Les raids meurtriers de l’aviation libanaise contre le Liban ne relèvent pas d’une escalade militaire comme le décrivent les médias mainstream. Il s’agit des premiers raids d’une guerre ouverte qui était prévisible depuis plusieurs mois.
Certes, cette guerre ouverte n’est pas la « guerre totale » ou la guerre régionale que redoutent les protecteurs occidentaux d’Israël, à leur tête les Etats-Unis. Mais le modus operandi nous rappelle toutes les guerres menées par Israël dans la région depuis une vingtaine d’années. Des raids aériens de plus en plus massifs et intenses pour annihiler les capacités militaires de l’adversaire et l’obliger à accepter les conditions de la pax israeliana.
Timing favorable
Contrairement aux jérémiades de certains commentateurs arabes qui pointent du doigt la « folie » du gouvernement Netanyahu, ce dernier agit avec une rationalité qui fait froid dans le dos.
Ceux qui croyaient qu’Israël allait laisser passer les tirs de roquettes et de missiles du Hezbollah tout au long de ces 11 derniers mois, et qui ont fait fuir des dizaines de milliers de colons de Galilée, se trompaient lamentablement. Israël faisait le dos rond et réagissait de manière proportionnelle aux attaques sans grandes conséquences du Hezbollah, parce qu’il était occupé essentiellement par sa guerre contre Gaza.
Maintenant qu’il a terminé avec le gros œuvre à Gaza, en laissant derrière lui une bande détruite à 90% après avoir tué plus de 40 000 personnes, blessé et déplacé des centaines de milliers d’autres, il a toute la latitude de se tourner vers le Liban.
Comme l’a rappelé un des rares analystes arabes lucides et qui ne prend pas ses désirs pour la réalité, le général à la retraite jordanien, Faiz Douiri, le Hezbollah aura à regretter le fait d’avoir laissé à l’adversaire israélien l’initiative et le choix du timing.
Il y a quelques semaines encore, l’armée israélienne concentrait 5 divisions (soit l’équivalent d’une vingtaine de brigades) dans la bande de Gaza. Aujourd’hui, il ne reste qu’une division à Gaza et l’armée israélienne peut compter désormais sur 6 divisions sur le front nord à la frontière libanaise.
Le gouvernement Netanyahu n’a pas seulement mis à profit un moment favorable au plan de la conjoncture militaire. Il peut également compter sur la passivité criminelle de l’Administration américaine qui ne pourra rien faire avant l’échéance de l’élection présidentielle de novembre prochain. En effet, tout geste qui pourrait être interprété comme une pression inadmissible sur Israël risque de coûter cher à la candidate démocrate Kamala Harris. Que vaut la paix au Liban sur l’autel de la course à la Maison-Blanche ?
Motif géopolitique
Le gouvernement Netanyahu avait également un autre motif géopolitique de déclencher sa guerre contre le Liban en ce moment précis.
Au lendemain de l’assassinat du leader du Hamas, Ismail Hanieh, à Téhéran, alors que les médias relayaient complaisamment les craintes au sujet d’une riposte iranienne qui ne viendra jamais, des émissaires américains ont eu des discussions à Téhéran. Le deal était clair. Si le nouveau président réformateur iranien se tenait tranquille et ne faisait rien qui puisse faire le jeu du candidat républicain Donald Trump, la prochaine Administration démocrate pourrait examiner favorablement la demande iranienne de l’ouverture de négociations sur le dossier nucléaire iranien.
C’est assez pour pousser le gouvernement Netanyahu à agir vite, en vue de torpiller toute perspective de reprise de négociations qui équivaudrait à un sursis accordé à l’Iran. Une guerre ouverte au Liban est censée, dans l’esprit de Netanyahu, régler plusieurs problèmes à la fois : outre l’annihilation de la menace sécuritaire représentée par le Hezbollah et le retour des colons israéliens dans la région nord, Netanyahu vise au moins la suspension du rapprochement entre Washington et Téhéran, en attendant le résultat de l’élection présidentielle américaine qu’il espère voir emporter par le candidat républicain Donald Trump.
Même s’il a tout intérêt à une guerre régionale, dans laquelle il entraînerait l’Iran dans l’espoir de voir les Etats-Unis intervenir directement dans le conflit et en finir ainsi avec le potentiel nucléaire iranien, le gouvernement israélien ne verra pas son vœu exaucé pour la bonne raison que l’Iran ne se laissera pas entraîner si facilement dans ce piège qui lui serait fatal.
Jusqu’ici, l’Iran a géré avec une intelligence implacable sa confrontation à distance avec ses adversaires régionaux et internationaux, en évitant de s’impliquer directement dans le conflit et en préférant agir par l’intermédiaire de ses vecteurs dans la région.
Par ailleurs, rien ne dit non plus que les Etats-Unis et Israël auraient intérêt à la neutralisation complète de l’Iran dans la mesure où l’existence d’une menace iranienne pour ses voisins arabes constitue une rente géopolitique certaine. L’Amérique continuera ainsi à pomper leur argent aux pétromonarchies réactionnaires du Golfe en contrepartie de sa soi-disant protection militaire. De son côté, Israël compte beaucoup sur les dividendes sonnants et trébuchants de sa normalisation avec ses « cousins » abrahamiques.
Les enjeux de la guerre
Mais au-delà des calculs stratégiques des uns et des autres, le Liban risque dans les jours et semaines qui viennent de revivre les affres d’une guerre dévastatrice même si cette dernière ne ressemblera sans doute pas au calvaire vécu par la population de Gaza.
L’invasion terrestre du sud Liban qu’agitent les ultras israéliens et que d’aucuns prédisent comme un nouveau bourbier pour l’armée israélienne, en arguant que le Hezbollah dispose d’un armement plus conséquent que celui du Hamas, n’est pas pour le moment dans l’agenda de l’armée israélienne.
En effet, les enjeux de cette guerre au Liban ne sont pas forcément les mêmes que ceux qui guident l’armée israélienne dans la bande de Gaza et même en Cisjordanie. A Gaza et en Cisjordanie, il s’agit de briser toute capacité et toute volonté de résistance et de terroriser la population pour la pousser à l’exode pour laisser place nette à de nouvelles colonies.
Au Liban, il s’agit de neutraliser le bras armé local d’un adversaire stratégique (l’Iran) qu’on cherche à priver de la capacité de dissuasion nucléaire mais qui reste par ailleurs, au regard de la doctrine stratégique américaine et israélienne, un protagoniste utile dans l’architecture géopolitique régionale.
La supériorité aérienne absolue d’Israël dans la région, ajoutée au soutien inconditionnel américain et à la complaisance des autres membres permanents du Conseil de sécurité, ne laisse pas une grande marge de manœuvre militaire au Hezbollah surtout si Téhéran décide, comme tend à l’illustrer le discours du président iranien à l’Assemblée générale de l’Onu, de jouer la carte de l’apaisement en attendant l’élection présidentielle américaine.
Les premiers jours de la guerre ne semblent pas s’écarter de ce scénario : contrairement à la volonté affichée dès le lendemain du 7 octobre de détruire le Hamas à Gaza, Israël s’est empressé de déclarer que son objectif était l’affaiblissement des capacités balistiques du Hezbollah afin de le contraindre à se retirer derrière le fleuve Litani. De son côté, le Hezbollah a été obligé de monter crescendo sa riposte balistique aux bombardements israéliens mais avec une retenue bien calculée dans l’espoir de garder des forces pour le jour où sa survie serait en jeu ou dans le cas d’une guerre dirigée directement contre l’Iran.
La Palestine incontournable
Les médias mainstream vont profiter de cette nouvelle guerre au Liban pour passer sous silence les actes génocidaires que l’occupant israélien continue de perpétrer à Gaza. Le peuple palestinien continue d’affronter son destin avec la perspective à court terme de voir sa cause nationale liquidée purement et simplement sur l’autel de la grande normalisation régionale pour laquelle des théologiens hypocrites au service d’Etats policiers ont misérablement convoqué le grand patriarche Abraham.
Jamais un mouvement de libération n’aura connu une solitude plus grande que celle des Palestiniens. Certes, par solidarité et par calcul, le Hezbollah s’est rangé dès le début aux côtés de Gaza mais dans un mode et une proportion qui ne pouvaient peser de manière conséquente sur le cours de la guerre.
A l’heure où Israël croit le moment propice pour déclencher une nouvelle guerre contre le Liban, il est important de rappeler que Gaza n’a pas encore dit son dernier mot même si la bataille qui l’oppose à l’armée d’occupation va changer de configuration et risque de connaître des mutations dangereuses avec la perspective de l’occupation militaire du nord de la bande de Gaza ou bien l’arrivée d’une force internationale.
Les sacrifices consentis à Gaza sont autant d’épreuves douloureuses qui continueront à inspirer la résistance multiforme aux manœuvres politiques et diplomatiques qui vont succéder dans les prochains mois à la guerre d’extermination qui est toujours en cours. Les enseignements que tireront ceux qui auront l’honneur de reprendre le flambeau de la lutte se nourriront inévitablement des déceptions d’aujourd’hui.
Abandonnés par tout le monde et à leur corps défendant, les Palestiniens se sont tournés vers l’Iran et ont attendu un soutien plus actif et plus conséquent de la part de l’« axe de la résistance ».
L’utilisation des contradictions inter-régionales, et inter-impérialistes, relève du réalisme politique le plus élémentaire et s’avère parfois incontournable. Cependant, à trop miser sur des alliés mus par la raison d’Etat ou par des intérêts stratégiques qui ne coïncident pas toujours avec les siens, le mouvement de libération palestinien ne pouvait que se trouver dans une impasse.
Des révisions déchirantes concernant aussi bien la stratégie que la tactique, la politique tout autant que la diplomatie, attendant le mouvement de libération nationale palestinien, appelé à tirer les enseignements nécessaires de la guerre de Gaza.
Et parce que l’Ordre régional et international auquel il est confronté, écrase également sous son poids tous les peuples de la région, plus que jamais le mouvement de libération palestinien devrait se réapproprier, à côté de tant d’autres choses qui relèvent des technologies de résistance, le mot d’ordre révolutionnaire des années 70 du siècle dernier : la route d’Al-Qods passe par les capitales arabes !
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