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Entretien avec le député M’jid El Guerrab, auteur du livre “Déconstruire la haine – Deux années au palais Bourbon“

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Dans cet entretien accordé à Oumma, M’jid El Guerrab, député de la neuvième circonscription des Français établis hors de France, rattaché à l’Union des démocrates, radicaux et libéraux, évoque sans langue de bois les failles et les manquements de la démocratie représentative, tout en se voulant force de proposition pour y remédier. Il est l’auteur du livre “Déconstruire la haine – Deux années au palais Bourbon” , paru aux éditions Alma Editeur.

Vous affirmez, malgré votre fonction actuelle, ressentir toujours en vous le “complexe de l’imposteur”, ce complexe dont souffrent les personnes issues de milieux modestes et auquel le temps ne fait rien ?

En effet. Ce que j’appelle le complexe de l’imposteur, c’est ce sentiment étrange que ressentent les personnes issues des milieux modestes lorsqu’elles accèdent à un nouveau statut social. L’idée qu’elles doivent leur réussite à un concours de circonstances, dont elles ne sont pas vraiment à l’origine.

Aujourd’hui, il m’arrive encore de ressentir ce complexe malgré ma fréquentation du Palais Bourbon, et j’aimerais dire aux plus jeunes qu’ils doivent totalement s’en affranchir, car nul n’est illégitime dès lors qu’il s’en sort par son travail. Vous n’êtes et ne serez jamais des imposteurs, dès lors que vous avez travaillé pour réussir.

Votre livre part d’un postulat de départ très simple : « Nous allons dans le mur ». Vous parlez même d’une insurrection populaire qui pourrait tout emporter. Dans cet ouvrage, vous portez un regard averti sur les coulisses et le quotidien d’un député au cœur de notre démocratie. Avant d’aborder les réformes que vous proposez, en tant qu’élu du peuple, sentez-vous monter cette colère sur le terrain ? Etes-vous toujours en prise directe avec la réalité sociale de notre pays ?

La réalité du pays, je la connais intimement, tout simplement parce que je la vis.

Ma plus grande force, c’est de n’avoir jamais oublié d’où je viens. Après mai 68, il était courant d’interpeller son contradicteur en lui lançant “d’où parles-tu, camarade ?”. Personnellement, je n’ai jamais oublié d’où je parle. Fils d’immigrés marocains, d’Aït Ishaq, j’ai grandi dans le Cantal, et mes parents m’ont transmis des valeurs simples : l’honnêteté, le travail, et l’humilité dans les grâces et les difficultés de la vie.

Alors, je m’efforce d’être attentif aux gens qui m’entourent et de les écouter. Et je constate qu’ils expriment de plus en plus clairement une forme de mal-être, en rupture avec ce qui se décide “en-haut”. Beaucoup m’ont dit leur impression de ne pas être considérés, cette idée qu’au fond, leur avis ne compte pas.

C’est là que j’essaye de jouer mon rôle de député, pour porter la voix et les idées de mes compatriotes, car le dialogue est la seule façon d’apaiser les tensions.

Vous rappelez qu’autrefois la fonction de député était respectée. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Elle est même, dites-vous, “l’une des fonctions les plus détestées de France”. Pourquoi la représentation nationale est-elle tombée à ce point en discrédit ?

Je crois qu’historiquement, les Français ont toujours entretenu une relation particulière avec leurs responsables politiques, faite tantôt d’exigence, de méfiance, d’admiration ou de rejet. Ces dernières années, c’est clairement le sentiment de rejet qui prédomine.

A mon sens, ce constat s’explique par plusieurs facteurs.

D’une part, les Français sont frustrés de se sentir écartés du débat public. Car si l’élection permet de choisir son Président une fois tous les 5 ans, elle ne permet pas une véritable participation du citoyen à la chose publique. Or, je sens partout l’aspiration de nos compatriotes à exercer plus activement leur citoyenneté, en étant davantage associés aux processus de décision politique.

D’autre part, je pense que les scandales politiques – rares mais réguliers – confortent les citoyens dans cette idée que leurs représentants sont déconnectés du monde réel, et qu’ils ne peuvent comprendre leurs problèmes quotidiens. Je crois que cette vision est en partie erronée, car la grande majorité des élus fait son travail avec passion, au service de la République et de l’intérêt général. 

Les partis politiques se caractérisent, selon vous, par une loi « d’airain de l’oligarchie ». Ces partis ont-ils encore un caractère démocratique ou ne sont-ils devenus que de simples machines électorales, sans réel programme, si ce n’est celui de distribuer des postes dotés de précieux privilèges qui attisent toutes les convoitises ?

Je pense que les partis politiques, à l’origine, sont l’expression même de la démocratie, puisque c’est le pluralisme qui fait le débat. En revanche, je constate que l’élection de 2017 a entraîné la “quasi-mort” des partis politiques traditionnels, rejetés par les Français. Pourquoi ?

Le problème structurel de ces partis est, à mon avis, qu’ils n’ont pas su inventer les idées de demain. Or, à défaut de proposer quelque chose de neuf à la société, les citoyens sont passés à autre chose, en se tournant notamment vers les extrêmes. Par ailleurs, ils vivent en vase clos, ne se parlent qu’à eux-mêmes. 

Le second problème vient de la capacité de ces partis à incarner la société française, telle qu’elle se présente aujourd’hui, dans toute sa diversité culturelle, universitaire et socio-professionnelle. On constate, par exemple, que les cadres des partis traditionnels n’ont jamais changé, ni les programmes, au fond. Et pourtant, le visage de la France s’est profondément transformé en 30 ans.

LREM est arrivée avec une idée simple : nous ne sommes pas un parti, nous sommes un mouvement. Cliquez sur internet et vous en saurez davantage. C’est ce qu’il s’est passé et qui a tout emporté. 

Concernant la rémunération des députés qui fait toujours débat, vous proposez une réforme constitutionnelle visant à établir leur bon niveau de salaire. Des députés dont vous déplorez, dans votre livre, qu’ils soient “télégraphisés”. Vous prônez le modèle du député “super législateur”, présent à 100% à Paris pendant les semaines d’activités parlementaires ?

Je pense que la rémunération du député, en tant qu’il est investi d’un mandat public, mérite un débat publique, transparent et démocratique. Ce serait un moyen de répondre aux fantasmes d’une part, et de définitivement clore le sujet d’autre part.

A titre personnel, j’aborde la question sans démagogie : certains préconisent des députés au SMIC, ce n’est pas mon cas. Car je sais la dureté de la vie politique et le lot de sacrifices qu’elle implique : temps, famille, proches. Je crois que cet effort doit être justement rémunéré, mais que nous devons discuter de ce niveau de rémunération. C’est une proposition, débattons-en !

Concernant la fonction, j’explique qu’un député est avant tout un homme. Qui a besoin de vivre normalement. De travailler normalement. Commencer ses journées à 8h et finir à 19h. Avoir ses week-ends et ses vacances pour se reposer. Je dis cela, alors que celles et ceux qui me suivent sur les réseaux sociaux savent que je ne me ménage pas. En tout cas, je pose cette question : un député doit-il travailler la nuit, les week-ends, faire des sessions de 11 mois, être en permanence sur le grill ? Par ailleurs, quelqu’un qui travaille dans ces conditions fait-il du « bon boulot »? Pour ma part, je m’y plie, mais je pense qu’en terme d’efficacité dans la production législative, nous ne sommes pas très bons.

Vous dénoncez l’endogamie des hauts fonctionnaires entre Paris et Bruxelles, vivant dans une même bulle idéologique soumise aux règles économiques voulues par les penseurs libéraux.

Effectivement, la crise sanitaire du COVID-19 et ses répercussions économiques nous ont montré qu’il est urgent de sortir de l’orthodoxie budgétaire prônée ces dernières années. C’est simple : il n’y aura pas de relance sans investissements massifs.

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J’explique d’ailleurs dans mon livre quelles sont les origines de la fameuse “règle des 3%” qui structure l’intégralité du budget de la Nation, alors qu’elle est une conception intellectuelle que rien ne rend absolue, sinon notre obsession politique.

Je constate pourtant que le Président de la République a longuement rappelé, pendant la crise sanitaire, que nous devions répondre à la crise sociale et économique “quoi qu’il en coûte”. J’approuve cette vision ! Elle gagnerait même à être davantage enseignée en école de commerce…

Il est impératif, selon vous, de réformer notre Constitution, la pierre angulaire d’une République française aux airs de « monarchie républicaine », grâce à un véritable rééquilibrage de nos institutions. Quelle réforme vous paraît-elle la plus urgente?

A mes yeux, il est urgent de changer cette “monarchie républicaine”, en provoquant une rupture nette entre l’élection présidentielle et les élections législatives.

En réalité, l’instauration du quinquennat et l’agencement du calendrier électoral ont lié ces deux temps forts de la vie politique pour faire des législatives le 3ème tour de l’élection présidentielle. En conséquence, nos compatriotes ne votent qu’une fois tous les 5 ans et ont l’impression que le débat démocratique disparaît jusqu’à la future échéance.

Pour y remédier, je propose d’instaurer un temps démocratique au milieu du quinquennat, comme il existe par exemple aux Etats-Unis avec les élections de mi-mandat.

L’idée serait d’émanciper le Parlement de la tutelle de l’Exécutif, pour que l’Hémicycle redevienne la caisse de résonance des débats de société. En conséquence, nos compatriotes voteraient plus souvent, avec une réelle possibilité d’influer sur la ligne gouvernementale.

Il faut également changer notre Constitution pour passer à une 5ème République plus équilibrée, en faveur du Parlement. Moins de députés avec beaucoup plus de moyens d’action pour contrôler le gouvernement. Aujourd’hui, le seul pouvoir faible face à un Exécutif écrasant est notre pouvoir législatif. J’émets dans ce livre de nombreuses propositions pour y parvenir. 

Quant au fameux quatrième pouvoir, pour « assainir l’information », vous préconisez d’instaurer un Conseil de presse. Quelles seraient sa vocation et ses principales missions ?

Ma proposition découle d’un constat : en France, nous n’avons aucun Conseil de presse comparable à ce qui existe dans d’autres grandes démocraties comme la Belgique, l’Espagne ou l’Allemagne.

Certes, il existe le CSA qui régule la télévision, mais il se contente de garantir l’exercice de la liberté de communication audiovisuelle, avec les critiques que l’on connaît quant à sa dimension politisée.

Ce qu’il manque à notre pays, c’est une institution qui veillerait au respect des règles déontologiques par les journalistes, et dont la création apparaît nécessaire à l’heure des fake news et de la confusion entre journalisme politique et militantisme masqué (je pense notamment aux dérapages récurrents d’Eric Zemmour).

Le Conseil de la presse aurait ainsi pour mission de recevoir et d’instruire les plaintes pour prononcer des sanctions morales à l’encontre de journalistes qui contreviennent aux règles élémentaires de déontologie, non pas pour les censurer, mais pour la bonne information de nos citoyens, car la manipulation de l’information constitue un outil de déstabilisation de nos démocraties. Il existe des conseils ou des ordres dans toutes les professions réglementées. Etre journaliste n’est pas une liberté, n’est pas journaliste qui veut, c’est un métier, un engagement, une fonction essentielle à la démocratie. 

Votre livre aborde également une question sensible : celle du droit de vote pour tous. Vous estimez profondément injuste le fait que des étrangers extra- communautaires ne puissent pas voter aux élections municipales hexagonales. A l’heure de l’extrême droitisation du débat public, comment mettre en lumière l’iniquité d’une telle exclusion ? Rappelons que ce sujet épineux fut une promesse non tenue de la gauche.

Effectivement, ce fut une promesse de la gauche, et je regrette que cette gauche se soit perdue dans un débat sur la déchéance de nationalité, alors qu’elle pouvait consacrer une promesse électorale : le droit de vote des étrangers. Mais ça c’est un autre sujet.

Rappelons, pour mettre fin à un grand fantasme, que l’immense majorité des étrangers qui vit en France aime ce pays, travaille dans ce pays, élève ses enfants ici et paye des impôts qui bénéficient à toute la collectivité. Parmi ces étrangers, vous avez ceux qui votent, les Européennes et les Européens, et vous avez ceux qui sont exclus : les Africains. N’est-ce pas injuste ? 

La gauche a paralysé la France pendant un an pour faire le droit au mariage pour tous. N’aurait-elle pas pu faire le droit de vote pour tous ? Je ne comprendrai jamais ce courage relatif pour les uns ou pour les autres. A l’époque, j’étais conseiller ministériel et l’on m’a expliqué que ce n’était pas une revendication populaire massive… 

J’ai toujours été en faveur du droit de vote des étrangers. Je persiste et je signe.

Propos recueillis par la rédaction Oumma

 

 

 

 

 

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