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Noël

Décembre. Le froid, le ciel gris et bas, l’obscurité à seize heures, les SDF allongés sur les grilles d’aération du métro et les lumières étincelantes de la ville. Dans quelques jours, c’est Noël et, comme chaque année, j’entends les mêmes phrases amicales mais prudentes : « Bon, je ne te souhaite pas ‘joyeux Noël’ mais bon week-end quand même ! », m’a ainsi lancé un confrère. J’ai été obligé de lui expliquer que je considère cette fête comme appartenant à tous ceux qui vivent en France. Je n’ai pas dit cela pour lui faire plaisir ou pour tenter de le convaincre qu’il y a de gentils musulmans oecuméniques dans son pays. Non, j’insiste et j’assume, pour moi Noël est, en France, l’une des plus belles fêtes.

Bien entendu, je ne me place pas au niveau religieux mais simplement sur le registre de la fête nationale : ni le 1er mai ni même le 14 juillet n’arrivent à générer une telle frénésie dans la population française quelle que soit la race ou la religion. Comme le montrent d’ailleurs les sondages publiés tous les ans à la même période, Noël est la fête préférée des Français. On peut toujours gloser sur le hbal, la folie qui s’empare de tous ces gens qui courent les grands magasins un portable à la main et de gros paquets à l’autre. Oui, c’est vrai, c’est le moment de la « hafaga grave » : dinde, foie gras, huîtres, charcuterie, boudin, escargots, fruits de mer, chocolats. Oui, c’est vrai encore que c’est la période vitale pour les commerçants et leurs chiffres d’affaires. Il n’empêche : Noël, c’est aussi et avant tout la fête de la famille et des retrouvailles même si cette année la presse parisienne nous a livré quelques articles étonnants sur le « stress de Noël » et la résurgence des disputes familiales à cette occasion.

Pour être honnête, je concède que je penserai différemment si je vivais encore en Algérie. Je n’ai jamais supporté de voir des bûches dans les vitrines des pâtissiers algérois à l’approche du 25 décembre. Cela me paraissait incongru, totalement artificiel et relevant d’une aliénation qui ne disait pas son nom. Fêter le 1er de l’an me paraissait normal – aaah, les réveillons organisés au Club des pins par Réda A. (qui se reconnaîtra) – mais en faire de même pour Noël (je ne parle pas des chrétiens d’Algérie ou même des mariages mixtes) relevait pour moi de l’anachronisme culturel. Mais le pire, disons-le plus vulgaire, c’est cet immense sapin vu dans un centre commercial de Dubaï avec à ses pieds une chorale d’Anglaises bien propres sur elles qui se prenaient vraiment au sérieux comme si elles se trouvaient du côté de Trafalgar Square.

Bien sûr – et je rassure là au passage ma mère et ma tante de Blida -, je n’irai pas à l’église pas plus que je ne chercherai à entendre le message urbi et orbi de Benoît XVI. Mais comment vous dire ? En fin de soirée du 24, alors qu’il sera temps pour moi d’abandonner le clavier de mon ordinateur, je serai heureux – oui, heureux et apaisé – d’entendre mes voisins sortir de chez eux pour la messe de minuit. Cela effacera en grande partie le vague à l’âme que j’aurai éprouvé en fin d’après-midi en quittant mon bureau à l’heure où les rues de la ville se vidaient pour n’accueillir que les solitaires et les sans-abri.

Comme tout événement à grande portée culturelle, Noël est aussi une période qui a ses codes. J’ai par exemple mis du temps à remarquer que, souvent, les gens prennent bien soin de dire « joyeuses fêtes » et évitent le traditionnel « joyeux Noël ». Laïcité ? Pas vraiment, mais plutôt respect à l’égard de ceux pour qui le 25 décembre pourrait ne rien représenter de particulier, à commencer par les juifs et les musulmans de France. Sont-ils nombreux dans ce cas ? Rien n’est sûr mais si j’ai pris soin de vous raconter tout ce que Noël m’inspire, c’est parce que je tiens à évoquer le comportement de certains de nos frères en religion. Pour eux, il est hors de question de fêter Noël car ce serait, toujours selon eux, un grand péché. Ils en sont tellement convaincus qu’ils empêchent même leurs enfants, y compris les plus jeunes, de participer aux fêtes organisées par les écoles et bannissent toute référence au père Noël. Bonjour la schizophrénie !

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Cette attitude est tout sauf clairvoyante. D’abord, parce qu’en 2005, il n’est pas nécessaire d’être chrétien pour fêter Noël. Ensuite, parce que ces gens et leurs enfants vivent en France et qu’il n’est pas sain de vouloir toujours marquer sa différence. Il est normal de s’élever contre les discriminations et la xénophobie ambiantes mais les musulmans de France ont tout de même des efforts à faire pour empêcher que leurs enfants se sentent étrangers aux autres dès leur plus jeune âge ; en un mot, d’empêcher qu’ils se construisent un imaginaire de minoritaires et donc, potentiellement, d’exclus. Fêter Noël, quand on vit en France, ce n’est pas de l’assimilation ni de l’apostasie. Cela n’empêche pas de garder sa foi et son identité. Surtout, et c’est le plus important, cela permet d’aider ses enfants à se sentir le plus longtemps en phase avec leurs camarades même si l’on sait que le déphasage risque de venir plus tard et peut-être même de manière douloureuse.

Certains m’expliquent aussi qu’il ne faut pas souhaiter un joyeux Noël aux Français parce qu’en faisant cela, on les incite à demeurer égarés et à l’écart du chemin de rectitude. J’avoue ne pas savoir quoi répondre si ce n’est que cette fête est aussi une occasion de nouer un dialogue inter-religieux car l’histoire des religions est une matière qui compte des millions de cancres en France. Lorsque je dis que Jésus est notre Aïssa et que nous le considérons aussi comme prophète, les yeux se font tous ronds même lorsque je précise que pour nous il n’est pas le fils de Dieu et qu’il n’est pas mort sur la croix. Et ces yeux s’écarquillent encore plus lorsque j’ajoute que Marie, notre Meryem, est citée près d’une soixantaine de fois dans le Coran et que les musulmans en appellent souvent à elle (surtout au Machrek) et croient à l’Immaculée Conception. Et s’il le faut, je propose une copie de l’essai de traduction de la sourate de Marie par Jacques Berque ou par Hamza Boubakeur (le père de qui vous savez). Cette sourate à propos de laquelle un chrétien de Syrie m’a ému un jour en me disant qu’il lui arrivait de pleurer en la lisant. Cette sourate où il est question à seize reprises d’al-Rahmân, « le Tout miséricorde ». Que faut-il ajouter de plus ?

Le Quotidien d’Oran, jeudi 22 décembre 2005

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