Les personnes issues de l’immigration notamment maghrébine subissent des discriminations multiformes et en particulier un accès verrouillé au monde du travail.. Des dispositions ont été prises (par exemple, le projet du CV anonyme malheureusement abandonné) mais cela n’est pas suffisant. Quels engagements comptez-vous prendre pour lutter efficacement contre les discriminations ?
Dire non au racisme, ce n’est pas seulement s’en indigner. C’est prendre toutes les mesures nécessaires pour que l’État, par ses politiques, contribue activement à une lutte efficace, pour reprendre votre expression, contre toute discrimination. C’est agir pour l’égalité.
La société française a eu beaucoup de mal à reconnaître l’existence de pratiques discriminatoires à caractère raciste. Pourtant, une récente enquête du Bureau international du travail confirme que, dans quatre cas sur cinq, les employeurs préfèrent embaucher un candidat « d’origine hexagonale ancienne » plutôt qu’un postulant d’origine maghrébine, noire africaine ou des DOM-TOM. Car les populations originaires des ex-pays colonisés, mais aussi des Français des territoires d’outre-mer dans lesquels s’est pratiquée la traite négrière sont les principales populations discriminées, face à l’embauche, au logement, aux loisirs. Génération après génération, les mécanismes discriminatoires se perpétuent.
Contre les politiques libérales qui organisent la mise en concurrence des hommes et des femmes, le repli sur soi, le rejet de l’autre, il faut avoir le courage de s’attaquer à l’ensemble des discriminations : qu’elles soient liées à l’origine, à la couleur de la peau, à la religion, à la sexualité, à la situation sociale et au quartier où on habite, qu’elles touchent les jeunes, les femmes, les immigrés, les gens du voyage, les personnes en situation de handicap…
Je propose que la lutte contre toutes les discriminations soit déclarée Grande Cause nationale pour toute la durée de la prochaine législature, cela afin de donner à ce combat l’ampleur et la durée nécessaire. Les discriminations résultent de systèmes complexes, d’opinions, de perceptions, de pratiques, de représentations qui traversent la société. Il faut une volonté politique, des projets, des actions et des luttes persévérantes pour établir l’égalité des droits.
Il faut donc renforcer le rôle de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations en lui donnant des moyens supplémentaires, créer un corps d’inspecteurs d’État de lutte contre les discriminations pour faire reculer les discriminations dans l’accès à l’emploi, au logement et aux loisirs, faire appliquer strictement les lois contre les discriminations, contre tous les racismes, faire respecter l’interdiction des contrôles « au faciès », accorder le droit de vote et d’éligibilité aux résidents étrangers, déconstruire les fondements de l’imaginaire de la République coloniale et créer les conditions de la réflexion sur son héritage.
L’histoire de la colonisation doit être écrite et enseignée. Bien entendu, c’est aux historiens de la faire, de manière pluraliste. Une large part doit être donnée à la culture et à l’histoire des pays concernés. On a besoin de connaître cette histoire, de mieux faire découvrir l’histoire du racisme, liée à celle du colonialisme et de l’esclavage, comme on a besoin de faire connaître l’apport économique, social, culturel et historique de l’immigration. Il faudrait enfin reconnaître que c’est toute notre culture qui s’enrichit des apports des hommes et femmes issus de l’immigration ou de l’Outre-mer.
Les propositions que je formule contre les discriminations sont inséparables du combat que j’entends mener contre les inégalités sociales. Elles s’intègrent dans un projet de société fondé sur les valeurs d’égalité, de justice, de solidarité. Car l’égalité des droits c’est aussi des moyens consacrés à l’éducation pour la réussite scolaire de tous. À ce propos, je souhaite l’apprentissage à l’école de sa langue maternelle, la langue des parents ainsi que les langues « régionales », toutes faisant selon moi partie des langues de France. C’est aussi la sécurisation de l’emploi ou de la formation pour toutes et pour tous, le développement de services publics de proximité dans les quartiers populaires, la construction de 600 000 logements sociaux et la création d’un service public du logement, le développement de la culture et la reconnaissance de l’enrichissement mutuel des cultures présentes sur notre territoire comme sur notre planète.
Êtes-vous favorable au droit de vote des résidents non communautaires ? Si oui, à quelles élections ?
Je viens de l’évoquer. Aucune partie du peuple ne doit être exclue du droit de suffrage. Alors oui, je suis favorable au droit de vote et d’éligibilité des résidents étrangers après trois ans de résidence pour les élections locales et après dix ans de résidence pour les élections législatives, présidentielles et européennes.
Ces hommes et ces femmes travaillent, ont une vie familiale, paient des impôts, participent souvent à la vie associative, syndicale et politique. Ils ne doivent pas être des citoyens de seconde zone. Pour moi, le droit de vote ne peut pas être séparé du droit à l’éligibilité.
Jacques Chirac a récemment supprimé le deuxième alinéa de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 glorifiant le passé colonial de notre pays. En 1995, Jacques Chirac reconnaissait la responsabilité de l’Etat français dans la déportation des Juifs de France et “la dette imprescriptible” de l’Etat à l’égard des victimes et de leurs ayant-droits. Pensez-vous que cette reconnaissance puisse être étendue aux victimes des crimes coloniaux ? Si oui, estimez-vous que ce travail de mémoire puisse être prolongé dans les programmes de l’Education nationale ?
Je trouve assez vain, voire malsain, de vouloir comparer l’horreur de tous ces différents crimes de masse.
La reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français dans la déportation des Juifs de France était une exigence légitime en soi. Il était crucial que la France reconnaisse enfin officiellement cette tragique contribution au génocide nazi.
Il était aussi crucial de reconnaître que l’esclavage fut un crime contre l’humanité.
Je crois que l’Etat français doit aussi reconnaître sa responsabilité dans les crimes de la colonisation, ce qu’il n’a toujours pas accepté de faire. Mon ami Michel Duffour, ancien ministre et dirigeant du PCF, l’a de nouveau exigé très récemment à Madagascar, à l’occasion d’une initiative marquant le 60e anniversaire des terribles massacres de 1947.
Il va de soi que l’histoire coloniale de la France et d’autres pays notamment d’Europe, leur dimension profondément criminelle, doit être enseignée à l’école et présente dans les manuels scolaires.
J’ajoute que toutes les archives doivent être ouvertes, que la transparence sur cette histoire doit être faite. Dans cet esprit, les accords coloniaux portant sur la défense et les matières premières signés dès les années soixante doivent être rendus publics et abrogés.
Pensez-vous supprimer ou laisser en l’état la loi Ceseda ainsi que les dernières lois sur l’immigration ? Êtes-vous notamment favorable ou non à la disposition de loi criminalisant la solidarité envers les sans-papiers ?
Les migrations de populations ont pris une nouvelle et durable dimension internationale. Pour une bonne part, elles résultent de la misère, conséquence des politiques colonialistes d’hier, et d’un ordre économique mondial injuste qui déstructure les sociétés et étouffe leurs possibilités de développement. Elles sont encouragées par des employeurs qui cherchent une main-d’œuvre sans droits, exploitable à merci et à bon marché. Les solutions administratives et répressives sont inhumaines et inefficaces. Des « quotas » ne feraient que renforcer le pillage en faveur des employeurs des pays développés.
J’avance donc plusieurs mesures d’efficacité et de dignité que je propose dans mon programme :
- Abroger la loi CESEDA qui institue « l’immigration choisie », c’est-à-dire une politique néocoloniale, et qui renie le droit d’asile ;
- Développer les partenariats avec les pays d’émigration afin de mettre fin à l’exode de la misère et d’assurer la liberté de circulation et la régularité du séjour des migrants ;
Faire reculer les situations de clandestinité et respecter le droit d’asile ; régulariser avec un titre de séjour de dix ans tous les sans-papiers ; faciliter les conditions d’accès à la nationalité ; supprimer les visas de court séjour, des zones d’attente et des centres de rétention qui ont terni l’image de la France.
Je propose que les modalités du droit d’installation des étrangers soient fixées dans le respect absolu de la dignité et des droits fondamentaux des personnes, en relation avec les principes essentiels de développement des pays du Sud et de l’objectif de co-développement de tous les peuples.
Les restrictions imposées au regroupement familial doivent être supprimées et les moyens nécessaires à l’accueil et à la bonne insertion des étrangers mis en place.
Il faut mener la lutte contre l’exploitation du travail clandestin, supprimer la double peine et ratifier la Convention des Nations unies sur la protection des travailleurs migrants et des membres de leur famille.
La loi SRU est contournée par de nombreux maires qui préfèrent payer une amende plutôt que de construire des logement sociaux. Quelles dispositions comptez-vous mettre en oeuvre pour contraindre au respect de cette loi ? Et plus généralement pour lutter contre la pénurie des logements sociaux ?
Je propose une application stricte de la loi SRU qui impose 20% de logements sociaux et donc de déclarer inéligibles les maires qui décident de se mettre hors-la-loi.
Aujourd’hui, 9 millions de personnes n’ont pas accès à un logement digne. Face à cette grave crise du logement, je propose de créer un grand service public national du logement, décentralisé, afin de garantir le droit à un logement de qualité pour tous. Ce service public serait le « bras armé » d’une véritable politique du logement bénéficiant de moyens financiers pour :
- La construction de 120 000 logements sociaux par an, de haute qualité environnementale, à loyer modéré, jusqu’à satisfaction des besoins ainsi qu’un plan d’urgence avec réquisition des logements vacants ;
- L’augmentation des petites structures pour les sans-logis bénéficiant d’un accompagnement sanitaire, social et psychologique renforcé ;
- Une Sécurité sociale du logement dès le premier logement avec une garantie du risque locatif pour l’accès et le maintien dans un logement décent. Revaloriser les aides au logement, faire baisser le coût du logement, le limiter à 20% des revenus du foyer ;
- Mettre en oeuvre le « droit au logement décent opposable » à l’État ;
Revenir à un budget logement égal à 2% du PIB, à une aide à la pierre ; Supprimer les cadeaux fiscaux aux plus riches qui louent à des loyers inaccessibles ; Mobiliser le système de financement de l’argent public collecté pour le logement social (Livret A, Caisse des Dépôts et des Consignations, etc.) ; Retrouver le taux du 1% logement. Taxer la spéculation foncière et immobilière.
L’islamophobie est un phénomène dont la gravité est attestée par des études de la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’Homme), ainsi que par diverses organisations de défense des droits de l’Homme. Quelles dispositions comptez-vous prendre pour lutter contre l’islamophobie ?
Personne ne peut nier la réalité d’un racisme contre les musulmans et donc la nécessité de le combattre : les Français musulmans sont des Français comme les autres. Il est de la responsabilité de tous (les pouvoirs publics, les partis et les syndicats, les associations…) de lutter contre l’islamophobie, comme contre tous les racismes.
La loi de mars 2004 qui bannit les signes religieux ostensibles de l’école a eu pour conséquence la déscolarisation de dizaines de jeunes filles et leur éviction du monde du travail. Quelles mesures pourrez-vous prendre pour faciliter leur réintégration dans la société ?
Tout d’abord, je considère que la laïcité est la garantie d’une société de paix, bâtie par des hommes et des femmes qui veulent vivre ensemble avec leurs différences. La laïcité est le principe social et politique qui permet à notre peuple la cohésion dans la pluralité. Elle découle de la reconnaissance des droits universels qui sont ceux de chaque être humain. Elle exige donc la pleine liberté d’opinion et de pensée, l’égalité, la fraternité, mais aussi bien sûr la neutralité de l’Etat à l’égard des différentes religions.
Dans la société, la laïcité doit se construire par le dialogue et non par des solutions d’autorité. C’est pour cette raison que je n’ai pas voté la loi sur les signes religieux à l’école.
Qu’on le veuille ou non, cette loi a été ressentie comme une loi contre les femmes voilées. Bien sûr, en tant que femme, avec mon itinéraire féministe, je vis le voile comme une blessure. Je me demande toujours si la femme qui le porte est contrainte. Dans ce cas, il faut évidemment l’empêcher. Mais il y a aussi des femmes qui font le choix du voile. Les femmes ne sont pas des individus inaptes à choisir, à se défendre. Si c’est leur choix, je le respecte pleinement.
Vous comprendrez donc que je suis défavorable à la déscolarisation des jeunes filles que vous évoquez.
La légitimité du CFCM et notamment le mode d’élection de ses responsables est aujourd’hui contestée par de nombreux citoyens français de culture musulmane. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
Le CFCM est effectivement l’objet de nombreuses critiques. Je suis persuadée que la liberté de culte doit s’accompagner de la liberté d’organisation sans intervention de l’Etat, contrairement à ce qui s’est produit avec la création du CFCM : chacun sait que sa création fut la conséquence du forcing du candidat de l’UMP, ancien ministre de l’Intérieur et des Cultes. Je pense que cette politique est un échec et que les responsables musulmans n’ont rien à y gagner.
Le gouvernement de M. Bush, loin de retenir les leçons de son aventure militaire dramatique en Irak, multiplie les menaces de guerre totale contre l’Iran. Quelle position adopterez-vous en cas de guerre contre l’Iran ?
L’Iran doit respecter le traité de non-prolifération qu’il a signé. Cela signifie qu’il a droit d’accéder au nucléaire civil mais qu’il ne doit pas chercher la maîtrise de la technologie du nucléaire militaire. Cette obligation de respect du TNP s’impose à l’Iran mais aussi évidemment à tous les États signataires, donc aussi aux pays membres permanents du Conseil de sécurité qui doivent contribuer à un désarmement multilatéral et contrôlé comme le demande le traité. Le désarmement nucléaire est une responsabilité collective. Tous les États sont concernés, y compris les non-signataires du TNP comme Israël, l’Inde ou le Pakistan. Le danger nucléaire existe. Je crois nécessaire d’empêcher la prolifération, de contribuer à une baisse des budgets militaires, notamment nucléaires. Il faut aller vers l’élimination des arsenaux nucléaires.
La question des menaces d’intervention militaire américaine contre l’Iran relève d’autres enjeux. C’est une menace réelle. Combien de fois des responsables de l’administration Bush n’ont-ils pas répété, en effet, que « toutes les options sont sur la table », donc y compris celle de la force ? Une telle perspective est redoutable et inacceptable. Une action militaire contre les sites et contre des bases iraniennes – c’est ce dont on parle – comporterait de très graves risques de crise régionale, de confrontation élargie et de violences exacerbées.
Il faut continuer à négocier avec l’Iran. Les États-Unis doivent accepter un dialogue direct. Et la négociation doit porter aussi sur la responsabilité collective en matière de désarmement et de règlement des conflits, en particulier ceux du Moyen-Orient. L’engagement d’un véritable processus de paix concernant le conflit israélo-palestinien, un retrait des troupes d’Irak contribueraient, en effet, à la baisse des tensions et à favoriser les progrès nécessaires de la sécurité dans l’ensemble de la région. Il faut trouver, en fait, les moyens de briser l’escalade en cours et de réunir les conditions d’un règlement des crises et des conflits au Moyen-Orient. La France et ses partenaires européens devraient jouer un rôle actif dans cette voie.
Israël persiste à mépriser le droit international en toute impunité. Colonisation toujours plus étendue, répression continue du peuple palestinien, non respect des résolutions de l’ONU. La France peut-elle imposer contre le droit à la force la force du droit ?
La solution au conflit israélo-palestinien est connue de tous : un État palestinien indépendant à côté de l’État d’Israël, dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale et la reconnaissance du droit au retour des réfugiés dont l’application concrète fera l’objet de négociations comme d’autres questions décisives, par exemple, un échange de prisonniers.
Je propose une Conférence internationale sous l’égide des Nations unies pour décider des conditions d’application des résolutions de l’ONU et pour apporter les garanties internationales à une telle solution qui est la seule à pouvoir apporter la justice, mais aussi la sécurité pour tous.
Je crois que la France avec ses partenaires européens a des moyens pour peser et dispose de marges de manœuvre non négligeables. C’est la volonté politique et la détermination qui font défaut et qui ont conduit trop souvent à un consternant suivisme vis-à-vis de la politique de l’administration américaine, laissant les autorités israéliennes libres de continuer les faits accomplis de la colonisation et de poursuivre l’occupation et la répression.
Aujourd’hui, la mise en place d’un gouvernement palestinien d’union nationale et l’offre de paix arabe du Sommet de Riyad ouvre une situation nouvelle que la France et ses partenaires de l’Union européenne peuvent saisir afin de pousser à la relance d’un processus de paix crédible.
J’ajoute que le premier acte à effectuer d’urgence pour rendre possible et « palpable » de véritables avancées est la levée immédiate des sanctions illégitimes et meurtrières qui frappent durement le peuple palestinien.
Propos recueillis par la rédaction
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