayer leur démonstration (sauf traduction tendancieuse), même si certains chroniqueurs en mal de reconnaissance et imams pétris de haine interprètent le Coran dans le sens de leur idéologie fascisante. Nouveaux inquisiteurs des Temps modernes ou schizophrènes du consumérisme à coups de pétrodollars.
Et ce qu’ils n’expliquent pas, que ce soit les islamophobes ou les extrémistes musulmans, c’est que « ces reproches » sont plutôt des conseils que Dieu donne aux juifs contemporains de Moïse. Dieu ou Allah leur ferait la morale et les inviterait à ne pas faire les mêmes erreurs que les peuples qui les ont précédés (Salaf ou Anciens), à savoir prendre en dérision les preceptes divins. Quant aux reproches, Moïse lui-même les faisait à son peuple, tout comme Jésus aux gardiens du Temple (Rabbins) et Muhammad aux arabes Quraychites de la Mecque, ainsi que tous les messagers prophètes antérieurs des écritures comme Noé annonçant le déluge… Quant aux malédictions, celles-ci ne sont adressées par Dieu qu’aux incrédules, aux négateurs, aux menteurs, aux hypocrites, etcetera, quelle que soient leurs origines et leur confession, musulman ou non. Le Coran faisant une synthèse des Révélations, comme un kaléidoscope en somme… assumant une continuité du message à travers les différents prophètes, celui de la Paix et du Salut.
Pour les musulmans, les juifs qui étaient (sont) restés fidèles à leurs écritures, à Moïse, et à Dieu, sont un exemple à suivre, d’où cette dénomination Rabi (éducateur) pour désigner les rabbins et Yahoudi communément traduit par le terme juif qui vient de la racine YHD  synonyme du mot arabe Houda (guidance). Les Banu Israël sont en effet représentés dans le Coran comme les élus de Dieu tant qu’ils sont dans le respect de l’Alliance.
Il suffit de connaître l’arabe ou de lire le Coran fidèlement traduit pour s’en convaincre. L’erreur que font certains orientalistes et les ignorants intégristes, c’est de prendre les versets où Dieu parle en son nom et du châtiment de l’au-delà, pour en faire la justification et la preuve des exactions ici-bas ou du jugement ou de l’exécution que eux exercent à l’égard de leurs victimes : Le metatexte ou metadiscours pris à la lettre, alors qu’il n’est qu’une forme de rhétorique métaphorique. Comme dans les deux autres religions monothéistes Dieu parlant sur un ton solennel, paternaliste, jurant de punir par le courroux céleste les méchants, voire par des catastrophes naturelles (tremblements de terre, guerres, maladies, déluge, etc.).
Ici, ce qui gêne davantage les sympathisants du choc des civilisations, c’est que le Coran s’attaque au dogme catholique qui affirme que Jésus (Dieu ou fils de Dieu selon eux) a été crucifié alors que pour les musulmans un sosie était sur la croix, et par conséquence les juifs n’ont pas tué Jésus. De même, si les juifs y sont critiqués dans le Coran c’est pour avoir rompu l’Alliance et pris en dérision les messagers ou voulu tuer les différents prophètes.
Les intégristes islamistes et les identitaires islamophobes sont au moins d’accord sur un point : la haine de l’Autre quitte à le tuer. Et n’ont que faire des réalités historiques, sociales, culturelles, qui ont existé entre musulmans, juifs et chrétiens.
Pour beaucoup l’Andalousie reste tout au plus un mythe voire le début du déclin de la civilisation musulmane, à cause de sa tolérance et de sa permissivité ou mixité. A tel point que même de nos jours, le débat fait rage entre spécialistes, comme si les moins progressistes ou partisans identitaires voulaient imposer leurs vues : ceux d’un monde hermétique et où chaque civilisation se suffit à elle même  (Alain de Libera, Les Grecs les Arabes et Nous : enquête sur l’islamophobie savante, éd. Fayard).
Toutefois l’histoire de la coexistence judéo-arabe n’a pas été idyllique non plus, certes il y a eu des âges d’or, mais qui ont été émaillés de plusieurs périodes sombres, suite aux croisades, à la Reconquista, et autres invasions. (Benbassa Esther, ’’L’âge d’or espagnol’’, in juifs et arabes : ’’1000 ans de cohabitation,  1000 ans d’affrontements’’ in L’Histoire, n° 243, mai 2000 ; ou Les Sépharades, Histoire et culture du Moyen-âge à nos jours, éd. PUPS).
Mais alors pourquoi cette volonté de négationnisme ou de révisionnisme historique qui voudrait que juifs et arabes se sont détestés de tout temps ?

Révisionnisme historique

L’une des têtes de fil de cette tendance révisionniste est Shmuel Trigano avec son livre ’’La fin du judaïsme en terre d’islam’’, aux éditions Denoël ; énonçant les raisons de la fin du judaïsme en terre d’islam. En effet, dès l’introduction il nous explique que suite au génocide des arméniens et le lien entre le mufti de Jérusalem avec Hitler, le destin des juifs était scellé, et qu’inévitablement ils étaient les suivant sur la liste. Conjecture ? Prospection ? Ou comment faire passer l’omission du projet sioniste (Theodor Herzl) et du rêve de la création de l’Etat d’Israël bien avant les guerres mondiales (André Kaspi, L’histoire de l’Alliance israélite universelle, de 1860 à nos jours, éd. Armand Colin), le tout sous impérialisme français et britannique, comme si les pays arabes avaient déjà acquis leur indépendance ! Pourquoi ne pas dire simplement que les juifs voulaient et veulent leur propre nation à n’importe quel prix, serait plus honnête, que de faire des conjectures historiques absurdes, afin d’avaliser le révisionnisme historique soutenu par l’idéologie sioniste.
Ce que ces polémistes omettent sciemment, c’est que l’apogée du judaïsme s’est faite en Terre d’islam, ce que l’on appelle communément la Halakha ou Lumières du Judaïsme (Cf, Haïm Zafrani, Juifs d’Andalousie et du Maghreb, éd. Maison-neuve&Larose). Maïmonide en est le modèle le plus éloquent. En effet lors de l’Inquisition ils s’exilèrent au Maghreb et en Orient. Et tout l’héritage des Séfarades et des marranes a été transmis par eux via les traductions des productions scientifiques arabes et juives.
Hélas, ce que ne savent pas beaucoup de jeunes d’origine maghrébine et de confession musulmane, parce qu’ils ne l’ont pas appris à l’école, c’est que les juifs séfarades notamment, étaient (sont) de véritables autochtones du Maghreb et que la culture maghrébine est une culture judéo-arabe, dont les traditions, le mode de gouvernance, de gestion, l’architecture, l’art, et la gastronomie… ont été fortement imprégnées.
De plus, sur le plan administratif et du pouvoir, les juifs tenaient déjà chez les musulmans des postes hauts placés, de conseillers ou de financiers  des califes ou des sultans, ce qui n’est pas encore advenu aujourd’hui en Occident (sauf peut-être le maire de Londres Saïd Khan) : la plupart du temps en France les personnalités issues de l’immigration maghrébine ne servent que de faire-valoir ou d’alibi pour attirer des électeurs.
Lire à ce propos, Jacques Attali, ’’Les juifs, le Monde et l’Argent, histoire économique du peuple juif’’, éd. Fayard ou Livre de Poche. Notamment le paragraphe, marchands juifs et premiers juifs de cours, p. 182.
Puis vinrent les événements impérialistes européens, notamment le démantèlement de l’Empire ottoman, la colonisation, le décret Crémieux donnant un statut de citoyens français aux israélites. Ce que les arabes ne comprenaient pas, pourquoi pas eux ? Ensuite avec le projet sioniste de création d’un état juif, lié à la vague antisémite en Europe et aux guerres mondiales, les événements se compliquèrent et les arabes aussi bien que les maghrébins se sentirent trahis, voire abandonnés (Alain Gresh, ”Vérités sur un conflit”, éd. ACHETTE Littératures ; ou encore De quoi la Palestine est-elle le nom ?, éd. Actes Sud).
En effet, comme le fait si bien remarquer Viviane Forrester dans son livre Le crime occidental, éd. Fayard :
« Les Palestiniens, les Israéliens savent-ils _ le savons-nous? _ à quel point ils sont étrangers à leur Histoire actuelle, à leur propre présent? À quel point ils sont les victimes non pas l’un de l’autre mais l’un et l’autre d’une Histoire soi-disant révolue, demeurée en suspens, ici réactivée sans fin et qui les a entraînés dans des conflits à la source factices, d’autant plus inachevable? Une Histoire européenne dont ils ne furent, aucun des deux, les bourreaux ni les coupables. Les Arabes recevant le fardeau, le châtiment d’un désastre auquel ils sont tout à fait étrangers; les juifs victimes de ce désastre, encouragés, sinon acculés dans un rôle d’intrus et qui ne voyaient pas que, même volontaires, même vainqueurs, ils n’étaient que mis en quarantaine.
Voyez-les s’agresser, s’entre-tuer, Juifs et Arabes, puis Israéliens et Palestiniens sous les yeux d’un Occident condescendant, délivré, qui se présente en arbitre de leurs hostilités. Un Occident comme dégagé, symboliquement au moins, de souci obsessionnel, souci que voici transplanté, métamorphosé, imposé dans un autre contexte, d’autres géographies, absorbé dans des luttes qui lui sont étrangères. Un Occident s’espérant ainsi délivré des hantises de sa propre Histoire, capable d’estimer périmé l’horreur du génocide nazi et du consentement, de l’indifférence qui l’avait accompagné, face à une tragédie nouvelle dont il pouvait et peu encore prétendre ne pas s’estimer responsable. »
La réalité était (est) très loin d’être aussi simple, et l’instrumentalisation des uns et des autres ne date pas d’aujourd’hui (Guillaume Weill-Reynal, ”Les nouveaux désinformateurs”, éditions Armand Colin.) comme le témoignait déjà Raymond Bénichou (in ”Ecrits juifs”, Alger 1957) :
« (…) pendant les sombres heures de l’arbitraire vichyssois, les Musulmans observèrent envers les Juifs une attitude de parfaite correction et accueillirent avec mépris les sollicitations (des européens) qui leur furent adressées de brimer la population israélite.
Il faut une certaine dose d’aveuglement volontaire pour y trouver la trace d’une inimitié héréditaire, comme on aime à dire, entre les Juifs et les Musulmans d’Algérie. »
Rappelons-nous aussi le refus du sultan Mohammed V, sommé de donner ses juifs aux autorités coloniales proches de Vichy. Bien entendu, pour Georges Bensoussan dans son livre Juifs en pays arabes, Le grand déracinement, tout cela n’est que mythologie, car il n’y aurait que l’allaitement de l’antisémitisme musulman par le sein des mères arabes qui relève de la vérité scientifique.
Revenons sur le point fondamental qui est repris par ces théoriciens du choc des civilisations, ou obsédés de « l’antisémitisme musulman » : le statut de Dhimmi.
Pourtant, aucun de ces polémistes n’explique que ce statut procède d’un anachronisme par rapport à la notion de citoyenneté, car il est antérieur et relevant d’une réalité impériale ou monarchique à travers le monde qui n’a vu ces concepts progressistes apparaître que depuis la Révolution française, et après d’âpres luttes (Pierre Birnbaum, Les fous de la République, éd. Fayard).
Que dire dès lors de la situation des palestiniens aujourd’hui, est-elle moins ou plus enviable que celle des Dhimmi ? Si cela n’était pas aussi tragique (Gaza), il y aurait de quoi sourire. (Esther Benbassa, Etre juif après Gaza, éd. CNRS).
Or, le sort des juifs et des chrétiens durant des siècles était bien plus enviable en Terres d’Islam qu’en Occident chrétien et antisémite.
D’ailleurs, suite aux progrès et aux révolutions en Europe, tout change avec les réformes administratives et politiques libérales. Celles-ci connues sous le nom des Tanzimat (réorganisation de 1839-1876) dans la perspective de moderniser l’Empire ottoman afin d’en assurer la survie. Ces réformes introduisent des transformations qui remettent en question les rapports de domination séculiers entre les communautés.
De plus, la réalité historique montre que la complexité ne date pas d’aujourd’hui, à l’instar du soutien des juifs dès les premières Futuhates (ouvertures) contre les Wisigoths, lors de la conquête de l’Espagne par les sarrasins. Ou encore, de la réalité des razzias et des raids en méditerranée de la part des corsaires Barberousse (les frères Arudj et Khayr al-Din convertis à l’islam et d’origines albanaise ou grecque entre autres), qui révèlent une réalité bien plus complexe, convoyant séfarades et musulmans fuyant l’Inquisition, quant à la mise en « esclavage » des prisonniers chrétiens, ils n’étaient en réalité qu’une valeur marchande afin de les échanger contre de l’or et de l’argent (CF, Guillaume Calafat et Wolfgang Kaiser, Razzias et rançons en méditerranée, magazine l’Histoire, Les kurdes Mille ans sans Etat).
Juifs chrétiens et musulmans n’étaient pas dans des blocs monolithiques et étanches. Tout comme le mythe de Poitiers en 732, celui-ci n’a été mis en place que pour fonder l’unité de la Nation autour de la fille de l’Eglise (la France) et du Roi (représentant de Dieu). (William Blanc, Christophe Naudin, Charles Martel et la Bataille de Poitiers, de l’Histoire au mythe identitaire, éd Libertalia)
De la même façon, l’un des mythes fondateur des partisans du révisionnisme historique enseigné par les sionistes, à l’instar de Shmuel Trigano, est cette figure du Mufti de Jérusalem qui aurait salué Hitler ou encore l’Empire ottoman qui aurait envoyé des contingents de soldats soutenir l’armée du III ème Reich. C’est oublier que le Mufti ne représente que lui-même, parce qu’il n’y a pas de Pape en islam, et que l’Empire ottoman en déliquescence pour ne pas dire dépecé par les puissances britanniques et françaises, n’a pas trouvé d’autres alternatives pour défendre ses dernières billes.
Réduire ces deux événements comme preuve de l’antisémitisme musulman, relève soit d’une méconnaissance du sujet soit d’une mauvaise foi et d’un manque de sérieux scientifique.
D’ailleurs, l’un des livres de référence sur la question est plutôt celui de Gilbert Achcar, Les Arabes et la Shoah, éditions Sindbad, qui reste dans une objectivité scientifique poussée jusqu’au souci du détail et une documentation fournie.
Mais l’on peut se demander, pourquoi ces partisans du choc des civilisations sont-ils enclins à soutenir de telles théories aussi extrêmes que dangereuses ?

Réalité et enjeux politiques

La réponse pourrait venir de la réflexion intellectuelle de George Corm, qui explique que le conflit libanais n’était pas une guerre de religion (Une lecture profane des conflits, sur le « retour du religieux » dans les conflits contemporains, éd. La Découverte).
Et l’on peut étendre cette analyse au conflit israélo-palestinien, où souvenons-nous, que les premiers groupes de résistances étaient constitués d’arabes chrétiens. Ce que d’aucuns appelaient l’Orient compliqué. Ce manichéisme n’est apparu que récemment, suite à la pauvreté des analyses de la presse écrite et à une volonté de réduire la pensée critique à une uniformisation façon Big Brother (1984, George Orwell) notamment depuis le 11 septembre et Bush… en attendant l’Armageddon.
Donc, on ne peut faire l’économie d’une réalité historique et politique israélo-palestinienne complexe. Ce faisant, les dirigeants arabes tout comme les dirigeants français, ou du moins quelques partisans communautaires, font leur fond de commerce de cette situation. A défaut de résoudre les vrais problèmes de leur société (discrimination, chômage, violence, etc.) ces responsables médiatiques, politiques ou intellectuels, focalisent toutes leur attention vers les problèmes des banlieues, vers ces conflits, vers la Syrie et toutes les zones rouges du terrorisme islamiste, afin de détourner l’attention et le mécontentement de la population vers l’ennemi intérieur ou extérieur, à savoir cette religion qu’est l’islam, et de l’autre côté de la méditerranée le ressentiment contre cet Occident haï et admiré. (George Corm, Orient-Occident, la fracture imaginaire, éd. La Découverte).
Cette volonté de réduire le conflit israélo-palestinien à des questions de confessions, nous fait oublier que le gouvernement israélien lui-même a participé à cette tendance en soutenant le Hamas contre le parti laïc de Yasser Arafat. Jusqu’au point que de son côté, la Knesset s’est laissée gagnée par la fièvre de l’extrême droite religieuse. Et en France, entre le marteau et l’enclume, entre les partisans de l’Aliyah (immigration en Israël) suite aux attentats terroristes et ceux d’une communauté cosmopolite mondialisée modèle Newyorkais, la crise identitaire n’a jamais été aussi prégnante (Sylvie Braibant et Dominique Vidal, Juifs de France en perte de repères, Le Monde Diplomatique, manière de voir n°152, Avril-Mai 2017).
Dès lors, la question a pris une dimension sacrée sans précédent, alors que la demande d’indépendance des palestiniens s’inscrivait à l’origine dans le mouvement général des peuples à l’autodétermination, au lendemain des guerres de résistances contre la colonisation occidentale (J-C. Attias Esther Benbassa, Israël, la Terre et le sacré, ed. Flammarion).
Pourtant dans le bal des hypocrites, beaucoup font comme si l’Arabie Saoudite n’avait aucun lien avec les USA et Israël, de même que de nombreux dirigeants de pays arabes. Qui officiellement critiquent Israël et l’Occident, et officieusement maintiennent des relations étroites, voire même historiques. Au point que ceux-ci peuvent faire pression pour les soutenir dans telle ou telle volonté d’union territoriale (exemple, le Sahara Occidental).
Quant à dire qu’il peut y avoir des antisémites musulmans, cela reste étymologiquement complexe (vu que les arabes sont des sémites), mais nul ne peut nier qu’il existe du ressentiment à l’égard de la politique israélienne et le joug colonial que subissent les palestiniens : qualifié d’Apartheid par la majorité des organisations humanitaires.
Ce ressentiment, voire cette haine, n’est que le produit de cette réalité géopolitique et d’instrumentalisations idéologiques via chaînes satellitaires saoudiennes notamment, ou encore ceux de dirigeants arabes jouant l’invective contre le méchant Israël ou USA afin de calmer les populations arabes frustrées économiquement et culturellement. Les maintenir sous le joug d’une idéologie salafiste djihadiste dont les spécialistes de l’islamisme ont depuis des décennies avertis la dangerosité et les pays acheteurs d’or noir fermant les yeux pour des raisons de Realpolitik (Israël et les USA), notamment lorsqu’Arabie Saoudite leur vend ses barils de pétrole ou gaz à très bas prix et agit dans leurs intérêts, via pressions diplomatiques sur d’autres pays musulmans. Comment oublier l’Egypte d’al-Sissi qui subit la pression pour vendre le gaz à Israël, à un prix défiant toute concurrence : Le prix de son maintien au pouvoir sur siège éjectable.
Il suffit aussi de voir le jeu pitoyable des attaques contre le Yémen afin d’endiguer la « menace chiite », remake de la guerre Irak-Iran. Idiots utiles faisant plaisir aux lobbys des armements. Rappelons-nous de François Hollande qui avait remis la légion d’Honneur à un prince saoudien lors de la journée de la femme (pour avoir acheté des armes françaises invendables) : Simone de Beauvoir aurait-elle écrit le deuxième sexe pour rien ? Et les saoudiennes peuvent encore attendre durant des siècles d’avoir le droit de conduire !
« L’antisémitisme musulman » a un avantage lorsqu’il est généralisé sous la plume de Bensoussan ou de Zemmour ou de Finkielkrault, c’est qu’il permet de minimiser ou d’occulter la réalité du racisme structurel en France, la fracture économique et culturel des populations (lire à ce propos, Benoît Breville, Islamophobie ou prolophobie ?, Le Monde diplomatique, n°152, manière de voir Avril-Mai 2017). Il permet aussi de ne voir que des antisémites en puissance, et l’on sait ce que cela implique dans le psychisme de nombreuses personnes, notamment lorsque cela nous remémore l’histoire de France Vichyste, avec tout le kaléidoscope de l’affaire Dreyfus jusqu’à la déportation. (Zeev Sternhell, ni gauche ni droite, éd. Folio).
Le terrorisme islamiste n’a fait qu’ajouter la défection au soutien traditionnel tiers-mondiste des années 60-80 (Jean Genet), l’incompréhension, voire une couche d’indignation de résignation, si ce n’est de haine (montée du FN), loin des idéaux progressistes dignes d’un Jean Jaurès à l’instar de ceux qui manifestaient avec les jeunes maghrébins dans les années de la Marche pour l’Egalité avec des mains estampillées Touche pas à mon pote, (ces mêmes qui aujourd’hui parlent d’identité malheureuse ou d’esprit du judaïsme ou « nouveau Jonas sauveur » de la Lybie) ; de même ceux qui soutenaient la résistance palestinienne tant qu’elle était laïque ou marxiste et qui ne se reconnaissent plus dans « ces conflits religieux ».
De l’autre côté, les partisans de la colonisation ou de l’Apartheid disent « vous voyez ce que nous subissons en Israël et pourquoi nous avons fait un mur de séparation ! ». Faisant en sorte que la Libanisation ou la Balkanisation des conflits prennent une dimension confessionnelle, voire paradigmatique, comme si cela restait la seule grille explicative des rapports sociaux dans le monde. Troisième volet de la trilogie Batman du Bien contre le Mal. A l’instar de Franz-Olivier Giesbert dans l’émission Ce soir on n’est pas couché sur France 2 du service public (payé par le contribuable) qui avait dit qu’il pissait sur les réseaux sociaux et que les juifs étaient en Israël depuis 10 000 ans, et par conséquent si l’on comprend le bonhomme, la Bible faisant office de document notarial ! Les partisans des Lumières ou de la Laïcité ont de quoi se retourner dans leur tombe, et pour les vivants, de s’hérisser les poils !
Cette surenchère, cette propagande, ce révisionnisme, ne peuvent que nous mener vers le pire. L’identité comme souffrance ne peut amener l’Humanité vers le progrès social ou l’humanisme. (Esther Benbassa, La souffrance comme identité, éd. Hachette Littérature). Avoir comme modèle la prison juive (Jean Daniel, la prison juive, éd. Odile Jacob) ou le repli communautaire, fait que nous sommes loin des idéaux que proclame Jacques Attali, celui d’un citoyen cosmopolite et mondialisé, et ouvert. D’où le déclin et la régression. Loin des idéaux des Lumières non pas fondés sur une mythologie de Terre Sainte mais sur les Droits de L’Homme (ce que Zemmour exècre, sic).
« L’antisémitisme musulman » s’il existe, il n’est certainement pas tété du sein de la mère arabe, comme une transmission biologique voire génétique ! Il est le produit d’une histoire coloniale ! Et l’instrumentalisation des uns et des autres, à des fins idéologiques ou politiques, ne peut amener à un climat de paix.
Pourtant, la littérature scientifique n’a de cesse de montrer la réalité historique bien plus nuancée et apaisée que ne voudraient nous le faire croire les partisans identitaires de tous bords
Comme l’écrivait feu Charb, être critique à l’égard des religions n’est pas du racisme. D’autant plus lorsque celles-ci se laissent envahir par des idéologies fascisantes et messianiques telles que le salafisme djihadiste ou encore le sionisme extrémiste qu’il soit évangéliste américain ou d’orthodoxie juive. Il faut se rappeler que les dérives antisémites d’extrême droite chrétienne ne correspondent en rien au message d’Amour de Jésus. Et qu’il ne faut pas confondre dérive idéologique messianique qui n’est qu’une interprétation dangereuse des Textes révélés. D’ailleurs, il est inquiétant de voir qu’au niveau de la politique internationale, c’est cette tendance des messianismes monothéistes qui donne le La des décisions politiques et des interventions militaires. A ce demander si l’esprit des Lumières ne serait confiné que dans les frontières de l’hexagone, et que dès que l’on va en Palestine, tous nos principes de Droits de l’Homme s’évanouissent pour ne laisser place qu’à la venue du nouveau Messie.
 

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  1. Certains juifs sionistes ont déclaré la guerre aux palestiniens (musulmans, chrétiens, athés) en 1948. Ils n’ont pas déclaré la guerre au reste du monde musulman.
    Je soutiens le combat des palestiniens, je boycotte les produits de ce pays depuis que je suis gamin mais je n’ai jamais été en guerre contre les juifs même pas contre les israeliens qui ne sont pas tous des extremistes et des colons.
    La mesure et la raison sont des vertus en Islam, il serait temps de les cultiver.
    Que Dieu nous guide.

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